Débat de l’entre-deux-tours : l’étrange effacement de Marine Le Pen

La candidate du Rassemblement national, déterminée à laver l’affront de 2017, a de nouveau raté son débat face à Emmanuel Macron, mais en tombant dans d’autres travers.

Le Monde  – Imperceptible rappel du débat de 2017. Aux premières secondes de leur duel télévisé, mercredi 20 avril, Marine Le Pen a fui le regard d’Emmanuel Macron qui, lui, fixait ses yeux dans ceux de sa rivale. Comme si elle avait d’abord voulu échapper à la confrontation, avant d’arborer le visage calme et souriant de sa campagne de 2022. Tout au long de cette soirée qui devait être celle de sa revanche, Marine Le Pen a semblé chercher sa place de prétendante sérieuse à l’Elysée, mais en ayant perdu en cours de route son bagou d’avocate du « peuple », rattrapée par des choix qui ont brouillé sa posture, sa ligne et son programme.

Elle avait beau affronter un chef de l’Etat sortant et en position de force, c’est elle qui a minimisé les risques. Elle qui voulait à tout prix éviter de se montrer agressive a renoncé à l’offensive. Ses critiques du bilan d’Emmanuel Macron sont apparues trop vagues, trop timides pour ébranler l’adversaire. Pire, ce dernier a trouvé le moyen de renvoyer la cheffe de parti et députée du Pas-de-Calais à son propre bilan : vote contre les aides à l’Ukraine au Parlement européen, contre le bouclier tarifaire ou la loi sur le « séparatisme » à l’Assemblée nationale, reconnaissance de l’annexion illégale de la Crimée. Sur la défensive, Marine Le Pen a brandi un tweet imprimé de 2014, sans échapper à l’accusation assassine : « Vous dépendez de M. Poutine ». Un renversement total, alors que l’entourage mariniste martelait depuis des mois que leur meilleure chance était le bilan présidentiel.

 

La leader populiste a joué sur le terrain de l’adversaire – la crédibilité – et s’est désarmée. Sa présentation technique de mesures pour le pouvoir d’achat a placé l’ex-ministre de Bercy dans le rôle de professeur d’économie. Lorsqu’elle s’attarde sur les chiffres du chômage ou de la dette, Emmanuel Macron rappelle qu’« on parle de vies derrière ». Celle qui avait gagné le trophée de la « proximité » avec les Français s’est enferrée dans l’objectif, manqué, de sa campagne d’entre-deux-tours : cultiver une stature présidentielle au point de rester en retrait. Son habituel registre de l’émotion n’est apparu que par touches, avec la « souffrance absolument inouïe » des soignants ou la jeunesse « jetée dans la précarité ». Son discours antiélites et anti-Europe s’est effacé, celui contre l’immigration et l’islam n’a surgi que dans la dernière heure, bien qu’elle sache lier n’importe quel thème aux étrangers.

Fuite en avant

La candidate qui martèle qu’elle n’est plus d’extrême droite semblait ne pas savoir à quel public s’adresser. Ni aux actifs saisis par la peur du déclassement, à qui elle promet des lendemains heureux et la chasse à « l’oligarchie », ni à l’électorat de la droite extrême et identitaire, qui penche pour elle a priori. Ni à celui de Jean-Luc Mélenchon, alors qu’elle lorgne des réserves de voix inédites (19 % des mélenchonistes pourraient se reporter sur elle, selon l’enquête Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde publiée mercredi) : Marine Le Pen a même étrillé « l’écologie punitive » sans offrir de gages face au dérèglement climatique et renoué avec sa radicalité initiale sur l’interdiction du voile musulman.

 

Elle-même en peine de défendre son projet, elle a tantôt épuisé ses cartouches, tantôt les a laissées trop longtemps dans sa besace. Ainsi de la retraite à 65 ans, qu’elle comptait agiter pour dissuader l’électorat de gauche de voter contre elle. Mais l’argument d’« une injustice insupportable » s’est heurté à la défense d’Emmanuel Macron de la pénibilité pour l’ouvrier agricole, le transporteur routier ou l’employé d’abattoir.

A l’inverse, elle n’ose mentionner « McKinsey » – le nom de ce cabinet de conseil américain, accusé de ne pas avoir payé d’impôts en France, et auquel le gouvernement aurait eu abusivement recours –, mot magique provoquant des huées enragées dans ses meetings, qu’à 23 heures, une seule fois, au détour d’une phrase. « Vous avez mis du temps, Mme Le Pen », rétorque Emmanuel Macron. Sans suite, alors que les soutiens de la candidate du RN, comme son ex-bras droit Florian Philippot, trépignaient sur les réseaux sociaux depuis plus d’une heure.

Ses plus proches se sont contentés au fil de la soirée de déplorer « un air de supériorité » du président sortant, d’assurer que Marine Le Pen ne cherchait pas « du sang et des larmes », et de poster sur les réseaux sociaux les mimiques du chef de l’Etat pour s’en moquer. Pas de quoi bâtir « l’étoffe d’un président » qui fait défaut à Marine Le Pen (seuls 39 % des Français considèrent qu’elle en dispose, contre 64 % pour Emmanuel Macron, toujours selon Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde).

 

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Ivanne Trippenbach

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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