Mali : l’amertume des soldats français et de leurs proches après l’annonce du retrait militaire

La fin de l’opération « Barkhane », après neuf ans, est difficile à accepter pour de nombreux militaires, à commencer par les familles des 53 Français morts au combat.

 Le Monde  – Leurs possibilités de s’exprimer sont très limitées. L’officialisation, jeudi 17 février, du retrait français du Mali, après plus de neuf ans de présence dans le cadre des opérations « Serval » puis « Barkhane », n’en est pas moins vécue durement par de nombreux militaires français et leurs proches. « Cela me désole », lâche spontanément un gradé d’un régiment du sud-ouest de la France.

 

Les plus touchés sont, de loin, les parents des soldats morts au combat – 53 entre 2013 et 2021. « Quel gâchis ! », s’emporte ainsi Dominique Protin, père de l’adjudant Alexandre Protin, un des treize militaires tués dans une collision entre deux hélicoptères, en novembre 2019. Cet accident, le plus meurtrier des années « Barkhane », a marqué un tournant dans la posture française au Sahel.

A 33 ans, le fils de M. Protin en était à son troisième mandat « Barkhane ». Il appartenait au 4e régiment de chasseurs de Gap (Hautes-Alpes). « Que penseraient nos enfants de tout cela aujourd’hui ? », lance M. Protin. La disparition de son fils a été si douloureuse qu’il en a fait un livre, coécrit avec une proche, Isabelle Averty, et intitulé Un soir en Afrique (Konfident, 2021). Fait rare, à la demande de M. Protin, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, a accepté de préfacer l’ouvrage.

Rancœur envers le Mali

Trois ans après ce décès, les rancœurs de M. Protin ne visent toutefois pas les armées, mais le Mali. Comme beaucoup de ceux qui appartiennent de près ou de loin aux milieux de la défense, il considère que l’échec de la France au Sahel est d’abord à chercher du côté des responsables politiques maliens : « Je ne comprends pas pourquoi le Mali n’est pas parvenu à se reconstituer une armée. S’il avait voulu, cela aurait été possible. On a envoyé notre savoir, notre argent : où tout cela est-il passé ? Vraiment, je ne comprends pas », répète-t-il en boucle.

L’ancien ministre centriste et ex-sénateur du Haut-Rhin Jean-Marie Bockel a, lui aussi, perdu un fils dans le même accident d’hélicoptère. Né en 1991, Pierre-Emmanuel Bockel était lieutenant au 5régiment d’hélicoptère de combat de Pau et son décès est intervenu alors qu’il en était à son quatrième mandat « Barkhane ». Ce retrait français du Mali, « on le regrette plus que d’autres évidemment. Cela nous fait doublement quelque chose. On vit très durement cette situation. Mais on comprend aussi qu’on ne pouvait pas faire autrement », admet M. Bockel.

Cet ancien secrétaire d’Etat chargé de la coopération (2007-2008) connaît bien le Mali pour y avoir mené plusieurs projets de développement avec la ville de Mulhouse, dont il a été maire de 1989 à 2010. Il estime qu’« il est toujours facile après coup de se dire : “Voilà ce que l’on aurait dû faire.” Je ne suis pas là pour délivrer un satisfecit, mais, pour moi, toute l’équipe France a fait de son mieux. Les militaires français ont fait de leur mieux, les diplomates ont fait de leur mieux. »

 

Depuis la mort de son fils, M. Bockel est devenu président de Solidarité Défense, une association d’aide aux blessés et aux familles endeuillées des armées. Il tient à souligner qu’il ne s’exprime qu’en son nom, mais concède que la fin de « Barkhane » suscite des « sentiments divers » au sein des cercles qu’il côtoie régulièrement. Une impression partagée par Laurent Attar-Bayrou, président de la Fédération nationale des anciens des missions et opérations extérieures et de l’Association internationale des soldats de la paix. « Nous sommes plus que déçus », confesse cet ancien casque bleu.

Comme d’autres, M. Attar-Bayrou s’interroge : « Peut-être que l’on a vu trop grand ?  » « Pendant neuf ans, les hommes se sont réellement investis », regrette-t-il. Très impliqué dans l’accompagnement des blessés dans le cadre de ses deux associations, il a pu observer de près les stress post-traumatiques bien spécifiques développés, selon lui, par les militaires rentrant de « Barkhane ». « En Afghanistan [où la France a été engagée de 2001 à 2014 et où 90 soldats français sont morts], ce sont les combats qui ont traumatisé nos soldats. Avec “Sangaris” [en République centrafricaine, de 2013 à 2016], ce sont les exactions de la guerre civile qui ont créé des stress post-traumatiques, mais au Sahel, détaille M. Attar-Bayrou, c’est la solitude du désert qui a engendré des troubles psychologiques. »

Routine éreintante

Les phénomènes d’attente, l’angoisse vis-à-vis notamment des engins explosifs improvisés et la méfiance croissante de la population sur le terrain ont contribué à nourrir ces troubles, selon cet ancien de l’infanterie. A ce titre, M. Attar-Bayrou est vent debout contre le projet de transformation de l’hôpital militaire Desgenettes, à Lyon, où il vit, en simple « antenne hospitalière militaire ». Cette structure, qui était jusqu’à présent l’un des huit hôpitaux d’instruction des armées et le seul du centre de la France, n’accueillera plus, à terme, qu’une dizaine de lits.

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Source : Le Monde 

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