Le Mali pousse la France vers la sortie

L’expulsion de l’ambassadeur français à Bamako annoncée par la junte au pouvoir accroît les interrogations sur l’avenir de la présence militaire française dans le pays.

Le Monde  – Invective après invective, le Mali et la France semblent inéluctablement se diriger vers la rupture. Lundi 31 janvier, la junte au pouvoir à Bamako a « invité » l’ambassadeur de France, Joël Meyer, « à quitter le territoire national dans un délai de soixante-douze heures », selon un communiqué lu à la télévision d’Etat. Une mesure qui, selon les autorités maliennes, « fait suite aux propos hostiles et outrageux » tenus par le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, le 27 janvier.

Alors que Bamako venait de sommer le Danemark de retirer ses troupes déployées au sein de la force européenne « Takuba » (placée sous commandement français), ce dernier avait dénoncé sur la radio RTL des « mesures irresponsables » prises par une junte « illégitime », fustigeant au passage « la confiscation inacceptable » du pouvoir par les militaires, ainsi que leur recours aux mercenaires du groupe russe Wagner.

 

Fin 2021, les autorités maliennes issues d’un double putsch ont exprimé leur volonté de se maintenir cinq années supplémentaires, puis quatre, bravant leur promesse initiale d’organiser des élections fin février 2022. Une position jugée « inacceptable » par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cedeao), qui a placé le Mali sous blocus territorial, économique et financier, le 9 janvier.

« Besoin d’un dérivatif »

Depuis, les relations entre Bamako et la France, accusée d’être l’instigatrice de ces sanctions, n’ont cessé de se tendre. Demande de révision de l’accord-cadre de défense avec la France fin 2021, de retrait des forces danoises de « Takuba », restriction des conditions de survol d’avions militaires internationaux en janvier 2022… Les autorités de transition multiplient les actes « de souveraineté », abattant ainsi minutieusement les cartes d’un jeu destiné à souder derrière elles un peuple malien jugé de plus en plus braqué contre l’Occident et la France.

Après avoir publiquement tancé Paris pour son ingérence dans les affaires du pays, la junte est donc passée du verbe au geste, le 31 janvier, en décidant de renvoyer l’ambassadeur de France. « J’ai pris note de sa décision », a déclaré au Monde Joël Meyer, regrettant que, malgré « la disponibilité de Paris depuis le coup d’Etat » d’août 2020, il n’y ait pas eu « de volonté manifeste de la part des autorités maliennes de discuter des questions de fond relevant de la relation bilatérale avec la France, tant sur le plan sécuritaire que politique ».

Il a été remercié, lundi, en à peine une demi-heure, par le ministre des affaires étrangères, Abdoulaye Diop. Si le chef de la diplomatie malienne avait précisé, le 28 janvier, ne « rien » exclure sur l’avenir de ses relations avec la France, une source diplomatique souligne que cette brève rencontre n’a pas permis de préciser les intentions.

Reste que, selon cette dernière source, cela ne fait désormais plus aucun doute, « les autorités veulent chasser la France du Mali ». Le rappel de l’ambassadeur s’inscrirait selon elle dans le cadre d’une « stratégie préméditée de la junte » dont l’objectif serait de « se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible ». « Ils ont besoin d’un dérivatif en accusant la France et veulent nous ramener dans une crispation postcoloniale, car c’est leur seul terrain de réplique », analyse l’Elysée.

Paris semble décidé à temporiser

Après l’annonce, en juin 2021, par Emmanuel Macron, de la fin de l’opération « Barkhane », les tensions se sont brutalement exacerbées. Les autorités maliennes estiment publiquement avoir été mises devant le fait accompli. Quatre mois plus tard, le premier ministre, Choguel Maïga, accuse la France d’« abandon en plein vol » et se voit qualifié en retour d’« enfant de deux coups d’Etat » par le président français.

Selon un diplomate occidental fin connaisseur du Sahel, la France « tombe à chaque fois dans le piège de la surenchère tendu par les Maliens », allant jusqu’à obliger Air France à ne plus desservir le Mali dès le lendemain de l’annonce des sanctions de la Cedeao. « Paris aurait dû calmer le jeu, estime la même source. Il fallait envoyer [des] missi dominici pour discuter avec le colonel Assimi Goïta [président depuis le deuxième putsch] et lui tendre la main, s’appuyer sur l’Algérie qui, malgré ses critiques, préfère des soldats français plutôt que des mercenaires russes à sa porte. » En réalité, diverses initiatives françaises ont bien eu lieu à l’intention de la junte et de l’Algérie, mais elles n’ont pas abouti.

 

Du côté de l’Elysée, si on ne veut pas minimiser le renvoi de l’ambassadeur, on juge que « cette nouvelle provocation s’inscrit dans la continuité de la fuite en avant des autorités maliennes » qui, en octobre 2021, avaient déjà déclaré « persona non grata » le représentant spécial de la Cedeao. Paris semble cette fois décidé à temporiser : aucune mesure de rétorsion n’est pour l’heure envisagée sur le plan diplomatique (le Mali n’a pas d’ambassadeur en France, mais un chargé d’affaires).

L’avenir de la présence militaire française au Mali suscite davantage d’hésitations. Alors que la France a souligné qu’elle ne pouvait pas « rester en l’état », le départ des quelque 2 500 soldats encore déployés au Mali dans le cadre de l’opération antiterroriste « Barkhane » est-il sur le point de se concrétiser ?

 

« Tous les scénarios sont étudiés », affirme-t-on à l’état-major des armées, tout en précisant que, dans l’attente d’une décision, les opérations continueront au Mali, car la France ne peut « pas laisser l’initiative aux groupes terroristes ». Mardi matin, le porte-parole du gouvernement a indiqué sur Franceinfo : « D’ici à la mi-février, on va travailler avec nos partenaires pour voir quelle est l’évolution de notre présence sur place [et] pour prévoir une adaptation. »

Crainte d’un « effet domino »

Après avoir averti les autorités maliennes, le 25 janvier, du souhait de l’Union européenne (UE) de rester engagée au Mali, « mais pas à n’importe quel prix », le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a exprimé sa solidarité avec Paris, précisant que cette « demande injustifiée de retrait de l’ambassadeur de France isolera le Mali ». Si aucune décision n’a été prise à ce stade sur un éventuel retrait ou une réduction de la présence des Etats membres au Mali (« Takuba », mission de formation EUTM et aide au développement), une source au sein de l’UE s’inquiète d’un potentiel « effet domino » en cas de retrait précipité des soldats français, car, dit-elle : « “Barkhane” est pour toutes les opérations étrangères une bulle de sécurité qui permet de mettre en œuvre notre action. »

 

Le 30 janvier, Jean-Yves Le Drian avait déjà souligné dans un entretien au Journal du dimanche (JDD) que le combat contre le terrorisme de la France au Sahel devait « se poursuivre, mais sans doute dans d’autres conditions ». Reste à savoir lesquelles, alors que les options de redéploiement s’amenuisent. Si le coup d’Etat survenu le 24 janvier au Burkina Faso voisin est venu apporter à la France de nouvelles incertitudes, le Niger est aujourd’hui envisagé comme le futur pivot de l’intervention antiterroriste dans la région.

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Source : Le Monde 

 

 

 

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