En Afrique, la crainte d’une crise alimentaire de grande ampleur

L’envolée des prix des denrées de base sur les marchés mondiaux ravive le spectre des émeutes de la faim de 2007-2008.

Le Monde– Le kilo de mil flambe à Bamako ; l’huile de cuisson est de plus en plus rare et chère à Nairobi ; la boîte d’œufs est devenue un produit de luxe sur les marchés de Lagos… Les signes de tension sur les prix des denrées de base se multiplient à travers l’Afrique, attisant les craintes d’une crise alimentaire généralisée sur ce continent déjà très vulnérable, où une personne sur cinq ne mange pas à sa faim.

L’inquiétude est d’autant plus vive que les prix alimentaires mondiaux ont encore progressé en novembre pour le quatrième mois consécutif, s’inscrivant à leur plus haut niveau depuis juillet 2011, selon le baromètre mensuel publié le 2 décembre par l’Organisation mondiale pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). En un an, cet indicateur, qui agrège les prix sur les marchés internationaux de plusieurs produits de base (céréales, produits laitiers, sucre, huiles, viandes…), a grimpé de plus de 27 %.

 

Cette inflation va alourdir la facture des Etats africains dépendant des importations pour nourrir leur population. A titre d’exemple, l’Afrique importe un tiers des céréales qu’elle consomme – et même plus de 50 % en Afrique du Nord –, selon la FAO. Or, les prix du blé atteignent aujourd’hui un niveau inédit depuis mai 2011. Une gageure dans des pays où les ménages peuvent consacrer aux dépenses alimentaires jusqu’à deux tiers de leurs revenus.

La flambée des prix ressuscite le spectre de la crise alimentaire de 2007-2008. A l’époque, les cours du blé puis des autres céréales avaient quasiment doublé. Un enchérissement qui avait déclenché de violentes émeutes de la faim à travers le monde et notamment sur le continent africain, de Dakar à Ouagadougou, en passant par Le Caire.

Le poids très lourd de la pandémie

« La situation est inquiétante, mais également plus complexe qu’en 2008, estime Jean Senahoun, économiste au bureau régional pour l’Afrique de la FAO. Il y a, comme à l’époque, une envolée des prix, mais s’y ajoutent d’autres chocs comme le Covid-19, des dérèglements climatiques importants et de nombreux conflits. »

La pandémie a eu un effet très lourd sur les systèmes alimentaires. D’abord en provoquant des pertes d’emplois et de revenus sur un continent qui a connu en 2020 sa première récession depuis un quart de siècle. Le pouvoir d’achat alimentaire des populations a été sévèrement ébranlé. Encore plus dans les pays qui ont vu leur monnaie se déprécier, comme au Ghana, au Nigeria ou au Soudan : la chute des devises y a amplifié l’inflation importée.

Mais la crise sanitaire a également affecté directement la production. Les chaînes d’approvisionnement en intrants agricoles, comme les engrais, les semences et les pesticides, ont été désorganisées. Et aujourd’hui, le prix des engrais azotés, dont l’Afrique est un gros importateur, bondit en même temps que celui du gaz naturel.

« Ce n’est pas grave pour des cultures comme le manioc, le plantain ou la patate douce qui mobilisent peu ou pas d’engrais. Mais cela va entraîner une baisse de la production africaine pour le maïs et le riz », souligne Pierre Ricau, analyste chez N’Kalô, un service indépendant d’information sur les marchés agricoles en Afrique de l’Ouest. « Pour compenser, les pays vont être obligés d’importer davantage dans un contexte pourtant peu favorable », poursuit-il, citant la hausse du coût du fret maritime qui vient s’ajouter au prix élevé des denrées importées.

« Une situation anormale »

Les mesures de restriction et les fermetures de frontières terrestres ont aussi perturbé l’accès à la main-d’œuvre agricole et entravé les déplacements des troupeaux. Une situation aggravée par l’insécurité dans les zones de conflit, comme le centre du Sahel, le bassin du lac Tchad ou la Corne de l’Afrique. Au Burkina Faso, au Mali, dans le nord du Nigeria ou en Ethiopie, dans la région en guerre du Tigré, les violences bloquent les routes de transhumance et empêchent de nombreux paysans de cultiver leurs terres.

Plusieurs chocs climatiques viennent encore noircir le tableau, comme la sécheresse qui sévit dans plusieurs régions du Kenya, de l’Ethiopie et de la Somalie, et la mauvaise distribution des pluies dont a souffert l’Afrique de l’Ouest.

 

« Il y a des difficultés sur tous les segments de la chaîne, de la production jusqu’à l’assiette du consommateur final », relève Ollo Sib, conseiller du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. A l’en croire, tous les signaux indiquent « une situation anormale » dans ces deux sous-régions. Par exemple, dans la zone du lac Tchad, la vente d’un taureau permet de se procurer seulement quatre à cinq sacs de 100 kg de céréales cette année, contre sept ou plus en 2020.

Au Burkina Faso, où le PAM scrute une centaine de marchés, 60 % connaissent une forte pression : autrement dit, la hausse des prix sur un panier de produits alimentaires de base y est supérieure à 25 % sur un an. A Ouagadougou, la farine est devenue si chère que plusieurs boulangeries ont dû fermer.

Trente-trois pays africains touchés

Se dirige-t-on vers une crise alimentaire de grande ampleur sur le continent ? Ce n’est pas certain. A la différence de 2007-2008, le prix du riz ne s’est pas envolé mais demeure stable sur les marchés mondiaux. « Or, c’est l’un des produits les plus importés et les plus importants, en Afrique de l’Ouest notamment », note Jean Senahoun.

L’économiste de la FAO s’inquiète tout de même de constater que les prix alimentaires restent très élevés dans la région, alors même que les récoltes sont en cours. « La période la plus délicate, estime-t-il, sera celle de la prochaine soudure », vers juillet-août 2022, quand les greniers seront vides en attendant les futures récoltes. Ce moment critique pourrait même arriver dès le mois de mars, juge pour sa part Ollo Sib, compte tenu des difficultés présentes.

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Marie de Vergès

 

 

 

 

Source : Le Monde (Le 07 décembre 2021)

 

 

 

 

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