Super Ligue : le double jeu troublant du président de la FIFA suscite des interrogations chez les opposants au projet

Gianni Infantino est officiellement opposé au projet de ligue fermée de football. Alertée par le contenu d’un document, que « Le Monde » a consulté, l’UEFA doute cependant de sa position.

Le ton est ferme, les propos soupesés. Mardi 20 avril, 45congrès de l’Union des associations européennes de football (UEFA). A la tribune du Montreux Palace, en Suisse, Gianni Infantino prononce un discours attendu dans tout le continent. Solennel sur l’estrade, le président de la Fédération internationale de football (FIFA) « désapprouve fermement » le projet de Super Ligue. Un projet « dissident des institutions existantes », et donc de l’UEFA, organisatrice de la Ligue des champions.

Sans en dire plus, le patron du football mondial passe aux menaces : les douze clubs sécessionnistes (anglais, italiens et espagnols) « devront subir les conséquences » de leur projet de compétition, annoncé dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 avril, et désintégré deux jours plus tard, face aux protestations d’une grande partie du public.

Le jour de l’allocution, les congressistes européens ne peuvent qu’applaudir le discours sans ambiguïté de M. Infantino. Pourtant, beaucoup esquissent un sourire en coin. Dans les couloirs du quartier général de l’UEFA, à Nyon (Suisse), certaines voix font remarquer que « personne n’est dupe » après la déclaration de M. Infantino.

Surtout pas Aleksander Ceferin, le président de l’UEFA, son « meilleur ennemi ». En coulisses, les deux hommes passent plus pour des rivaux que pour des alliés. M. Ceferin s’est abstenu d’apporter son soutien à M. Infantino lors de la réélection triomphale de celui-ci, en 2019.

La veille du congrès, l’état-major de la confédération européenne avait ironisé en découvrant le premier communiqué de la FIFA, publié lundi 19 avril, jugé en interne « très pondéré ». L’institution mondiale s’y était posée en rassembleuse, appelant à « l’unité » et priant « les parties impliquées dans des discussions houleuses à engager un dialogue calme, constructif et équilibré pour le bien du jeu ».

Note de 10 pages

 

Depuis plusieurs mois, la position de M. Infantino sur le projet de Super Ligue suscite des interrogations à l’UEFA. Certes, en janvier, sur l’insistance de la confédération européenne, la FIFA avait assuré qu’« une telle compétition ne serait pas reconnue » par elle, et que « tout club ou joueur impliqué dans une telle compétition ne serait pas autorisé à participer à quelque compétition que ce soit, organisé par la FIFA ou leurs confédérations respectives ».

Mais, parallèlement, un document de travail alimente les soupçons au sein de l’institution européenne. Cette note de 10 pages, consultée par Le Monde, synthétise les informations confidentielles sur la Super Ligue, compilées par plusieurs clubs européens. Elle a beaucoup circulé en début d’année entre les mains de leurs dirigeants.

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Dans ce document, il est entre autres indiqué que douze clubs de la Super Ligue seraient censés participer, à partir de la saison 2023-2024, à un nouveau format de Coupe du monde des clubs, l’une des compétitions organisées par la FIFA. Ce Mondial des clubs s’élargirait à 32 équipes, et se tiendrait chaque année en janvier « durant trois semaines ».

Extrait de la note de travail, rédigée en anglais : « Il est dit qu’une liste d’équipes qualifiées est convenue avec WO1 (FIFA ?). » Puis : « Il est aussi dit qu’il y a un partenariat avec WO1 pour des paiements solidaire d’un milliard d’euros. » Le document précise que « la distribution » de cette somme pourrait « possiblement » permettre aux équipes de la Super Ligue de mettre en commun « 320 millions d’euros ».

A qui se rapporte la mention WO1 ? « Ce nom de code » servirait à désigner Gianni Infantino, selon le président de la Ligue espagnole, Javier Tebas. Dans un entretien à l’Agence France-Presse, en janvier, ce dernier a déclaré que le président de la FIFA « apparaît » sous cette appellation « dans la documentation que nous avons sur la Super Ligue ».

« Il a participé à des réunions, il a travaillé et a encouragé le fait que la Super Ligue se fasse, accuse M. Tebas. Je crois que Gianni Infantino doit urgemment éclaircir sa position, publiquement, personnellement, et dire pourquoi il a assisté à quelques réunions et pourquoi il a encouragé le projet à certains moments donnés. » « J’ai de sérieux doutes sur Infantino, son rôle m’inquiète », a de nouveau déclaré M. Tebas, jeudi 22 avril, lors d’une conférence de presse.

Gages

 

Contactée par Le Monde jeudi, et interrogée sur une possible présence de M. Infantino à des réunions avec les clubs sécessionnistes, où il aurait donné des gages quant à leur participation à la Coupe du monde des clubs rénovée, la FIFA indique que sa « position », comme celle de son président, « sur ce sujet a été clairement exprimée cette semaine ».

« Dans le cadre des discussions autour de la Coupe du monde des clubs de la FIFA, toutes les principales parties prenantes du football ont été consultées, y compris des clubs du monde entier », assure la FIFA. Sollicitée, la société privée détenant les droits de la Super Ligue n’a, elle, pas souhaité faire de commentaire.

Dans une note transitoire de 18 pages intitulée « Proposition de Super Ligue » que Le Monde a consultée, il est écrit que la « Super Ligue s’engagera à envoyer 12 clubs européens pour disputer la nouvelle Coupe du monde des clubs annuelle ».

Dans les couloirs de l’UEFA, on souligne « l’opportunisme et le cynisme de Gianni, qui est un grand stratège ». Depuis le temps où il officiait en tant que secrétaire général de l’UEFA, M. Infantino et l’un de ses principaux conseillers, l’Italien Mario Gallavotti, entretiennent de très bonnes relations avec le président du Real Madrid, Florentino Pérez, grand ordonnateur de la Super Ligue.

Un fin observateur du football mondial s’interroge : « A-t-il fait quelque chose pour empêcher ce projet ou l’a-t-il au contraire encouragé jusqu’à s’apercevoir que la vague de désapprobation était de cette ampleur-là ? » Un autre dirigeant influent résume : « Infantino semblait gagnant dans tous les cas et pouvait jouer sur les deux tableaux » : « Si la Super Ligue se faisait, l’UEFA aurait été affaiblie, Ceferin discrédité » ; dans le cas contraire – c’est ce qui est survenu quand le projet de Super Ligue a disparu aussi vite qu’annoncé –, M. Infantino pouvait apparaître « comme celui qui rassemble la famille du football, l’opinion publique voyant qu’il y a un problème au niveau du foot européen ».

Selon un bon connaisseur du dossier lié à la Super Ligue, « jusqu’au dernier moment », le président de la FIFA « a attendu de voir dans quel sens le vent tournait. Exactement comme quand Boris Johnson avait écrit deux tribunes avant le Brexit, une en faveur de l’Europe, et l’autre contre ».

Au-delà des discours et des unions de façade, il n’est pas certain que l’« esprit de solidarité et de fair-play », auquel la FIFA conviait les différentes parties, dans son communiqué publié lundi, soit d’actualité.

 

 

Rémi Dupré, Clément Martel et Adrien Pécout

 

 

 

Source : Le Monde (Le 23 avril 2021)

 

 

 

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