France – Ramadan confiné, saison 2 : entre appréhension et retour à soi

Pour la deuxième année consécutive, c'est un jeûne particulier qui attend la communauté musulmane française du 13 avril au 13 mai.

Chaque année, il est attendu avec beaucoup d’impatience par les musulmans. Quelques jours avant, les frigos se gonflent de courses, on s’active pour nettoyer les appartements, les détox de café se préparent, certains décorent même leurs habitations. Il est synonyme de partage, de longues soirées en famille, de feuilletons arabes mielleux, de travail sur sa foi. C’est bien du ramadan dont il s’agit, le neuvième mois du calendrier hégirien, durant lequel la communauté musulmane s’abstient de plusieurs choses. En vrac: de boire, de manger, de fumer, d’avoir des relations sexuelles, de médire, d’insulter. Tout cela, du lever du soleil –dès que l’on peut «distinguer un fil blanc d’un fil noir», dit le Coran– à son coucher.

Pour la deuxième année consécutive, les musulmans s’apprêtent à passer un ramadan hors normes. En 2020, la pandémie du Covid-19 a sonné le glas de plusieurs habitudes inhérentes à la célébration de ce mois sacré. Si la situation sanitaire est moins inquiétante que l’année dernière, dans les grandes lignes rien ne change: les rassemblements de plus de six personnes sont proscrits, le confinement, certes plus léger, est tout de même en vigueur, et les frontières demeurent fermées. À cela s’ajoute un couvre-feu sur l’ensemble du territoire.

Chahinaz, 20 ans, passera son deuxième ramadan seule. Cette étudiante en histoire et en arabe à la Sorbonne, originaire de Nancy, vit dans une résidence universitaire de Nanterre. Pour elle, il était inimaginable de rentrer dans sa famille pour le ramadan. «Il y a beaucoup de personnes à risque. Je n’ai pas envie de mettre en danger mes proches, donc je me suis résignée à rester ici. Même si eux, me supplient de rentrer», raconte la jeune femme.

 

Apprentissage et transmission

 

Plus qu’une histoire de nourriture et de boissons, le ramadan symbolise une période de partage, de transmission unique dans l’année. C’est à ce moment que les recettes de famille sont échangées. Les enfants regardent attentivement les gestes précis des parents: la poigne ferme de la mère lorsqu’elle fait du pain, la dose de menthe à mettre pour que le thé soit parfait, pour que la chorba soit réussie. Ces choses-là ne s’apprennent pas sur les réseaux sociaux ou dans les livres de cuisine, mais uniquement de la bouche des aînés. C’est à ce moment que s’organise la filiation, que le bled paraît proche. «En grandissant, tu comprends l’importance de ces moments. Le couscous de ta tante, une fois qu’elle ne sera plus là, qui le fera?», lance Chahinaz. Certes, les visios et les FaceTime existent, «mais rien ne remplace le contact humain», souligne l’étudiante.

Puis, il y a la ferveur de l’iftar, la rupture du jeûne. Les distanciations physiques, l’impossibilité de mélanger les foyers et le couvre-feu freinent ces moments de réunion. «C’est ce qui me manque le plus: les grandes tables dans la cité, les barbecues des quartiers, les repas chez des personnes que tu connais à peine, se remémore-t-elle. C’est ce qui est bien avec cette période de l’année, tu te retrouves attablé avec des voisins avec qui, durant l’année, tu n’échanges qu’un bonjour furtif.» Malgré tout, elle s’estime chanceuse. «J’ai des amis à Nanterre. Entre cas isolés, on va se tenir compagnie.» Avant de reprendre: «Mais c’est vrai que ça perd un peu de son sens.»

«Seule, tu n’as même pas envie de cuisiner. Certains jours, je réchauffais des plats surgelés, quelle tristesse.»

Kenza, musulmane pratiquante

 

Il y a une grande différence, avec le premier ramadan confiné: l’ouverture des mosquées. Cette année, il sera possible de s’y rendre pour trois prières –en respectant évidemment les règles de distanciation physiques et les jauges imposées par le gouvernement: le Fajr, vers 5h30, qui sonne le début du jeûne et qui sera retardé de quelques minutes à cause du couvre-feu, le Dhor, vers 14h et l’Asr, vers 17h30.

Les deux dernières prières, le Maghreb qui annonce l’iftar et l’Isha, ne pourront être réalisées dans le lieu de culte en raison de leurs heures tardives. Encore moins la prière propre au ramadan, le Tarawih, qui a lieu à la suite de l’Isha, soit vers 22h30.

C’est donc sur l’Asr que se concentre toute l’attention des autorités religieuses musulmanes. «Nous nous attendons à gérer un afflux important à cette heure-là, car pendant ce mois saint, beaucoup de personnes reviennent à la prière, explique Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne et porte-parole du conseil des imams du Rhône. La solution? Encourager les mosquées, surtout les plus petites, à organiser deux, voire trois prières de l’Asr. Même refrain pour la prière du vendredi, jour saint dans l’islam, équivalent de la messe du dimanche chez les chrétiens. «On demande aussi aux personnes vulnérables de ne pas se déplacer. On a beau les alerter, elles viennent quand même. C’est compréhensible, la mosquée joue un rôle social important.»

Maintenir le lien

 

Ce ramadan confiné est surtout un coup de massue pour les étudiants étrangers. C’est le cas de Hanna, 23 ans. La Cairote s’est installée à Paris il y a moins d’un an pour ses études. À l’approche de ce jeûne, elle ne peut cacher sa déception. «En Égypte, je vis dans la même maison que mes parents, mes grands-parents, mes frères et sœurs. La période du ramadan est toujours très festive, elle nous rapproche.» Elle appréhende la solitude, «le jeûne plus long en France», l’absence des plats traditionnels. Elle a pensé à rentrer «au bled» pendant ce mois-ci, mais avec son visa étudiant et les frontières fermées, les allers-retours sont impossibles.

Ils sont beaucoup dans cette situation. Kenza, sur Twitter, a lancé une initiative pour les «sortir de la solitude», en rompant le jeûne ensemble, en ligne. La démarche est simple, il suffit de remplir un formulaire. Kenza créera ensuite des groupes. «Le but est de maintenir un lien. Ça peut-être pour raconter sa journée, partager des réflexions sur ce mois sacré ou même des recettes!» Le ramadan seul, elle connaît, elle l’a déjà expérimenté. «Tu n’as même pas envie de cuisiner. Il y a certains jours, je réchauffais des plats surgelés, quelle tristesse.»

«S’il y a une année où l’élan solidaire est nécessaire, c’est bien celle-ci.»

Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne

 

Pendant le ramadan, les croyants sont invités à «sadaq», donner aux plus pauvres, aux personnes isolées. Azzedine Gaci martèle: «S’il y a une année où l’élan solidaire est nécessaire, c’est bien celle-ci.» En temps normal, les mosquées sont ouvertes et des repas de rupture de jeûne attendent les âmes errantes. Cette année, les tables resteront pliées pour respecter les mesures gouvernementales. Néanmoins, la mosquée de Villeurbanne, de même que plusieurs autres lieux de culte musulmans, a décidé de mettre en place une distribution quotidienne de colis alimentaires. Le recteur de la mosquée Othmane promet 400 repas par jour.

De nombreuses associations ont également dû s’adapter aux nouveaux défis de ce ramadan confiné. C’est le cas de Chorba pour tous, dont l’événement phare de l’année était l’organisation d’un dîner sous un chapiteau pendant le ramadan pour les étudiants précaires, les réfugiés et les personnes sans-abri. Aujourd’hui, l’association, créée en 1992, s’est résignée à des paniers-repas bien garnis: une soupe, du lait fermenté, des dattes –des mets parfaits pour rompre le jeûne–, accompagnés d’une boisson, d’un plat chaud, de fruits et d’un gâteau oriental. Chaque jour, ce sont près de 600 colis alimentaires qui sont préparés par les quarante-cinq bénévoles de Chorba pour tous. Une fierté pour son président Abdenour Dadouche, qui reste tout de même nostalgique de l’avant Covid. «On mettait de grandes tables, on cuisinait tous ensemble. C’était un réel plaisir. J’ai vu vingt-deux couples se former!», s’exclame-t-il.

L’occasion rare d’une réelle introspection

 

Des aspects positifs de ce ramadan confiné, il en existe. Il y a d’abord la possibilité de ne pas se gaver. Il y a cette image des ftours, où lorsque les coups de canon retentissent à la radio, tout le monde se jette sur une table garnie, prêt à tout dévorer jusqu’à la dernière miette. «En famille, on s’engraine, on cuisine beaucoup trop, on mange jusqu’à n’en plus pouvoir. Mais ce n’est pas ça, le ramadan. C’est la retenue», souligne Chahinaz. Yasmine, étudiante de 20 ans qui vit seule à Nice, partage cette opinion. «Pour la première fois, je vais avoir une bonne alimentation. Je peux dire adieu aux kalb el louz [une pâtisserie algérienne à base d’amande et de semoule] en pleine nuit.»

Il y a, surtout, la rare occasion d’avoir du temps pour se rapprocher de sa foi, d’établir une réelle introspection de soi: le but premier de ce mois de jeûne. Chahinaz l’assure, avant le ramadan de 2020, elle n’avait jamais pu le faire totalement. «Finalement, pendant le ramadan, tu peux être vite surmenée, entre le boulot, la cuisine, les visites chez la famille, les passages par la mosquée… Ça devient un mois éprouvant, alors que ce n’est pas censé l’être», explique-t-elle. Ça, c’était dans l’ancien monde. Dans le nouveau, elle prend «plus de temps pour méditer, lire et digérer le Coran», elle fait «[ses] prières à l’heure», elle se renseigne plus sur sa religion. Elle reprend «les bases». Notamment grâce à des comptes Instagram comme Passe Din ou des imams twitcheurs qui «amènent les mosquées jusqu’à [eux]».

Finalement l’essence même du ramadan, comme rapprochement de Dieu et de retour à la foi, reste inchangée. Pour Chahinaz, «c’est une période où on repart de zéro. Tu vois les bonnes résolutions que l’on prend le 31 décembre? Bah moi, je les fais pendant le ramadan.»

 

 

 

 

 

 

Donia Ismail

 

 

 

 

Source : Slate

 

 

 

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