Acrobaties en tout genre lors des Rencontres interculturelles du cirque d’Abidjan

La manifestation a mis en lumière, dans la capitale économique ivoirienne, des déclinaisons africaines de cet art.

Ce fut pour le moins acrobatique, mais ils y sont parvenus. Dans un monde culturel gelé par le Covid-19 depuis un an, les RICA, Rencontres interculturelles du cirque d’Abidjan, 4e du nom, ont réussi à exister, du 22 au 28 mars. Le festival s’est terminé à l’Agora Koumassi, un vaste terrain en plein air d’un quartier populaire de la capitale économique ivoirienne, avec les enfants des écoles et les jeunes recueillis par diverses associations, emballés, comme les professionnels présents, par des propositions ultra-pêchues.

Les RICA, c’est le petit festival qui monte, dans l’univers du cirque. On le doit à une femme remarquable, Chantal Djédjé, une « repat », comme on dit ici (autrement dit le contraire d’« expat »), qui, après avoir longuement travaillé dans la médiation culturelle en France, est revenue vivre à Abidjan. En 2014, elle a créé La Fabrique culturelle, un lieu pour « donner une visibilité aux nombreuses compagnies de danse, de théâtre, de marionnettes ou de spectacle jeune public qui existaient en Côte d’Ivoire, mais n’avaient aucun espace de diffusion sur place ».

Suite à une série de hasards, elle crée, sur un coup de dés, les RICA, en 2018. « A travers l’activité de La Fabrique, je m’étais rendu compte qu’il n’existait aucune compagnie de cirque dans le pays, raconte-t-elle. Et que le public ne connaissait cet art qu’à travers l’émission de télévision Le Plus Grand Cabaret du monde. »

Nouvel envol

 

Les RICA ont grandi d’année en année, vite – dix compagnies invitées en 2020, venues de France, du Canada et de tous les coins d’Afrique –, pour devenir une plate-forme pour un cirque africain en plein boom. Le cirque, sur le continent, est une idée neuve, mais dont les racines sont bien plantées dans une diversité de traditions.

Chantal Djédjé, fondatrice des Rencontres interculturelles du cirque : « Il y a une tradition du fil, de l’équilibrisme, des échasses, dans toute l’Afrique de l’Est »

 

« Nombre d’arts traditionnels, de rituels pratiqués lors des cérémonies de mort, de mariage ou d’initiation, ressortent de pratiques circassiennes, observe Chantal Djédjé. Au Bénin, des grimpeurs montent sur des bambous hauts de 15 mètres qui évoquent la discipline du mât chinois ; au Burkina Faso, les pyramides humaines étaient connues depuis longtemps ; il y a une tradition du fil, de l’équilibrisme, des échasses, dans toute l’Afrique de l’Est ; des cracheurs de feu, des lanceurs de couteau, un peu partout. Toutes les danses traditionnelles sont très acrobatiques, et les enfants les voient depuis leur plus jeune âge. Evidemment, ces pratiques étaient présentées comme relevant de la sorcellerie, de la magie. On travaille là-dessus avec les artistes, pour faire entrer ces rituels, qui sont par ailleurs en train de disparaître, dans le champ de la culture contemporaine, ce qui peut donner une identité forte au cirque africain. »

L’année 2021 devait être celle d’un nouvel envol pour les RICA. La pandémie de Covid-19 a freiné ce bel élan, mais Chantal Djédjé et son équipe ont décidé de maintenir la manifestation, en version réduite. Le Covid-19 semble circuler moins qu’ailleurs en Afrique de l’Ouest, et surtout susciter des formes moins sévères, les salles de spectacles à Abidjan ont été rouvertes en septembre 2020 et n’ont pas refermé leurs portes depuis, même pour des concerts accueillant des milliers de personnes.

Codes du coupé-décalé

 

Pour autant, le montage et la tenue du festival auront relevé de la haute voltige. L’une des troupes invitées, le cirque Accrobantous, de la République démocratique du Congo, a vu deux de ses quatre membres bloqués à leur départ à l’aéroport, parce qu’ils n’avaient pas rempli la bonne version du formulaire requis. Les Guinéens de la compagnie Tinafan, eux, sont venus en voiture à Abidjan, où ils ont bien failli ne jamais arriver, attaqués en chemin par des « coupeurs de route ».

Ce sont eux, pourtant, rescapés de l’aventure, qui ont offert aux spectateurs l’émotion forte de ce festival, et le pur plaisir d’un cirque de performance hyperphysique et sans chichis, grâce à leur création Le Monde pleure. Avec les Tinafan, qui sont les héritiers de la troupe Circus Baobab, pionnière, au début des années 2000, de l’invention d’un cirque africain, les sauts acrobatiques, les pyramides humaines, les figures de voltige au trampoline s’enchaînent avec une énergie dévastatrice. Mais le plus fascinant du spectacle est un jeune contorsionniste surdoué, véritable homme spaghetti capable de se transformer en toutes sortes de créatures fantastiques, dignes de la statuaire africaine.

L’autre sensation du festival est venue d’une toute jeune compagnie issue d’Abobo, dans les quartiers nord, de mauvaise réputation, d’Abidjan. Elle s’appelle Ivoire cirque décalé, et leur spectacle relève plus de la danse de rue que du cirque, ce qui n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui en a, en revanche, c’est la manière dont ces jeunes hommes, qui viennent de la rue et de l’extrême pauvreté, récupèrent les codes du coupé-décalé, ce mouvement musical, mâtiné de danse acrobatique, né à Abidjan dans les années 2000, et devenu aussi populaire que le rap et le hip-hop sous d’autres latitudes.

Sous la conduite du chorégraphe Hermann Nikoko, ces jeunes « coupés-décalés » libèrent une présence totalement singulière, et magnétique. C’est une Afrique ultra-contemporaine, urbaine, qui s’exprime ici, avec son humour, sa violence, son langage – le nouchi, un argot imagé –, ses codes vestimentaires nocturnes et festifs. Une Afrique qui invente une nouvelle manière de se décoller du sol, électrique, crépitante, désarticulée et jouissive. De nouveaux rituels.

 

Fabienne Darge

(Abidjan, envoyée spéciale)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

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