Exclusif-Horizons – Gabriel Hatti, grand commis de l’Etat mauritanien : «Ma priorité a toujours été le service public, l’intérêt général»

Gabriel Hatti a intégré l’Administration mauritanienne vers la fin de l’année 1971 comme administrateur civil. Il y est resté pendant plus de  30 ans  au service de l’intérêt général. Ce grand commis de l’Etat a été témoin de grands moments de l’histoire contemporaine de la Mauritanie. Il a vécu de prés (à la présidence de la République) des moments fondateurs de la souveraineté nationale comme la naissance de l’ouguiya et la nationalisation de la Miferma. Il y a connu également des périodes difficiles comme la guerre du Sahara. Au moment où la Mauritanie célèbre le 60eme anniversaire de son indépendance, Horizons a rencontré Monsieur Hatti pour livrer  à ses lecteurs le témoignage d’un homme qui a vécu de l’intérieur de grands moment de l’Histoire de la Mauritanie.

Horizons: Parlez-nous de l’histoire de vos parents. Comment ils se sont retrouvés en Mauritanie ?

Gabriel Hatti : Mes parents sont d’origine libanaise. Les libanais, comme vous le savez, sont de grands immigrants de par  le monde. Mes parents n’ont donc pas fait exception.

Au début du 20eme siècle, mon père a traversé la méditerranée pour aller aux Amériques. Il était accompagné d’un de ses cousins. Arrivé à Marseille, son cousin, Philippe Hitti, mon oncle, a continué vers Boston. Mon père, lui, a rencontré un libanais du même village qui venait du Sénégal pour se ravitailler en marchandises. Ce parent lui a proposé de venir en Afrique de l’Ouest,  au Sénégal. Mon père a laissé partir Philippe Hitti qui est d’ailleurs devenu un éminent chercheur, Doyen de l’université de Princeton et auteur de trois volumes sur l’histoire des arabes. Mon père est alors arrivé au Sénégal dans les années 1910. En ce moment, il ne parlait que l’Arabe et a rencontré des mauritaniens  avec  qui il se comprenait. Ils  ont pu le convaincre de faire le voyage de Saint-Louis où il s’est installé à Ndar-Toute qui était le quartier des mauritaniens où il y avait également le gouvernement de Mauritanie. Les mauritaniens qui y vivaient étaient Idawaly, Oulad Bousbah. Il y avait aussi des Tendgha qui étaient à l’époque des bateliers. Ils avaient de grandes pirogues de 40 tonnes qui leur permettaient de concurrencer les bateaux des messageries du Sénégal. Ces bateliers tiraient ces pirogues avec des cordes jusqu’à Matam, Podor, Kayes, Boghé, Kaédi et, au retour,  ils utilisaient la voile.

De  Saint-Louis, mon père a été conduit en 1928 par ses amis mauritaniens à Boghé où il faisait du commerce. C’était essentiellement le commerce de la gomme arabique qu’il faisait décortiquer à Boghé et  envoyait à  Saint-Louis et Dakar. Au retour, il ramenait des tissus, de l’huile…Mon père opérait entre le Brakna et le Tagant. C’est ainsi que je suis né à Boghé en 1943.

 Horizons: Que représentait en ce moment la ville de Boghé dans l’Administration coloniale ?

Horizons: C’était le temps des cercles. Aleg était le chef-Lieu du Cercle du Brakna. Boghé était une subdivision de ce Cercle. A Aleg, il y avait le commandant de Cercle et à Boghé le chef de Subdivisons qui était français.

Horizons: Vous étiez installé à Boghé Escale. Que représentait ce quartier par rapport au reste de la ville.

Gabriel Hatti : Boghé Escale, c’était en  fait…Boghé. A l’époque, si vous traversez le marigot de Djinthiou, il n’y avait pas grand-chose.  Pour trouver le premier village,

il fallait aller vers Wothy. A Boghé Dow, il y avait essentiellement le service de l’élevage.

Horizons: L’Administration coloniale  était donc à l’Escale ?

Oui. Il y avait un chef de subdivision, un gendarme, des commis expéditionnaires et un médecin, un chef de service des travaux public, la poste et un chef de service d’élevage français.

Boghé était un grand centre d’élevage et d’agriculture et aussi de rayonnement culturel et sportif. La ville était rouge de ses flamboyants.

 Horizons: C’est à Boghé que vous avez fait l’école fondamentale ?

Gabriel Hatti : J’ai fait la maternelle à Saint-Louis. Je suis revenu à Boghé ou j’ai fait  CE1, CE2, CM1 et CM2. Nous avions comme instituteurs, Monsieur Tall, Monsieur Ba Bakar, il y avait aussi feu Diaramouna Soumaré qui fut ministre et avec qui nous avions beaucoup appris. Il nous avait mis dans la bonne trajectoire pour la suite de nos études. Des maîtres professionnels et pétris d’humanité.

Avez-vous quelques souvenirs de certains de vos condisciples pendant ces études primaires ?

Gabriel Hatti: Bien sûr. Mes condisciples étaient Dieng Boubou Farba, Sall Djibril, Ba Sileye, Ba Medi, Dia Bocar, Bâ Bocar, Fall Oumar, Bocoum Mohamed …

Horizons : Vous avez fait le concours d’entrée en sixième en 1954 à Boghé ?

Gabriel Hatti : Une copie du journal officiel de l’AOF de 1955 avec les admis à l’entrée en sixième sur le territoire de Mauritanie l’atteste.

Horizons : Apres l’entrée en sixième, vous avez  fait une partie de vos études secondaire à Saint-Louis et une autre à Nouakchott ?

Gabriel Hatti : Apres l’entrée en sixième, je suis tombé malade. Mon père m’a  ramené à Saint-Louis  alors que je devais aller au collège de Rosso. Nous avions une maison à Saint-Louis ou j’ai fait  la sixième, la cinquième,  la quatrième et la troisième. J’ai continué une année à Dakar, entre 1959 et 1960 au Lycée Van vollenhoven. A l’indépendance, mon père a quitté Boghé pour s’installer à Nouakchott. C’est ainsi que je me suis retrouvé au lycée national de cette ville. J’y ai fait la première et la seconde partie du Baccalauréat Philosophie. Au Lycée national, Feu Kane Elimane  qui occupait le poste de censeur était mon correspondant. Monsieur Kane qui par la suite était vice-président  au BIT, était le fils de Kane Mame Ndiack, grand notable de Dar el Barka,  et le frère de la respectée feue Aïssata Kane. Au lycée national, j’avais comme promotionnaire, Moustapha Ould Cheikh Mohamedou, feu Abdel Kader Ould Ahmed, Abderrahmane Ould Boubou. Il y avait aussi Diagana Youssouf , Diagana Mbou, Jiddou Ould Saleck, Soumaré Silma… Nous n’étions pas nombreux. Aujourd’hui il y  a environ 50 000 candidats au Bac. A l’époque, nous étions 7 en philo et 15 pour les autres filières. J’ai eu le bac en juillet 1962.  Nos professeurs étaient   très majoritairement français. Il y avait cependant Madame Fatimata Ba, à qui j’adresse  mes sentiments respectueux.

Horizons : Apres votre baccalauréat, vous aviez comme ambition de devenir professeur d’éducation physique ?

Gabriel Hatti : Au retour du Sénégal, j’étais un grand sportif, un bon basketteur en dépit de ma taille. Je jouais aussi au volleyball. J’ai donc rapidement été intégré dans l’équipe du Lycée et, plus tard, dans les équipes nationales. Je voulais devenir professeur d’éducation physique. Au début de l’année, les élèves de terminale remplissaient des fiches dans lesquelles on leur demandait de choisir leurs spécialités à l’université. Le lycée, avec l’ambassade de France, était chargé de nous trouver des inscriptions à l’étranger sur la base de nos choix. J’étais inscrit alors au centre régional d’éducation physique de Reims en France. Quand j’ai eu le baccalauréat, je suis allé à l’ambassade de France à Nouakchott pour faire les formalités et prendre mon billet. A l’ambassade, on m’a signifié que j’étais convoqué à la présidence de la République. A la présidence, à l’époque, il y avait un commissariat au plan. Le commissaire était  Mohamed Lemine Ould Hamoni. J’avais 19 ans. Je suis entré à la présidence très impressionné. Un planton m’a conduit dans le bureau de Monsieur Hamoni, un homme extraordinaire, avec beaucoup d’autorité. Apres les salutations, il me dit : «  Monsieur Hitti, on m’a dit que vous voulez être professeur d’éducation physique et vous êtes inscrit à Reims ? » J’ai répondu « Oui  Monsieur. » Le commissaire poursuit : «  Nous, nous avons décidé autrement. Vous allez faire du droit. Pour le moment, nous n’avons pas besoin de professeurs d’éducation physique.» C’est ainsi que je me suis retrouvé à Dakar où j’ai fait la première et la deuxième année de droit. Ensuite, je  suis allé à Orléans, puis à Paris ou j’ai fait ma licence en droit. Nous étions quatre mauritaniens : Moustapha Ould Khlifa, Ba Medi Samba Boly, Kane Cheikh Mohamed Vadel et moi-même.

Quand on  était à Orléans, est arrivé Ahmed Ould Sidi Baba qui était à l’époque directeur de l’ENA de Nouakchott et membre du Bureau politique national du PPM. Il nous réunit et  nous demande quelles sont nos options après la licence. Kane Cheikh Mohamed Fadel souhaitait faire marine marchande à Bordeaux, Ba Medi le secteur social, Moustapha Khlifa les impôts à Clermont-Ferrand. Personnellement, je comptais poursuivre mes études, faire de la recherche ou être magistrat ou avocat. Monsieur Ould Sidi Baba me répliqua immédiatement : « Nous allons t’inscrire à l’Institut  international d’administration publique, IIAP. »  Je me suis alors retrouvé à l’IIAP de Paris. Cet institut était L’ENA pour les étrangers. J’ai fait deux ans dans cette  grande école, une année théorique et une année de stage en préfecture. Apres avoir obtenu mon diplôme, je suis revenu en Mauritanie ou j’ai été intégré avec le grade d’administrateur civil vers le fin de l’année 1971. C’est ainsi que j’ai été le premier administrateur civil universitaire de Mauritanie.

Monsieur Ahmed Ould Sidi Baba, était, par la suite, devenu ministre de l’information. Il avait de grands projets pour son ministère. C’était le moment où était envisagées  la mise en place d’une télévision, la naissance d’un quotidien national (Chaab), d’une agence nationale de presse….J’ai alors été nommé à cette époque directeur général de l’imprimerie nationale qui dépendait du ministère de l’information et qui devait lancer le quotidien national en français et en arabe.

Horizons : Quel était le rôle de l’imprimerie nationale à l’époque ?

Gabriel Hatti : Il y avait en ce moment,  à Nouakchott, une petite imprimerie privée qui imprimait les entêtes de l’Administration. Les allemands avaient décidé de bâtir une  grande imprimerie pour la Mauritanie. C’est cette nouvelle structure qui imprimait tous les documents officiels, le journal officiel en arabe et en français. En tant que directeur, j’y avais fait imprimer un livre du grand érudit, Imam de la mosquée du Ksar, Boudah Ould Bousseyry.

L’ambition était surtout de lancer les journaux quotidiens Chaab en arabe et en français. Ça a été fait au moment où j’étais directeur de l’imprimerie. A l’époque j’y travaillais avec feu  Mohamed Said Hamody ainsi que d’autres collègues qui sont devenus d’éminentes personnalités.

Horizons : Vous rappelez  vous de la date exacte de parution des premiers numéros du quotidien national Chaab ?

Gabriel Hatti : Le premier numéro de la version en arabe est paru à l’occasion de la visite officielle du Roi Fayçal en Mauritanie. Nous avons sorti le numéro avec une grande manchette annonçant la visite du gardien des lieux saints.

Le Premier numéro en français est paru à l’ occasion de la visite de Mobutu Sesse Seko. Nous avons également fait une grande manchette « Oyé, Mobutu Sesse Seko Kuku Nguenbu Wazabanga…. »

Au bout d’une année et demie, j’ai quitté la direction de l’imprimerie nationale.

Horizons : Apres l’imprimerie nationale, vous avez été conseiller aux affaires administratives  au secrétariat général de la présidence…

Gabriel Hatti : Oui. Yedaly Ould Cheikh, Bal Mohamed El Béchir et moi avions été appelés à la présidence. Bal, un grand commis de l’Etat, s’occupait essentiellement des régions qui dépendaient directement  de la présidence. Il y avait deux français à l’époque au palais. Joseph  Maroil, directeur de la législation. Le second, Abel Campourcy, qui était la cheville ouvrière. Le président Moktar l’avait connu à Atar ou il était commandant de cercle. Donc à la présidence, Yedaly Ould Cheikh travaillait avec Maroil et moi avec Campourcy. Ce dernier s’occupait du conseil des ministres, des circulaires, des lettres aux chefs d’état  ainsi que des discours. Il était un peu l’homme à tout faire qui verrouillait tout. Tout le courrier lui était présenté avant de parvenir sur le bureau du président.

Horizons : A partir de 1973, vous étiez conseiller aux affaire administratives à la présidence. C’était votre premier contact avec Mokhtar Ould Daddah ?

Gabriel Hatti : J’ai été par la suite désigné secrétaire général adjoint chargé des affaires administratives et Yedaly ould Cheikh, chargé des affaires juridiques. Le président Moktar, c’était le respect, le sens du travail bien fait. Le secrétaire général de la présidence était Mohamed Aly Cherif. Nous dépendions de lui. Nous avions des réunions  de cabinet chaque semaine avec le président. En plus du travail qui m’était confié, j’ai accompagné le Président dans ses voyages à plusieurs reprises.

Horizons : A partir de 1975, vous êtes arrivé au ministère de l’intérieur comme chargé de mission…

Gabriel Hatti : A ce moment, avec les grands projets de réorganisation du gouvernement, certains secteurs ont été érigés en ministère d’Etat. Ainsi sont nés les ministères d’Etat (économie, économie rurale, ressources humaines, orientation islamique, affaires étrangères) le ministère d’Etat à la souveraineté  interne qui coiffait la défense, l’intérieur et la justice.   Ce grand département avait comme ministre Ahmed Ould Mohamed Salah. Le président Moktar l’appelait d’ailleurs « Compé » en raison de ses grandes compétences. Le président donnait souvent des surnoms à ses collaborateurs. Ainsi, Diaramouna Soumaré était « DS » en référence à la  voiture Citroën DS 19. Il y avait aussi les trois Aziz  de la présidence : Sall Abdoul Aziz, directeur de Cabinet AZ1, Abdel Aziz ould Ahmed, directeur adjoint de cabinet AZ2 et le coursier Ould Mkheitrat AZ3.

Horizons : Vous étiez donc chargé de mission dans ce ministère d’Etat chargé de la souveraineté intérieur?

Gabriel Hatti : Le chargé de mission était à l’époque en même temps le directeur de cabinet et le secrétaire général du ministère.

Pour des raisons de service, c’est là que l’occasion m’a été donné de sillonner tout le territoire mauritanien dans son intégralité et de connaître le pays profond. C’était fascinant pour un jeune administrateur.

Horizons : Vous avez été aussi chargé de la préparation et de la supervision des élections présidentielles et législatives …

Gabriel Hatti : Tout à fait.

Horizons : Ce sont les élections de quelle année ?

Gabriel Hatti : Il y a eu d’abord des élections législatives et présidentielles. Il s’en est suivi le rattachement d’une partie du Sahara occidental à la Mauritanie. Il fallait donc organiser un referendum et  des législatives complémentaires pour élire trois députés de la partie du Sahara intégrée à la Mauritanie. Je coordonnais l’organisation de ces élections.

Horizons : Les législatives complémentaires, c’était en quelle année ?

Gabriel Hatti : En 1976, après les accords de  Madrid qui ont rattaché le Rio de Oro (Tiris El Gharbia) à la Mauritanie.

Horizons : C’était des élections avec un parti unique…

Gabriel Hatti : Parti unique et même institutionnel. Le PPM (parti du peuple mauritanien) figurait dans la constitution comme seul parti de l’Etat. Les gouverneurs (Walis) était aussi délégués régionaux du parti. Naturellement Moktar Ould Daddah était candidat unique du parti à la présidence de la République.

Horizons : Pendant la  guerre du Sahara vous étiez  à la présidence. Quelle était l’ambiance ?

Gabriel Hatti : Oui, il y a eu cette guerre qui a entrainé la Mauritanie dans une situation difficile.  Le cumul des  forces de sécurité (armée, gendarmerie, police et garde) était de 2000 personnes. Avec la guerre, nous sommes passés à plus de 10 000 hommes. C’était une période d’incertitude. Autant nous avions connu des périodes fascinantes à la présidence comme la création la monnaie nationale Ouguiya en 1973, la nationalisation de la Miferma (mine de fer de Mauritanie) en 1974, des moments d’intenses activités, pleins d’émotion, glorieux pour le pays ….Autant, avec la guerre, les choses se sont progressivement dégradées et cela a débouché sur le coup d’Etat de 1978.

Apres cet évènement, Yedaly Ould Cheikh , Ball et moi, nous nous demandions ce que nous allions faire. On ne connaissait pas bien  les intentions des militaires qui venaient de prendre le pouvoir. Mohamed Said Hamody a été nommé secrétaire général de la présidence de la République. Il venait de Rabat ou il était premier conseiller à l’ambassade de Mauritanie. A l’époque,   Yedaly Ould Cheikh et moi avions été consultés pour l’élaboration de la charte constitutionnelle. Avec Said Hamody, nous avons fait ensemble un parcours au lycée Faidherbe de Saint-Louis. J’avais aussi travaillé avec lui à l’imprimerie nationale. Nous avions rencontré Said chez lui à l’époque. Il nous a dit «  Voilà, j’ai besoin de vous. Il faut absolument que vous restiez avec moi car nous devons assurer la continuité des affaires de la république. C’est le souhait du Colonel Saleck, nouveau Chef de l’Etat. »

Le Président Saleck, par ailleurs, était un homme calme et sage. Nous avons bien travaillé avec lui. C’est un ancien enseignant qui aimait les textes bien faits et lui-même avait une calligraphie parfaite.

C’est ainsi que j’ai continué à servir à la présidence malgré la proposition de feu le Colonel Jiddou Ould Saleck, mon promotionnaire et ministre de l’intérieur, de me nommer gouverneur de Dakhlet Nouadhibou.

Horizons : Vous avez évoqué la nationalisation de la Miferma. J’imagine que c’était une décision difficile…

Gabriel Hatti : A la présidence, Yedaly Ould Cheikh et moi, avons participé à la préparation institutionnelle de la nationalisation de la Miferma car elle ne s’est pas faite du jour au lendemain. Elle a été minutieusement préparée. Certains, comme Ismail Ould Amar, le Président Sidi Ould Cheikh Abdellahi, Mohamed Aly Cherif, Isaac Ould Rajel étaient à la manœuvre. Ils ont parcouru le monde pour préparer politiquement cette opération.

Apres cette phase de préparation, il y a eu le passage à l’acte avec  la rédaction de la loi portant nationalisation de la MIFERMA. Nous y avions participé. Le président Moktar, par précaution et par décence, avait mis les français qui travaillaient à la présidence en congé. Nous étions en quarantaine au palais. Il fallait que tout soit prêt la veille du 28 novembre 1974 dont le moment fort était le discours du président de la République à la Nation prononcé au parlement. C’était la tradition. Nous avons préparé ce discours en évoquant les réalisations de l’année écoulée. Mais le plus important était que, séance tenante, face aux représentants de la nation, le Président devait annoncer la nationalisation de la MIFERMA et la naissance de la SNIM. Les députés devaient approuver par vote le projet de loi portant nationalisation.

Comme toute la phase de préparation avait été verrouillée, quand le président Moktar a annoncé la nationalisation, c’était  la surprise générale. Certains diplomates ont rapidement quitté la salle des plénières de l’assemblée nationale pour aller annoncer la décision à leurs gouvernements. Les députés ont voté à main levée avec acclamation soutenue.

La nationalisation de la Miferma a été un acte fondamental de souveraineté. Cette décision et celle créant l’ouguiya ont été  le parachèvement de la souveraineté internationale de la Mauritanie. C’était une façon, pour le pays, de prendre définitivement son destin en main après l’accession à l’indépendance en 1960.

Horizons : Les suites de la nationalisation, avec la réaction de la France n’ont pas été faciles ?

Gabriel Hatti : C’était difficile car nous étions dans le sillage du pré-carré français. Cette décision très osée était un acte fort qui gênait beaucoup. Cela n’a pas été facile mais la coopération avec la France s’est sereinement poursuivie.

Horizons : Nous avons évoqué  une partie de votre carrière administrative. Vous avez aussi travaillé dans la protection de l’environnement, notamment au banc d’Arguin

Gabriel Hatti : A la présidence, à l’époque, il m’avait  été confié le dossier du banc d’Arguin. Le Pr Théodore Monod était un ami du président Moktar. Il venait en Mauritanie chaque année et s’intéressait beaucoup au banc d’Arguin. Il plaidait constamment pour la  création d’un parc national afin de faire du banc une aire marine protégée. J’étais toujours son interlocuteur. C’est ainsi que l’Etablissement public du Banc d’Arguin a été créé dans mon bureau en 1976.

Le banc d’Arguin, patrimoine de l’humanité doit être préservé car, représentant un phénomène écologique majeur et unique au monde en tout point de vue : humain, ichtyologique, ornithologique, valeurs paysagères interface désert-océan fabuleux. Tout devrait être mis en œuvre pour préserver ce capital biologique.

J’ai ensuite quitté  la Mauritanie pour la FAO. A mon retour, je suis resté à la présidence pendant deux ans. En  1994, le Banc d’Arguin avait pris une autre dimension avec un grand rayonnement international. Il m’a été proposé sa direction.

Horizons : Vous avez aussi une carrière universitaire, notamment à l’ENA de Nouakchott…

Gabriel Hatti : J’ai enseigné le droit constitutionnel à l’ENA. Ainsi que l’organisation et la méthode administrative. Plusieurs générations de fonctionnaires étaient mes étudiants dans cette école. J’étais professeur à l’ENA et je présidais aussi souvent des concours nationaux de hauts fonctionnaires, comme les administrateurs civils, les attachés d’Administration. J’ai présidé également les concours des commissaires de polices.

Horizons : Apres le baccalauréat, vous aviez des ambitions sportives. Vous en avez été détourné. Vous êtes tout de même resté dans le sport.

Gabriel Hatti : J’ai été international de Volleyball et de basketball. Même fonctionnaire, je continuais à jouer.

J’ai présidé la fédération nationale de basketball et de volleyball.

Avec des amis, nous avons monté le comité olympique national. J’en ai été président pendant 10 ans. A l’époque, c’est feu le colonel Thiam qui était ministre de la jeunesse et des sports.  J’ai fait venir le président du CIO, juan Antonio Samaranch,  à Nouakchott, en 1985  qui a été reçu par le chef de l’Etat. Par la suite le Comité national olympique et sportif mauritanien a été reconnu par le Comité international olympique.

Horizons : En tant qu’international, vous avez joué quelles compétions ?

Gabriel Hatti : J’ai pris part aux jeux de l’amitié à Dakar en 1963 et aussi aux jeux panarabes. Dans notre équipe de Basket, il y avait  Lo Samba Yero, Lo Samba Gambi, Fall Thierno, le Pr Cheikh Saad Bouh  Kamara. Nous étions polyvalents Basketball et Volleyball. Certains,  comme Salem Ould Memou et Sneydri, cumulaient plusieurs sports dont le football.

Nous avions une belle équipe de volley aussi avec Salem Ould Memou, Cheikh Sid Ahmed Babamine, Kamara Moustafa, Cheikh Saad Bouh Kamara, Jiddou Ould Haiba, Sidi Ethmane dit pacheco qui rivalisait avec les plus grandes équipes d’Afrique et du monde arabe.

Horizons : Vous êtes entré dans l’administration en 1971. Vous avez continué même après le coup d’état….

Gabriel Hatti : A l’époque en tant que fonctionnaire,  on touchait 24 000 ouguiyas par mois. Ma vie, ma vocation était de servir dans l’Etat. J’aimais le service public, l’intérêt général. C’est pourquoi après le coup d’état de 78, je suis resté.

J’ai aussi vécu le coup d’état du 16 mars 1981. J’étais à la présidence. Le président Haidalla était en voyage dans le nord de la Mauritanie. Le putsch a eu lieu vers 10 heures du matin. J’étais dans mon bureau ou trois militaires ont été abattus. J’ai failli  y laisser ma vie. Un des commandos putschistes est entré dans mon bureau. Il était sur le point de me lâcher une rafale. C’est le Colonel Kader qui m’a sauvé la vie en  criant « laisse-le ». Je lui dois la vie. C’était un vieil ami loyal et sincère.

Horizons : Vous aviez aussi une carrière de fonctionnaire international

Gabriel Hatti : Au moment où Feu Bouna Kane était ambassadeur de la Mauritanie à Bruxelles, j’ai obtenu un poste important aux ACP-CEE. Par la suite, le Directeur Général de la FAO, Edouard Saouma, en visite en Mauritanie, a proposé de recruter un fonctionnaire mauritanien pour son organisation. J’ai été proposé et j’ai fait 05 ans  dans son cabinet à Rome où j’étais senior adviser et attaché de cabinet pour l’Afrique.

Horizons : Vous avez vécu à Boghé, vous avez joué dans les équipes nationales de basket et de volley. Quelle était l’ambiance de l’époque.

Gabriel Hatti : Elle était  différente. Au lycée national, nous étions à l’internat. On était toujours ensemble. Même à l’étranger nous sommes restés soudés. A Orléans, je partageais la chambre avec  Moustapha Khlifa et Ba Medi. En tant que fonctionnaire, on se côtoyait, on s’entraidait.

Dans les années 49-50, mon père était très proche des grandes notabilités comme Cheikh Saad Bouh Kane, Ba Al Hassan Mbekou, l’Emir du Tagant (Abderrahmane Ould Soueid Ahmed), l’Emir du Brakna (Bakar Ould Ahmedou).

Ma sœur ainée a été la première femme bachelière en Afrique de l’Ouest. Après son  bac dans les années 48-49, mon père ne voulait pas l’envoyer en France. Elle a donc travaillé pendant deux ans à l’IFAN. En ce moment, le célèbre savant Ould Hamidoune était à Saint-Louis ou il travaillait. Il venait faire des recherches à l’IFAN. Ma sœur était chargée de lui assurer le secrétariat. Elle tapait tous ses documents. Mon père connaissait tout ce monde dont  Sidi Mokhtar Ndiaye, Souleymane Ould Cheikh Sidya. Cette ambiance sociale dans laquelle  famille a connue en Mauritanie a fini par forger mon destin.

Notre maison à Saint Louis (Ndar Toute) était le lieu de rencontre de toutes les  personnalités mauritaniennes qui y venaient à l’occasion des réunions avec l’administration coloniale ou pour des raisons de santé.

Le savant et respecté chercheur Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah El Chennafi, ami de mon grand frère, paix à leurs âmes, a été la personne qui m’a le plus encouragé, influencé et aidé à servir l’Etat en qualité de haut fonctionnaire. Je garde un merveilleux souvenir de lui.

Horizons : Vous avez passé plus de 30 ans, à un haut niveau, dans l’Administration nationale. La Mauritanie fête le  soixantième anniversaire de son indépendance. Quels sont vos souhaits pour votre pays?

Gabriel Hatti : Je vais vous avouer une chose : A  Rome, j’étais  à la  FAO, j’étais dans le système des Nations  Unies. J’avais le grade de D2. A l’époque, il m’a été proposé des postes très importants. Il m’avait aussi été demandé si je pouvais revenir à la présidence à Nouakchott. Je n’attendais que cette deuxième option. J’ai quitté Rome où je touchais 8 000 dollars pour revenir comme conseiller à la présidence avec 65000 ouguiyas. Ma priorité a toujours été de servir mon pays. Je l’ai donc servi dans des moments difficiles, parfois dangereux. La Mauritanie m’a tout donné. Je suis ici. Je vis ici. Mon fils vit ici avec mes petits-enfants. Mes parents sont enterrés ici.

Dans ma carrière, j’ai connu des moments difficiles et de doutes,  mais aussi des moments d’intense bonheur. Pour ce 60eme anniversaire, je souhaite la paix, le renforcement de l’unité nationale, une bonne exploitation des richesses qui suffisent amplement pour assurer le développement du Pays et rendre heureux la population en la mettant dans les meilleures conditions de vie.

Personnellement, j’ai adhéré au premier discours programme du Candidat Ghazouani. Si le Président qui a été élu demeure dans la trajectoire de son programme initial, la Mauritanie retrouvera inéluctablement le chemin de l’unité de la paix et de la prospérité.

Propos recueillis par Khalilou Diagana

Numéro Spécial Indépendance du Quotidien National Horizons

Source : Initiatives News    (Le 30 novembre 2020)

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