Au Sénégal, l’agence Yux adapte le design numérique aux réalités locales

La start-up développe des interfaces de sites et d’applications en veillant à les adapter au contexte des pays africains ciblés.

Laboratoires d’innovation et start-up fleurissent à Dakar, la capitale du Sénégal. Au sein de cet écosystème, depuis 2017, Yux Design fait figure de défricheur. Sa spécialité ? L’UX, pour « user experience » (expérience utilisateur) : une discipline qui émerge à peine dans la région et dont l’objectif est d’améliorer le ressenti de l’utilisateur dans ses interactions avec des services numériques.

En Afrique subsaharienne, les modèles de sites et d’applications sont très souvent calqués sur ceux des pays du Nord. Pourtant, « le numérique est comme tout autre produit », insiste le Français Yann Le Beux, l’un des cofondateurs de Yux Design : « Pour qu’il soit adopté par la cible, il doit prendre en compte les problématiques et les besoins locaux, refléter la culture et les identités. »

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Il y a trois ans, le Congolais Daniel Locko (Brazzaville) et la Franco-Américaine Camille Kramer, deux designers, ainsi que le Français Yann Le Beux, ingénieur matériaux formé au management de l’innovation, se rassemblent autour d’une table. Les trois acolytes, qui se sont rencontrés à Dakar où ils travaillaient tous les trois dans le monde du numérique et des start-up, commencent par créer des ateliers pour former graphistes, développeurs et entrepreneurs volontaires aux méthodologies et outils du design. Le marché est presque vierge et la communauté se fait rapidement remarquer. Bientôt, des géants comme Orange et Total lorgnent ses activités.

Des multinationales aux jeunes pousses

 

Yux Design est créé. L’agence se structure et accompagne des multinationales (finance, télécoms…) et des organisations comme l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid) ou l’Agence française de développement (AFD) dans la conception de leurs interfaces de sites ou d’applications. En parallèle, elle casse ses prix pour proposer ses services à des jeunes pousses qui tentent de se faire une place sur le marché.

Mais comment élaborer des produits numériques fonctionnels quand on ne connaît pas les profils des populations visées, leurs besoins et leurs attentes ? Dans le monde occidental, les données des utilisateurs sont facilement accessibles. Le contexte africain est tout autre. Alors Yux Design crée Looka, une application de collecte et de visualisation de données adaptée aux villes africaines. L’équipe forme des enquêteurs de terrain et les études finales, publiées en ligne, sont accessibles gratuitement. « Cela représente beaucoup de temps et d’argent, assure Camille Kramer, mais nous tenons à montrer le lien entre sociologie, anthropologie et numérique. »

 

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Victime de son succès, Yux Design doit embaucher, mais les talents manquent dans le domaine. Et pour cause : aucune formation en UX et en design n’est alors disponible à Dakar. Qu’à cela ne tienne, les fondateurs postent des offres d’emploi sur les réseaux sociaux. Aux plus intéressés et motivés est offerte l’opportunité de tout apprendre en interne.

Aïssatou Dione, par exemple, était sage-femme. Un jour, elle a vu cette annonce au ton décalé sur Facebook. Depuis, la jeune femme est « UX researcher » au sein de la jeune entreprise. « Nous voulons des gens qui soient sincèrement intéressés par le numérique et qui y croient, insiste Camille Kramer. Ils doivent aussi être à l’écoute, car c’est un prérequis essentiel dans le milieu créatif. »

Un nouveau bureau à Abidjan

 

L’apprentissage au quotidien devient le fil conducteur de Yux Design. En janvier 2019, la start-up lance même sa propre « academy ». Des formations professionnelles intensives de deux à sept mois sont proposées à deux cohortes d’une dizaine d’étudiants. Pour les professionnels qui veulent acquérir de nouvelles compétences, le coût des cours du soir est élevé (485 000 francs CFA, soit 740 euros, pour neuf heures de cours par semaine pendant deux mois) et c’est souvent l’entreprise qui paie.

Mais Yux Design a prévu une solution plus accessible pour les jeunes qui rêvent d’entrer sur le marché du travail : une modeste participation leur est demandée pour s’inscrire, puis il s’agira de verser 15 % des six premiers mois de salaire – c’est dire si l’academy croit en ce qu’elle enseigne. Le meilleur étudiant restera dans les bureaux de Yux Design, qui emploie actuellement 30 personnes à plein temps entre Dakar et son nouveau bureau à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

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Pendant ce temps, la fine équipe du « lab » développe des projets internes. « Quand on travaille pour un client, on se rend compte qu’on manque de certains outils adaptés au contexte, comme des icônes qui décrivent les réalités du Sénégal, tout simplement », indique Yann Le Beux. Les icônes, justement, c’est devenu le nouveau dada de deux développeurs et d’un designer de Yux Design, qui mettent en ligne leurs créations sur la plateforme cocoji.co.

Alors que les tentacules de Yux Design ne cessent de pousser, certains clients potentiels ne voient pas d’un bon œil la pluralité des activités de l’agence. Mais pour les fondateurs, peu importe, car tout est complémentaire. « On nous a déjà dit de nous concentrer sur certaines activités, car développer toutes ces choses pouvait réduire notre crédibilité en tant qu’agence, rapporte Yann Le Beux. Mais pour nous, c’est indissociable. On n’a pas l’intention de se limiter. »

Marie Lechapelays

(Dakar, correspondance)

Source : Le Monde

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