En Mauritanie, le président Ghazouani sort de l’ombre d’Aziz et affirme son pouvoir

Depuis sa prise de fonctions, en août, le nouveau chef de l’Etat prend soin de s’émanciper, pas à pas et en douceur, de son prédécesseur.

On ne voyait qu’elle, cette chaise vide. Un siège tapissé de velours rouge, comme les dizaines d’autres installés sur la tribune officielle dressée, jeudi 28 novembre, dans la ville d’Akjoujt (centre-ouest) prête à célébrer le 59e anniversaire de l’indépendance de la Mauritanie. Initialement, Mohamed Ould Abdel Aziz aurait dû s’y asseoir. Mais comme il semble se sentir à l’étroit dans son costume d’ex-président (2009-2019) qu’il a dû revêtir le 1er août, au soir de l’investiture de son successeur, il ne s’est pas montré en tribune.

Tous les Mauritaniens ont remarqué son absence, se demandant s’il fallait y voir l’expression de sa mauvaise humeur ou si on lui avait discrètement recommandé de ne pas venir. On ne voyait donc que cet espace vide… jusqu’à ce qu’il soit comblé par le président du Conseil constitutionnel. Tout un symbole alors que, depuis son élection, le nouveau chef de l’Etat, Mohamed Ould Ghazouani, multiplie les gestes d’ouverture en direction de l’opposition et les promesses de respecter un Etat de droit malmené jusqu’alors.

Selon un proche du nouveau président, cet épisode marque « la fin d’une illusion ». « Ça clarifie la situation, ajoute notre source. Le vrai chef c’est Ghazouani, qui n’est pas le Dmitri Medvedev local d’un Vladimir Poutine mauritanien ! » La question faisait jaser tout Nouakchott, et cela ne datait pas de ces derniers jours. Elle flottait dans l’air depuis l’annonce de l’investiture du candidat Ghazouani à la présidence, début 2019. Elle était portée par la proximité existant entre les deux généraux, forgée dans le succès de deux putschs militaires conduits main dans la main ces quinze dernières années.

Pas d’attaques publiques

 

Le taiseux Ghazouani avait jusqu’alors vécu dans l’ombre du sanguin Aziz. Il a occupé successivement les postes de chef d’état-major des armées puis de ministre de la défense, fonctions hautement stratégiques dans ce pays sahélien (frontalier du Mali) ébranlé par des attaques terroristes à la fin des années 2000. Pour l’opposition, il ne faisait donc aucun doute qu’il ne serait qu’une marionnette manipulée par son ancien chef. Les signaux envoyés par le nouveau président depuis son investiture entretenaient le doute. Issu d’une prestigieuse famille maraboutique, adepte du dialogue et du compromis, il a pris soin de ne pas heurter son prédécesseur, notamment dans le choix des nominations lors de la constitution de son équipe : pas de nettoyage par le vide, mais un savant dosage de nouveaux et de quelques anciens.

Une source proche de la présidence nous affirme que le nouveau chef de l’Etat a fait passer la consigne de ne pas attaquer publiquement son prédécesseur. Lors d’un entretien au Monde, il n’a pas dévié de sa ligne, s’attelant à minimiser « l’ampleur du fossé » séparant les deux hommes, tout en reconnaissant « un décalage entre leurs visions et leurs appréciations ». « Ignorer Aziz est plus efficace que de continuer à le faire vivre en parlant de lui », ajoute notre interlocuteur anonyme. « Le bilan [des deux mandats précédents] ne nous intéresse pas, nous ne sommes pas sur une position défensive », glisse aussi, dans une forme de dédain, le premier ministre Ismaïl Ould Bedde Ould Cheikh Sidiya, connu pour être un farouche détracteur de Mohamed Ould Abdel Aziz.

 

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Dans le même registre, il n’a échappé à personne qu’à chacune de ses sorties publiques, le nouveau chef de l’Etat évite soigneusement de rendre hommage aux deux mandats de son « ami » et « frère », érigés en « décennie glorieuse » par les partisans d’Aziz, dont les rangs semblent d’ailleurs s’éclaircir. Comme le montre la tentative ratée de l’ancien président, à peine revenu en Mauritanie mi-novembre, de mettre à sa botte le parti au pouvoir, l’Union pour la république (UPR). Sans doute était-il convaincu que les 102 députés de l’UPR – qui pour la plupart lui doivent leur élection – le suivraient comme un seul homme. Las, 88 d’entre eux se sont fendus d’un communiqué pour déclarer leur fidélité à « la ligne » de son successeur, dont le style ouvert et accessible, les premières décisions sociales et les promesses soulignent en creux les manquements de l’ancien putschiste.

Une armée dans l’armée

 

Plus attendue, l’opposition semble décidée à gâcher la retraite de l’ancien président. Plusieurs parlementaires viennent d’annoncer leur intention de demander la création d’une enquête parlementaire sur l’origine de la fortune d’Aziz et de sa famille. Il ne s’agit pour le moment que d’une menace.

Un autre symbole réside dans le limogeage, la veille de la fête nationale, du chef du Groupe de sécurité présidentielle, l’ex-Basep, à la tête duquel Mohamed Ould Abdel Aziz mena ses deux coups d’Etat. Cette unité, dotée de moyens d’intervention militaires classiques mais également de services d’écoute très perfectionnés, constitue une véritable armée dans l’armée, qui elle-même forme la colonne vertébrale de cet Etat sécurocrate. « J’aurais d’ailleurs dû faire ce changement avant », a reconnu Mohamed Ould Ghazouani.

 

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Les rues de la capitale bruissaient alors d’une rumeur sur la préparation d’un coup de force militaire, rumeur que l’état-major de l’armée a cru nécessaire de démentir. La Mauritanie en a tellement connu que ce genre de bruit de fond prend aussitôt une certaine crédibilité. L’ancien ministre de la défense le sait mieux que quiconque. Tout comme il sait que la menace peut aussi venir, potentiellement, de la gendarmerie (toujours dirigée par un fidèle de l’ancien président), de l’armée de l’air (bien équipée) ou de la police (notoirement corrompue).

Le nouveau président veille et, pas à pas, installe son pouvoir. Mais les soubresauts provoqués par le retour de son « ami » pourraient l’inciter à moins de prudence et à accélérer la valse des changements de têtes au sommet du pouvoir.

Christophe Châtelot

(Nouakchott, envoyé spécial)

Source : Le Monde

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