Littérature mauritanienne, Un million de poètes. Et nous, et nous….

Les programmes scolaires africains peinent à s’affranchir des classiques francophones. Mais le jeune corps enseignant prend des initiatives. Halte en Mauritanie, le « pays au million de poètes » comme on le surnomme dans le monde arabe.

En matière de littérature, les écoles et universités africaines francophones restent encore aujourd’hui dominées par les Zola, Maupassant, Musset, Camus, Malraux… Certes, on retrouve, çà et là, des classiques africains tels que les porte-étendards de la négritude (Senghor, Césaire, Damas, David Diop) et autres Bernard Dadié, Albert Memmi, Mongo Beti, Yambo Ouologuem, Cheikh Hamidou Kane, Ahmadou Kourouma, Williams Sassine ou Tierno Monénembo. On constate cependant peu d’évolution. En Mauritanie comme au Sénégal, au Mali, au Togo, etc., les ministères de l’Éducation, de l’Enseignement ou de la Culture se concertent peu pour décider des oeuvres à inscrire aux programmes. Et surtout en ce qui concerne les auteurs nationaux. Des universitaires, comme Séwanou Dabla (1), montrent dès les années 1980 que ces programmes pouvaient être abondamment nourris par des écrivains africains. Qu’ils vivent sur le continent ou ailleurs. Sauf que l’initiative d’y inscrire des textes nouveaux émane plus de la volonté et du libre arbitre des enseignants.

Faire connaître et étudier la littérature nationale

En Mauritanie, l’enseignement des auteurs mauritaniens d’expression française à l’université date de 2009, grâce aux professeurs M’Bouh Séta Diagana (2) et Manuel Bengoéchéa, un universitaire français ayant consacré sa thèse à cette littérature. Avant cela, cette jeune écriture fut signalée par Catherine Belvaude (3), Nicolas Martin-Granel, Idoumou Mohamed Lemine et Georges Voisset (4). Entre 1995 et 2015, les revues Notre Librairie et Interculturel Francophonies consacrent des numéros à la littérature émergente.

Créé en 2012, le Groupe de recherches en littératures africaines (GRELAF) franchit un autre pas avec l’Anthologie de littérature mauritanienne francophone (Joussours/Ponts, 2016) avec des chercheurs du département qui planchent sur près d’une quarantaine d’œuvres : de la poésie au roman en passant par le théâtre. On y retrouve des auteurs tels que le dramaturge Moussa Diagana, lauréat du Prix RFI Théâtre en 1988 pour La Légende du Wagadu vue par Sia Yatabéré, le poète Oumar Diagne ou le romancier Beyrouk, prix Ahmadou Kourouma 2016.

Tout récemment, des professeurs du lycée français Théodore-Monod de Nouakchott, Annabelle  Maillard, Aurélie Pons, Abdourahmane Thiam et Frédéric Bernard, ont publié Entre ciel et sable. Anthologie de poésie mauritanienne d’expression française. Ce florilège de différentes générations de poètes vise à promouvoir ce patrimoine écrit. « Enseigner les auteurs nationaux, dit le professeur Mamadou Diop, chef du département Lettres à l’université, c’est donner à sentir des réalités plus proches. À travers les textes, élèves et étudiants retrouvent leurs us et coutumes, mais aussi leur quotidien. Aujourd’hui, grâce à nos enseignements, on voit des étudiants travailler sur les années de conflits en Mauritanie, avec des textes de Harouna-Rachid Ly, Bios Diallo, et sur d’autres axes, à partir d’écrivains comme Moussa Ebnou, Tène Youssouf Gueye, Aïchetou Mint Ahmedou. Dans les uns des plaies, les autres des rites… »

Peu d’éditeurs, mais une diffusion dynamique

Cela dit, littérature rime avec édition. Or, explique Idoumou Mohamed Lemine Abass, écrivain et vice-président de l’Association mauritanienne pour la francophonie (AMF) : « En Mauritanie, après l’éphémère expérience des éditions 15/21, seul Joussours/Ponts publie des œuvres de création en français. Il faudrait alors soutenir l’édition. Voire créer un salon du livre national, afin d’encourager des talents. Susciter aussi de réels engagements des institutions. » Car aujourd’hui, l’essentiel des œuvres est publié à l’étranger.

En Mauritanie, la littérature francophone nationale se diffuse à travers la Semaine de la langue française et de la francophonie qui, avec l’AMF, distribue chaque année des livres d’auteurs mauritaniens dans les écoles, la revue Souffles sahariens éditée par l’Association des écrivains mauritaniens d’expression française, la presse, les librairies et bien entendu l’université où existe un Département de langue et littérature françaises (voir entretien ci-contre). Il y a aussi l’activisme des associations « Planète Jeunes de Tékane » et « J’aime lire », qui développent des lectures et organisent des concours avec des bibliothèques mobiles.

« Enseigner les auteurs nationaux, c’est donner à sentir des réalités plus proches. À travers les textes, élèves et étudiants retrouvent leurs us et coutumes, mais aussi leur quotidien »

 

De même, depuis 2010, a lieu chaque année un festival littéraire, les « Traversées Mauritanides », grâce auquel des écrivains

animent des conférences et partent à la rencontre du grand public et des scolaires. Ainsi, aux côtés des nationaux Beyrouk, Abdarahmane Ngaïdé, Idoumou, Marième Derwich, Brahim Bakar Sneiba, l’évènement a aussi reçu le Marocain Tahar Ben Jelloun, lauréat du prix Goncourt 1987, plusieurs lauréats du prix des Cinq continents de la Francophonie (Yamen Manaï, Geneviève Damas, Amal Sewtohul), et d’autres écrivains comme Marguerite Abouet, Felwine Sarr, Sami Tchak, Intagrist El Ansari… On peut donc dire qu’au « pays du million de poètes », la langue française est présente, malgré le faible soutien qu’elle reçoit.

1. S. Dabla, Nouvelles écritures Africaines : Romanciers de la seconde génération, L’Harmattan, 1986.

2. M. S. Diagana, Éléments de la littérature mauritanienne de langue française, L’Harmattan, 2008.

3. C. Belvaude, Ouverture sur la littérature mauritanienne, L’Harmattan, 1989.

4. N. Martin-Granel, I. M. Lemine et G. Voisset, Guide de la littérature mauritanienne. Une anthologie méthodique,

L’Harmattan, 1992.

Entretien

Trois questions au Pr Mamadou Kalidou Bâ, coordinateur du master de Lettres modernes francophones et chef du Groupe de recherches en littératures africaines (GRELAF) à l’université de Nouakchott.

« UN ENGOUEMENT POUR LA LITTERATURE NATIONALE »

Propos recueillis par Bios Diallo

Comment se diffuse la littérature francophone en Mauritanie ?

 

On ne peut pas dire qu’il y ait une très bonne diffusion car cette littérature est tributaire de la place du français. Or, depuis 1979, les différentes réformes du système éducatif n’ont cessé de reléguer au second plan cette langue qui n’y a d’ailleurs aucun statut légal. Toutefois, à la  faculté des Lettres et des Sciences humaines, il y a une filière d’études françaises, où se font les spécialisations en licence et master avec une ambition de boucler le cursus par l’ouverture d’une formation doctorale. Et depuis 2009, nous avons introduit dans nos programmes l’enseignement de la littérature mauritanienne d’expression française. Ce cours est devenu un des quatre éléments du module du département. Les étudiants issus de ces filières deviennent familiers avec les classiques comme Oumar Bâ, Tène Youssouf Guèye, Assane Diallo, mais aussi des plus jeunes comme Moussa Ebnou ou Mamoudou Kane.

Avez-vous depuis senti un intérêt chez les chercheurs ?

L’engouement des étudiants pour leur littérature nationale est telle que c’est presque la moitié des mémoires de master qui porte sur ce sujet. Cette littérature, ancrée sur une histoire, une  anthroponymie et une toponymie locales, leur « parle » sans doute davantage que toute autre, car elle permet à l’étudiant de s’enraciner dans un contenu textuel plus familier avant de s’ouvrir à d’autres.

Quelles œuvres sont au programme ?

À l’université, contrairement au lycée, les corpus changent constamment. Un enseignant dont le cours porte, par exemple, sur « la littérature ethnographique mauritanienne » aura tout le loisir d’introduire dans son corpus À l’orée du Sahel et Rellâ ou les voies de l’honneur de Tène Guèye, Le Dernier des nomades d’El Ghassem Ahmedou ou Et le ciel a oublié de pleuvoir de Beyrouk. En poésie, les recueils Notules de rêves pour une symphonie amoureuse et Cherguiya d’Ousmane Moussa Diagana, Les Os de la terre de Bios Diallo ou encore Les Yeux nus de Djibril Sall offrent suffisamment de matière, sans oublier la dramaturgie avec La Légende du Wagadu vue par Sia Yatabéré de Moussa Diagana ou Génial Général Président d’Abdoul War.

 

 

                                                                                                                                   

Propos recueillis par Bios Diallo

Source : Francophonies du monde | n° 1 | juillet-août 2019, www.fdlm.org

Source : Traversees mauritanides

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

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