Des disparités salariales provoquent un tollé à l’ONU

Une pétition signée par près de 6000 fonctionnaires internationaux dénonce une discrimination salariale au sein des Nations unies. Une décision du Tribunal administratif de l’OIT a invalidé des coupes au profit de certains fonctionnaires seulement.

Salaire égal pour travail égal. Un principe inscrit dans l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et promu au sein même des Nations unies. Et pourtant. Dans la torpeur de l’été, il suscite une levée de boucliers au sein du personnel onusien. Le 3 juillet dernier, le Tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (TAOIT) a cassé une décision controversée prise par le siège de l’ONU à New York sur recommandation de la Commission de la fonction publique internationale (CFPI). Il a jugé illégales les coupes salariales de 5,2% imposées au personnel professionnel (rangs P et D) basé à Genève.

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Or le Palais des Nations (secrétariat de l’ONU Genève), le Haut-Commissariat pour les réfugiés, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et celui pour l’environnement (PNUE) ainsi que l’Unicef ne peuvent bénéficier de cette décision. Pour le même travail à Genève, une partie des fonctionnaires de ces organisations seront payés 5,2% de moins que les autres.

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Corriger une erreur

 

Au Palais des Nations, la colère gronde. Une pétition lancée lundi 22 juillet a déjà récolté près de 6000 signatures. Adressée au secrétaire général de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, elle l’exhorte à «soutenir et à mettre pleinement en œuvre le principe fondamental de l’égalité de salaire pour un travail égal dans l’ensemble du système des Nations unies». Elle lui demande de «corriger les erreurs de fond». En parlant d’erreur, les fonctionnaires onusiens pensent à la manière contestable dont des réductions salariales de 5,2% (l’équivalent d’un mois de salaire) ont été décidées par la CFPI. Même les directeurs des organisations mondiales de la santé (OMS) et de la propriété intellectuelle (OMPI), du HCR et de l’OIT avaient envoyé une missive à New York en avril 2017 pour protester contre cette mesure.

«Plusieurs syndicats ont écrit à la commission pour exprimer leurs griefs, relève Prisca Chaoui, secrétaire exécutive du Conseil de coordination du personnel de l’Office des Nations unies à Genève. Mais nous n’avons pas reçu de réponse. Nous avons aussi demandé plusieurs fois de réformer cet organe et de le rendre tripartite avec une représentation du personnel. En vain.»

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La raison de cet embrouillamini relève d’une spécialité: les agences en question sont soumises à deux juridictions différentes. Le Tribunal du contentieux administratif de l’ONU est lui aussi saisi de la même plainte que le TAOIT. Il pourrait prochainement juger lui aussi illégales les coupes salariales. Cela ne rassure pas pour autant.

Système commun

 

Présidente du Syndicat du personnel de l’OIT, Catherine Comte-Tiberghien a elle-même écrit au président de la commission, Larbi Djacta, craignant que cette discrimination salariale ne porte «atteinte, et cette fois peut-être de manière irrémédiable, au système commun des Nations unies». Historiquement, au début de l’ONU, les agences onusiennes déterminaient chacune de façon indépendante les salaires de leurs employés, puis l’Assemblée générale de l’organisation a décidé de rendre le système plus cohérent et plus équitable, instaurant un «système commun».

La CFPI est réunie à huis clos depuis lundi pour deux semaines à Vienne. Président du Comité de coordination des associations et syndicats internationaux du personnel du système des Nations unies, Ian Richards est dans la capitale autrichienne pour faire pression. Lundi, il l’a déclaré: «Nous sommes défavorables à la fin du système commun et nous battrons bec et ongles pour l’empêcher de disparaître.» Les implications, pour Catherine Comte-Tiberghien, qui est aussi à Vienne, sont «gigantesques» et concernent toutes les agences onusiennes à travers le monde.

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Les milieux syndicaux craignent que, désormais, chaque agence n’agisse comme bon lui semble. Mais pourquoi ne pas simplement attendre, comme le suggère Antonio Guterres, la décision du Tribunal du contentieux administratif de l’ONU qui pourrait juger lui aussi illégales les coupes salariales? «La décision du TAOIT est définitive. Celle du Tribunal du contentieux administratif peut faire l’objet d’appel. Cela pourrait durer des années», s’inquiète Catherine Comte-Tiberghien. De plus, la pression des Etats membres pour davantage d’austérité risque de placer Guterres dans une situation compliquée.

Provisions constituées

 

Financièrement, cinq organisations spécialisées des Nations unies, l’OIT, l’OMS, l’OMPI, l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), vont devoir rembourser rétroactivement, avec un intérêt de 5%, les coupes de 5,2% opérées depuis février 2018. Les sommes à rembourser, dit-on, pourraient aller au-delà du milliard de francs. Le Temps a sollicité l’OIT, où 700 fonctionnaires internationaux sont concernés par la décision du tribunal. Mais l’organisation, qui a pourtant constitué des provisions pour un tel cas de figure, reste prudente: «Nous ne pouvons fournir de chiffres pour le moment, étant dans l’attente de recevoir les calculs de la CFPI.» L’OMS, où quelque 1400 collaborateurs vont retrouver leur salaire d’avant, a elle aussi constitué des provisions, de même que l’UIT (350 fonctionnaires).

Mais, redoute Catherine Comte-Tiberghien, «nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge. Nos budgets sont discutés tous les deux ans. Or il est évident que [ces remboursements] auront des incidences sur les prochains budgets.» Les discussions promettent d’être tendues. Au Palais des Nations, Prisca Chaoui attend que la CFPI «corrige son erreur. Si elle le ne fait pas, nous n’exclurons pas de faire grève.»

Stéphane Bussard

Source : Le Temps (Suisse)

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