Canicule ou pas, à la fin le genre humain triomphera

Peut-on cesser avec ces discours alarmistes qui n’arrêtent pas de nous prédire que le pire est toujours à venir?

Une canicule qui s’en vient, une canicule qui s’en va et c’est le monde qui s’effondre. Des reportages à foison, des alertes de toutes les couleurs à évoquer le temps des bombardements sur Londres ou Dresde, des conseils de survie comme si nous étions à la veille d’un conflit mondialisé, des questions aussi essentielles que de savoir s’il vaut mieux dormir avec des fenêtres fermées ou des persiennes ouvertes, des climatologues de bas étage transformés par la magie d’une carte météo en prophètes de notre temps, tout le folklore d’une société qui à la moindre anicroche crie désormais: «Papa, maman, qu’allons-nous devenir?»

C’est entendu –on l’a assez répété– la planète se réchauffe. Et puis après? Sommes-nous devenus si craintifs, si peu sûrs de nos forces, de nos ressources, de notre génie collectif, qu’une simple hausse des températures suffit à nous ébranler et à nous plonger dans des angoisses sans fond? Est-ce cela l’humanité, une sorte de Cassandre débile qui, au lieu de vivre, passe son temps à se demander quand donc le ciel va finir par lui tomber sur la tête? Notre confiance en nous s’est-elle érodée au point de nous transformer en pleutres qui face à la première difficulté rencontrée versent dans des discours apocalyptiques et songent déjà à la fin des mondes?

Il fait chaud, il fera plus chaud, le niveau des océans s’élèvera, la banquise disparaîtra, les glaciers s’effondreront et quoi, nous allons rester ainsi les bras ballants, saisis par une peur capable de nous terrasser? Nous venons de loin, de si loin; nous avons triomphé de tant de périls; nous sommes parvenus à un tel degré de modernité, de technicité, de foi en la connaissance et du jour au lendemain, à la suite de je ne sais quel dérèglement psychique, à quelle lâcheté morale ou renoncement coupable, nous assisterons les bras croisés à la fin de toute civilisation? A-t-on déjà entendu sornettes si grotesques, prévisions si absurdes, discours si ineptes?

Ne sommes-nous pas des hommes et des femmes que rien ne peut détruire? N’avons-nous pas connu tout au long de notre histoire collective pire, tellement pire? Ne sommes-nous pas parvenus à chaque fois que l’on nous le prédisait, ce pire –cent mille fois par siècle!–, à nous sublimer pour nous sortir de l’ornière et redresser des situations compromises? Rien ne nous a été épargné, ni les guerres, ni les famines, ni les épidémies de toutes sortes, ni les camps de concentration, ni les tremblements de terre et pourtant nous sommes toujours là, vivants et debouts, vigoureux et éternels comme jamais.

Peut-on cesser avec ces discours alarmistes, ces mines de circonstance, tout cet apanage de la mort qui nous présente comme des adolescents inconséquents à qui il faudrait sans cesse rabâcher que si nous continuons à nous comporter de la sorte, nous allons tous crever, vaincus par une funeste hausse des températures? Nous l’avons démontré depuis la nuit des temps: nous sommes capables d’endurer le pire, nous avons en nous des ressources infinies, nous sommes d’une certaine manière indestructibles. Le génie humain ne connaît pas de limites; notre résilience non plus. Sophocle déjà n’écrivait-il pas dans Antigone:

«Nombreux sont les prodiges, et nul plus prodigieux que l’homme; sa puissance franchit la mer blanchissante et, poussée par l’orageux vent du Sud, se fraye une route sous des houles qui menacent de l’engloutir; et la Terre, des divinités l’aînée, l’immortelle, l’infatigable, certes il la fatigue, retournant la glèbe à l’aide de la gent chevaline, dans le va-et-vient des charrues, d’année en année.

Et la race au cœur léger des oiseaux, et les tribus des bêtes féroces, et la faune des profondeurs marines, il les prend dans les mailles des filets qu’il tisse, il les mène en captivité, lui, l’homme qui excelle en esprit. Et il maîtrise par ses artifices la bête dont le repaire est aux lieux sauvages, qui rôde par les collines; il dompte le cheval à la crinière touffue, il lui passe au cou le collier, il dompte l’infatigable taureau des montagnes.

Et le langage, et la pensée rapide comme le vent, et toutes les humeurs qui modèlent un état, à lui-même il les a apprises; et comment fuir les flèches du gel, lorsque sous le ciel clair il est dur d’habiter, et les flèches que darde la pluie; en vérité il a des ressources pour tout; sans ressource il n’affronte rien de ce qui doit venir; c’est contre la mort seule qu’en vain il appelle au secours; mais des maux déroutants; il a trouvé moyen de s’évader.»

J’ignore de quoi demain sera fait.

La seule chose dont je suis certain, absolument certain, c’est qu’à la fin des fins, canicule ou pas, hausse modérée ou élevée des températures, le genre humain, d’une manière ou d’une autre, triomphera. Il souffrira, il courbera l’échine, il ploiera sous les rudesses du climat, il se sacrifiera, il connaîtra le malheur, le découragement et le désespoir mais il prévaudra.

Si afin de donner un sens à leur vie, certains se plaisent à sombrer dans un catastrophisme de bon aloi, qu’ils gardent donc leurs sombres prédictions pour eux. Nous n’avons pas besoin de vous. Si vous pensez que c’est trop tard, que les dés sont jetés, que nous sommes foutus, disparaissez, déguerpissez, sautez dans le vide de vos illusions perdues. Vous n’êtes plus de ce monde, vous ne l’avez jamais été. De vos infortunes personnelles, de vos revers, de vos manques, de vos existences étriquées, vous en faites une marque de fabrique qui devrait s’appliquer à l’humanité toute entière.

Nous autres, personnes de bonne volonté, l’heure venue –maintenant, demain ou après-demain– serons à la hauteur des défis qui nous attendent.

Comme toujours.

Laurent Sagalovitsch

Blog You Will Never Hate Alone

Source : Slate (Le 26 juillet 2019)

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