Pétrole et gaz au Sénégal : accusé de corruption dans un reportage de la BBC, Aliou Sall nie en bloc

Dans une enquête diffusée dimanche, la BBC affirme détenir les preuves qu’Aliou Sall, frère cadet du président de la République Macky Sall, aurait touché des pots-de-vin liés à l’attribution de deux champs pétroliers et gaziers à l’homme d’affaires Frank Timis, en 2012. Le frère du président dément et parle d’un « paiement imaginaire ».

 

« Un scandale à dix milliards de dollars ». L’enquête diffusée dimanche 2 juin par la BBC a créé une onde de choc au Sénégal. Dans un reportage de 28 minutes, la chaîne britannique accuse notamment la compagnie pétrolière British Petroleum (BP) d’avoir accepté de verser quelque 10 milliards de dollars de royalties à l’homme d’affaires roumano-australien Frank Timis. Lequel avait signé en 2012 un contrat pétrolier controversé avec le Sénégal.

Les accusations de la BBC

 

Surtout, le reportage affirme que, dès 2012, Timis a fait appel aux services d’Aliou Sall – le frère de Macky Sall, tout juste élu président -, d’abord en tant que consultant puis pour prendre la tête de la filiale Petro-Tim Sénégal.

La BBC insiste notamment sur les conditions d’attribution des concessions à la société de Frank Timis et accuse Aliou Sall d’avoir touché un versement de 250 000 dollars lors de la rétrocession des blocs par Frank Timis à British Petroleum. Selon les journalistes britanniques, la somme aurait été versée le 5 juin 2014 à la société Agritrans, une SARL fondée par Aliou Sall en 2011, dont la gérance avait été confiée à Abdoulaye Thimbo, son oncle.


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« Un paiement qui a tout l’air d’un pot-de-vin », accuse le reportage, qui affirme s’appuyer sur un échange de mails entre Frank Timis et son trust offshore dans lequel l’homme d’affaires réclame 250 000 dollars pour couvrir le supposé versement de taxes à l’État du Sénégal.

Aliou Sall dément

 

La réaction d’Aliou Sall n’a pas tardé. Face à la vague d’indignation qu’a soulevé le reportage au Sénégal et sur les réseaux sociaux, le frère du président, également directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et maire de Guédiawaye, une commune de la banlieue de Dakar, a convoqué la presse dans l’après-midi, le 3 juin.

C’est absolument faux ! Je n’ai jamais – directement ou indirectement – reçu 250 000 dollars de Timis Corporation

Devant une forêt de caméras, Aliou Sall s’est montré catégorique. « C’est absolument faux ! Je n’ai jamais – directement ou indirectement – reçu 250 000 dollars de Timis Corporation, pas plus qu’Agritrans. Il s’agit d’un paiement imaginaire », a-t-il martelé. Il ajoute n’avoir « jamais fait de demande de paiement d’une quelconque fiscalité pour le Sénégal » lorsqu’il était le gérant de Petro-Tim Sénégal.

Parmi les documents produits par la BBC, le contrat de travail qui lie Aliou Sall à Frank Timis, signé par les deux hommes. Il comporte notamment des émoluments mensuels de 25 000 dollars. « Comme tout travailleur, j’ai négocié ferme mon contrat, mais le montant de mon salaire n’a rien d’illégal ni d’inhabituel dans le secteur du pétrole et du gaz. Certains de mes collègues percevaient bien plus que moi », s’est justifié Aliou Sall.


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Abdoul Mbaye, cosignataire, lorsqu’il était Premier ministre, du décret d’attribution des concessions à Frank Timis – dont le témoignage figure également dans le reportage – est catégorique : « Le conflit d’intérêt est manifeste. »

Interrogé lundi par Jeune Afrique, il réitère ses accusations : « Ce contrat prouve que l’essentiel du gain d’Aliou Sall ne provenait pas de son travail d’administrateur de Petro-Tim, mais de l’obtention de la signature de son frère », le président Macky Sall.

Une affaire qui a éclaté en 2014

 

Ces accusations relancent une affaire qui a éclaté en 2014, après la découverte de gisements prometteurs dans les deux blocs offshore attribués à Frank Timis. « Il est indéniable que la position du frère du président au sein de Petro-Tim a été le moteur de la signature du décret par Macky Sall », renchérit le député Ousmane Sonko, candidat malheureux à la présidentielle qui, dès 2017, attaquait lui-aussi le « clan Sall » dans son ouvrage Pétrole et gaz au Sénégal – chronique d’une spoliation, dédié à la gestion opaque de la manne énergétique.

« À l’époque, je ne disposais pas les éléments dont dispose la BBC, donc je ne pouvais pas parler ouvertement de corruption. On savait bien qu’il y avait eu conflit d’intérêt, on sait désormais ce qu’il y avait derrière. Frank Timis n’aurait jamais dû exister dans le pétrole sénégalais », juge celui qui est désormais devenu un opposant politique déclaré au président sénégalais.

Aliou Sall, de son côté, rappelle que le premier décret d’attribution des blocs d’hydrocarbures à Frank Timis avait été signé par Abdoulaye Wade le 17 janvier 2012, alors que Macky Sall n’était pas encore président. « Après l’alternance, Macky Sall a confirmé ce décret, déjà signé, dans le cadre de la continuité de l’État », précise-t-il, se disant « prêt à répondre à toute commission d’enquête ou tribunal international qui le demanderait ».

Pour l’heure, aucune investigation n’a été ouverte par la justice sénégalaise sur ce dossier.

Manon Laplace

Source : Jeune Afrique

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