Hommage à Elimane Saïd TOURE, mon cousin, mon ami, mon beau-frère, …mon alter ego !

Bismillahi Errahmani Erahiim, Cher Elimane, ou « Saïdou », si tu préfères,

J’ai attendu ce jeudi 22 novembre 2018, après la fermeture de ce cercueil qui me confirme que nous ne reverrons plus jamais ici-bas, pour libérer mon cœur et m’exprimer sur une expérience relationnelle qui n’a rien d’un hasard.

Je t’emprunte une liberté mon cher, celle de raconter aux autres l’histoire de notre relation et des bouts de vie partagés dans une grande complicité, parfois des prises de tête insignifiantes (cela nous humanise), et toujours dans une affection réciproque, jusqu’au bout.

Rassure-toi, je ne raconterai pas tout, nos enfants respectifs Mokhtar et Alioune ont grandi (Alhamdoulillah).

L’acte fondateur : Un jour de l’année scolaire 1975, à la récréation du matin, l’écolier que j’étais quitte la cour de son école III, à Kaédi, pour aller se désaltérer au canari « public » chez l’oncle Abdoulaye Touré, situé à une centaine de mètres de l’établissement et destiné à cette fin.

A mi-chemin, je rencontre un petit groupe d’élèves qui rebroussaient chemin, courant dans tous les sens. Je demande à comprendre cette agitation collective et apprends qu’un jeune garçon est posté à l’entrée de la maison et empêche purement et simplement l’accès au canari. On me déconseille d’y aller car il avait un morceau de bois avec lequel il menaçait ceux qui voulaient insister.

Je poursuis mon chemin avec l’intention ferme d’accéder au canari et de boire avant la fin de la récréation. Dans l’allée qui conduisait à la maison, je me retrouve face à ce garçon d’à peu près mon âge. Je ne lui adresse aucun mot et me dirige vers le canari ; face à ma détermination, d’autres enfants essaient de me rejoindre ; il agite son morceau de bois. Tous s’arrêtent. Je m’arrête instinctivement. Il me regarde et dit littéralement :

« Toi, tu peux venir boire, pas les autres ».

Je reconnais le garçon que j’avais vu récemment à notre maison avec ses grands frères Ndiack et Mamadou venus saluer celle qu’ils appelaient Gogo Amy, la grande sœur de ma mère et ma mère. Je fais le lien et comprends que c’est leur petit frère. Je bois et me dirige vers lui pour demander pourquoi il ne voulait pas laisser les autres enfants accéder au canari.

– Ils font trop de bruit et je n’ai pas envie de les laisser boire aujourd’hui ».
– Pourquoi tu me laisses boire seul ? »
– Tu ne m’as pas reconnu ? Il me semble t’avoir vu chez Gogo Amy il y a quelques jours
– Oui, je t’ai vu avec Ndiack et son frère Mamadou
– Je suis leur petit frère, je m’appelle Elimane.

 

Je me présente à lui.

Voilà grosso modo le contexte de ma première rencontre avec Elimane et l’acte fondateur de notre relation amicale. Elle n’est pas un hasard, et durera 43 ans.

Après cet épisode, nous nous sommes revus régulièrement dans des situations diverses et aléatoires. Peu de temps après, il commence à fréquenter notre club Les Pop Stars fondé en 1973 avec Youssouf Brolé, Youssouf Boubou, mon neveu Moustapha Gaye (paix à son âme), Elbane Koita, Baboye Touré, Djeydi Diagana, Yaya Ba, Haïmout Daff, Chérif Bal, Sidi Maissara. D’autres nous rejoindront plus tard.

Ce club était en même temps une petite équipe de football avec des « talents » très discutables (je préfère me taire sur le mien, même si je me souviens avoir tout de même marqué un but resté litigieux encore à ce jour, lors d’un match très engagé contre une équipe du quartier Moderne). Elimane était affecté au poste de goal dans notre équipe.

Une époque de préadolescence pleine d’insouciance et d’envie de croquer à pleines dents dans la vie rythmée par des thés dansants organisés les après-midis jusqu’au crépuscule. Elimane nous faisait déjà beaucoup rire avec des anecdotes sur différents sujets et provocations en tous genres. Cela le rendait intéressant et nous recherchions souvent sa compagnie pour cela.

L’année d’après, je suis scolarisé à Nouadhibou et quitte donc Kaédi. Je ne revois pas mes copains pendant toute l’année scolaire. Lors des vacances scolaires, je revois Elimane à Nouakchott. Nous allions louer des mobylettes au cinéma El Mouna, entre autres attractions parfois improbables. Je constate déjà une âme aventurière teintée d’audace pour cet âge. Il me surprenait souvent avec des raisonnements formulés dans le sens de chercher ma complicité dans des actes un peu aventureux. Une intelligence manifeste pour arriver à élaborer ses « plans d’action ». Il les réussissait quasiment tous et me les racontait avec beaucoup d’enthousiasme et de dérision, peut-être pour dédramatiser ce dans quoi je ne pouvais pas l’accompagner. Je raconte cela car je trouve là quelques clés pour comprendre un peu des traits de caractère de Elimane, qui fondent son authenticité, sa personnalité.

Elimane serait-il né à un siècle qui n’est pas le sien ? Cette question me parait légitime. Elle aide à prendre de la distance sur les aspects que j’appelle anecdotiques qu’il nous donne volontairement à voir dans ses actes et dans ses relations sociales. Et si c’était sa carapace pour rester intérieurement lui-même, c’est-à-dire un homme libre, affranchi de tous les codes socioculturels d’une société lisse, où toute aspérité surprend, inquiète, voire effraie ?? C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse, mais juste quelques hypothèses. Elle m’a toujours intéressé et intrigué chez Elimane. Nous avions des discussions…très longues, oui très longues sur ce qui est et/ou doit être dans une société saine et viable, ses valeurs, ses règles, ses limites. Bien sûr nous avancions chacun ses arguments (subjectifs, je l’admets). Il en exprimait qui pouvaient être très surprenants et m’amenaient parfois à douter de certaines de mes positions sur des sujets de société (la noblesse, l’esclavage, la pauvreté, la religion, la classe politique, l’arrivisme, etc). Elimane ne comprenait pas pourquoi on vend de la nourriture. Pour lui, toute nourriture doit être distribuée gratuitement. Si cela n’est pas de la générosité, qu’est-ce alors ?

C’est dans ce type d’échanges que tous ceux qui connaissent Elimane ont pu constater que ce qu’il dit et la façon de le dire ne sont pas (que) de la provocation, mais plutôt une façon d’être, un style qui le rendent littéralement clivant. Il ne laisse personne indifférent. Lorsque vous le rencontrez, vous ne l’oubliez jamais. Il vous a soit surpris, fait rire, énervé, exaspéré, mais il ne vous a pas laissé indifférent. Vous l’appréciez, sous l’émotion vous chercherez peut-être à l’évitez, mais vous ne le rejetez jamais. Pensez tout de suite à un moment de rencontre avec lui…Voilà ! vous venez de vérifier ce que je viens de vous dire.

Je surprends certainement, mais Elimane était profondément timide. Il se cachait derrière des discours qui peuvent sortir d’un certain conformisme social (parfois hypocrite) et sur lesquels il s’appuyait pour chercher en réalité à prendre un avantage sur son interlocuteur. Lorsque cette arme venait à se révéler inopérante, il pouvait changer de stratégie pour garder la relation avec l’autre.

Il n’était pas à l’aise avec la fâcherie qu’il cherchait toujours à effacer par tous les moyens à sa disposition, et Dieu sait s’il en avait. C’est justement cela qui révélait sa bonté et son grand cœur. Je ne sais combien de fois j’ai expérimenté cela avec lui…vous aussi très certainement.

Dans la maladie, j’ai vu un homme très courageux, plein de dignité, qui ne se plaignait jamais, tournait son parcours de soins en dérision. La pudeur m’a toujours retenu de le suivre dans son discours sur cet épisode, et il n’insistait pas pour ne pas « me perdre » dans l’échange. Peu de jours avant la fin, il me regarde et me dit :

– Diabsy, franchement je n’ai pas envie de voir ton (défunt) père maintenant- Tu sais Elimane, tu n’es pas obligé de prendre rendez-vous avec lui maintenant, pour l’instant on est ensemble. Je te propose donc de valider cette option avec moi. Tu restes ici

Nous avons plaisanté autour de cet échange à vrai dire un peu décalé dans sa situation. C’est dire cette force mentale que j’avoue avoir découverte chez lui et qui m’a impressionné. Il m’arrivait de prétendre aller aux toilettes de sa chambre pour en réalité m’y réfugier et contenir mon émotion.

Tu vois cher ami, je n’ai pas tout dit, même si cela me tente, mais je garde nos petits et grands secrets pour moi. Nous avons partagé quelques moments importants de la vie. Ces souvenirs m’appartiennent tout seul désormais. Je mettrai du temps à me remettre de ta disparition. Tu me manqueras à coup sûr.

Tu manqueras à tous nos frères et amis de Kaédi du tout premier club Pop Star à l’autre club bien plus tard Jamaica. Tu manqueras aux frères et amis de Nouakchott « Les anciens » et d’autres. Tu manqueras à tous ceux qui t’ont connu, où qu’ils soient. Tous prient pour toi.

Repose en paix. Nous prions Allah Le Tout-Puissant pour t’accorder Son Pardon, t’accueillir au Paradis et t’y couvrir de Son infinie Miséricorde.

Innaa lillaahi we innaa ileyhi rajiouna.

Ibnou DIOP

 

Ibnou DIOP, ou « Diabsy » qui est ta préférence comme petit nom pour t’adresser à moi.
ibnoudiopibnou@gmail.com

(Reçu à Kassataya le 23 novembre 2018)

 

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