Les «bébémojis» sont bien plus que des enfants avec un masque emoji

Ces créatures hybrides, au corps de poupon et au visage sphérique et jaune poussin, peuplent les réseaux sociaux. Et ça n’a rien d’anecdotique.

Vous en avez forcément aperçu sur Facebook ou Snapchat: des nourrissons et jeunes enfants dont la bouille toute mimi a été camouflée par un emoji. Ces «bébémojis», qui méritent bien un néologisme, ont de quoi surprendre.

À quoi bon en effet publier une photo de sa progéniture sur un réseau social si c’est pour qu’on ne la reconnaisse pas? Oui, pourquoi donc des parents postent-ils sur internet ces images cheloues, où l’on ne voit pas grand-chose à part des mains minuscules, des petits corps potelés, des bodies, des couches et des crânes plus ou moins chevelus?

On pourrait se dire qu’en accédant au statut de parents, les personnes se mettent à utiliser de manière décomplexée et systématique les pictogrammes d’origine japonaise, peut-être pour montrer qu’elles restent jeunes quand bien même se seraient-elles reproduites. Ou, plus simplement, considérer que les emojis ont contaminé toutes nos manières de communiquer, des textos à la photo.

En réalité, «cette monstration paradoxale, ce montré-caché, est un geste narratif bien moins simple que ce que l’on croit, énonce le maître de conférences en histoire visuelle à l’EHESS André Gunthert. Elle s’inscrit dans un mouvement d’effacement des visages privés sur internet».

Photo extraite du compte Instagram de notre collaborateur Thomas Messias, reproduite avec l’autorisation de l’auteur

«Dolto visuel»

 

D’abord, comme le fait remarquer la professeure de sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux-Montaigne Sandra Lemeilleur, «le fait de cacher le visage est caractéristique de ce qu’est le visage dans le social: c’est celui qui s’expose, qu’on ne couvre pas, sauf dans certains cas (prescriptions religieuses, circonstances particulières comme le carnaval). Gilles Deleuze parle du visage comme lieu de résonance. On pourrait dire qu’il est le lieu de résonance du social».

Masquer son enfant, poursuit la spécialiste, ce serait ainsi «couper le lien possible de l’enfant à la sphère sociale et le déplacer sur l’adulte», qui lui, le bébé dans les bras, au sein ou se tenant à côté de la poussette, expose sa face souriante.

Rien que de très logique que l’adulte soit visuellement le «réceptacle du lien social», étant donné que «l’enfant lui-même ne va pas communiquer sur les réseaux», même si sa photo s’y trouve.

Mais, après tout, quel besoin de cacher le gamin pour identifier que c’est l’adulte qui s’exprime, qui plus est sur des comptes Facebook, Instagram, Snapchat ou WhatsApp qui portent le nom du parent?

 

 

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Daphnée Leportois

 

 

Source : Slate

 

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