La Mauritanie : Pourquoi les électeurs ne votent pas massivement pour l’opposition radicale ?

Dans quelques semaines, les élections législatives, régionales et locales en Mauritanie se dérouleront partout dans le pays. Les résultats plus ou moins prévisibles en faveur du pouvoir feront l’objet de diverses analyses et critiques : bourrage des urnes, achat de conscience par le pouvoir, manque de fonds financiers des partis d’opposition…mais surtout des attaques virulentes contre l’électorat, plus particulièrement , les Negro-mauritaniens celui la même considéré comme victime du système. Pourtant, les acteurs politiques, ceux de l’opposition radicale en particulier, devront trouver les raisons profondes de cet éventuel échec en dehors des explications habituelles qui servent le plus souvent qu’à dédouaner leur propre conscience.

Il me semble que les échecs répétés et constants de notre opposition dépendent principalement de notre attitude de négligence et/ou d’ignorance des principes politiques simples de base. En effet, toute activité politique doit être sous- tendue essentiellement par l’envi, voire le devoir, profond de SERVIR le peuple. Cette notion de service doit être assimilée et intégrée dans la vie individuelle et collective de tous les jours de nos acteurs politiques. Une autre donnée à mettre en perspective est le manque de compréhension de l’idée qu’a le peuple pour le pouvoir de l’état. L’absence de maîtrise de ces deux aspects continue de créer une confusion dans l’évaluation et l’interprétation des actions politiques en Mauritanie. Évidemment, ceci aboutit à cette situation d’inefficacité de cette lutte pour l’égalité et la justice dans le pays, d’où la source principale du découragement et de la frustration de beaucoup de militants de ces partis.

A mon avis le désir de SERVIR, se rendre concrètement utile à la communauté, à quelque niveau que l’on soit devrait être à la base de tout engagement politique. L’absence d’intégration de ce concept, de sa prise en compte parmi les obligations militantes, au moment de création de nos organisations politiques explique deux comportements psychologiques et intellectuels regrettables que nous traînons : notre dépendance totale de l’adversaire (le pouvoir politique) et le manque de confiance en soi. Évidemment, les partis d’oppositions ne conçoivent la possibilité de l’action utilitaire que dans l’exercice du pouvoir. Partant de ce postulat réducteur, leur rôle et leur programme d’action se limitent principalement à des critiques, quelque fois subjectives du pouvoir. Il est évident que l’opposition doit constituer un contre-pouvoir fort, celui qui dénonce les dérives, met l’accent sur les insuffisances, le cas échéant, propose une alternative crédible a l’action du gouvernement qu’il combat. Le faisant, il est certainement dans son rôle traditionnel voire universel. Mais, compte tenu de nos réalités si particulières, cette conception réduit ‘’notre’’ opposition, auprès des populations qu’elle est sensée défendre, a sa plus simple expression. C’est une opposition de ‘’grands mécontents’ ’et de ‘’simples théoriciens’’, c’est-à-dire ceux qui ne protègent ni du préfet spoliateur, du policier indélicat, ceux qui ne donnent ni du travail, ni aide à payer l’ordonnance médicale. L’opposition doit, pour se faire entendre des populations, se dire qu’elle a des obligations à l’égard du citoyen ordinaire. Si l’Etat est incapable ou ne veut pas concevoir un environnement propice à l’épanouissement de tout un chacun, les partis d’opposition, qui se veulent défenseurs de tous les citoyens, doivent agir différemment. Dénoncer et proposer ne suffisent pas ; il faut aussi de l’action, qui devra se traduire par la participation active dans les activités régulières et quotidiennes de nos concitoyens. Personne, ne devrait exiger de l’opposition de faire l’impossible : bâtir des écoles, des hôpitaux, construire des aéroports, des ponts et paver les routes sont de la responsabilité de l’Etat. Cependant, des actions simples mais efficaces, tels que : participer à l’assainissement de nos villes et villages, initier et exécuter des programmes de reboisement, dispenser des cours d’alphabétisation et du civisme voilà des œuvres qui sont à la portée de tout acteur politique. Elles le rendent visible et utile.

Par ailleurs, il est politiquement inacceptable que les acteurs politiques ne puissent mettre en perspective l’histoire et les valeurs de la société dans laquelle ils évoluent. En effet, dans la conscience collective de nos communautés le gouvernement n’a pas une fonction utilitaire. Au contraire, elles conçoivent que le mode de la gestion du pouvoir hérité de la colonisation crée un rapport de servitude et d’humiliation du peuple par l’Etat. A leurs yeux, la matérialisation de l’état ne se fait que par ses services de raquettes (douane et agent de foret) ou d’humiliation (précepteurs d’impôts avec des tortures sous le soleil pour ceux qui n’ont pas les moyens de payer). Cette réalité crée un grand fossé entre le peuple et l’Elite politique. Pendant que l’opposition passe tout le temps à critiquer le pouvoir de son immobilisme, le peuple qui n’attend rien de positif des autorités, trouve la situation normale. Alors, demanderiez-vous pourquoi le peuple choisit-il donc le camp du pouvoir qui ne sert à rien ?

Là encore, une autre divergence d’interprétation de la situation entre la communauté et les politiciens de l’opposition. Le peuple vote pour ses filles et fils qu’il côtoie régulièrement, mais pas pour le pouvoir. Cette présence quotidienne des représentants du pourvoir au sein des communautés est conçue comme un acte de considération (TEDDUNGAL), une valeur que l’argent ne peut remplacer. Par contre l’abandon du terrain par l’opposition, est considéré comme manque de considération ou de mépris (HUTAARE) de la part de leurs autres filles et fils qui se trouvent du cote de l’opposition. Dans son vote, le peuple ne voit pas l’Etat mais la fille ou le fils qui représente l’espoir. L’erreur politiquement suicidaire est de croire que le fait de détenir la vérité dans le discours devrait suffire pour mobiliser les forces, l’électorat autour de soi. Notre peuple ne se nourrit pas de grands principes et de beau idéaux politiques. Il vit un quotidien essentiellement constitué de la lutte pour la survie. Tout ce qui soulage cette dure réalité, même un espoir fumeux, est à prendre. A plus forte raison une main charitable qui vous tire un neveu des griffes de la police ou vous assure la popote du jour.
 
Hammel Barry
USA
(Reçu à Kassataya le 12 août 2018)

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