L’Afrique, oasis intarissable des avocats français

Sur le continent, la concurrence est rude entre les ténors du barreau parisien, alors que les chefs d’Etat affirment désormais privilégier l’expertise à la médiatisation de leurs dossiers.

Pour de nombreux avocats français, l’Afrique est à la confluence de toutes les promesses : notoriété, exposition médiatique, clients hors norme, traitements de faveur, honoraires alléchants… De Brazzaville à Dakar et d’Abidjan à Malabo, ils font assaut d’amabilités auprès des palais présidentiels dans l’espoir d’emporter un dossier pouvant asseoir leur carrière, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes sollicités par des régimes en quête de relais à Paris. A l’image de Pierre Haïk, Patrick Maisonneuve, Christian Charrière-Bournazel, William Bourdon, Jean-Pierre Versini-Campinchi, Pierre-Olivier Sur, peu de ces ténors du barreau rejettent les affaires africaines d’un revers de main dédaigneux.

Comme hier avec le procès Elf ou l’Angolagate, l’actualité illustre cette appétence. Entendu pour la troisième fois à Paris, mi-janvier, selon La Lettre du Continent, à la suite de sa mise en examen pour « corruption passive d’agent public étranger, blanchiment en bande organisée de corruption passive, faux et usage de faux », l’ancien directeur de cabinet du président gabonais Ali Bongo, Maixent Accrombessi, s’est attaché les services de Francis Szpiner. Ce dernier est un familier du village franco-africain. Son premier fait d’armes : la défense de l’ancien « empereur » centrafricain Jean-Bedel Bokassa.

De son côté, William Bourdon vole actuellement au secours de Djibrill Bassolé. L’ex-chef de la diplomatie du Burkina Faso est accusé d’atteinte à la sûreté de l’Etat à Ouagadougou. Me Bourdon a, dans un passé récent, défendu l’homme d’affaires béninois Patrice Talon, devenu depuis président de son pays, mais aussi l’ancien « Monsieur Pétrole » d’Omar Bongo, Samuel Dossou, ou encore le richissime opposant mauritanien Mohamed Ould Bouamatou.

Lire aussi :   Teodorin Obiang, premier condamné dans l’affaire dite des « biens mal acquis »

Proche parmi les proches du président Alassane Ouattara, Jean-Paul Benoit représente depuis des années l’Etat ivoirien au côté de son confrère Jean-Pierre Mignard, notamment dans le procès de Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI).

Alors que les juges Serge Tournaire et Hervé Robert ont bouclé leur instruction fin décembre 2017, les avocats de l’homme d’affaires corse Michel Tomi, proche du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, attendent de connaître les conclusions de l’enquête. Parmi eux figure François Meyer, défenseur du Tchad dans l’affaire de l’Arche de Zoé, du Gabonais Omar Bongo dans l’affaire des « biens mal acquis » initiée en 2008 et, plus récemment, du Sénégalais Macky Sall. La liste n’est pas exhaustive.

« Les présidents ne sont plus dupes »

 

Jadis alimentée par une histoire commune (partage de la même langue, législations africaines calquées sur le droit positif français…), la nature de cette relation a grandement évolué. « Par le passé, il suffisait à beaucoup d’avocats d’actionner un réseau pour être mandatés, mais cette époque est révolue », assure Me Emmanuel Marsigny.

Entourés d’une nouvelle génération de conseillers juridiques chevronnés, les chefs d’Etat africains semblent privilégier l’expertise. « Ces présidents ne sont plus dupes. Ils savent que ceux qui font le pied de grue dans leur antichambre en veulent à leur chéquier sans pour autant avoir la capacité technique de traiter un dossier », conclut Me Marsigny, à qui le vice-président équato-guinéen Teodoro Nguema Obiang Mangue, surnommé « Teodorin », est resté fidèle dans l’affaire des « biens mal acquis ». Et ce malgré « un nombre incalculable d’embûches » dressées par ses confrères.

Lire aussi :   Le neveu de Denis Sassou-Nguesso mis en examen à Paris dans l’affaire des « biens mal acquis »

Principal vecteur de ce nouveau modus operandi : la complexité des « dossiers sous tension », comme il est de coutume de les qualifier. Beaucoup de ces dossiers, qui nécessitent des compétences au-delà d’un talent oratoire ou d’un nom, se déportent d’ailleurs en France. Ils touchent à la fiscalité, à de spectaculaires saisies immobilières, à des cas de blanchiment d’argent et de corruption.

Illustration avec Ali Bongo, qui n’a pas placé ses intérêts entre les mains d’un habitué du Palais du bord de mer sous le régime de son père, mais à Claude Dumont-Beghi. Cette redoutable avocate fiscaliste travaillant en solo depuis son cabinet du XVIe arrondissement de Paris gère la succession d’Omar Bongo, décédé en 2009. Coutumière de ce type d’affaires à entrées multiples, elle s’est fait remarquer dans la succession du richissime marchand d’art Daniel Wildenstein.

Idem à Malabo. Après avoir épuisé un escadron d’avocats, en tête duquel Olivier Pardo ou Isabelle Thomas-Werner, le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, a mandaté Jean-Charles Tchikaya. Discret, cet avocat du barreau bordelais est un spécialiste du droit pénal international.

Un baromètre de la notoriété

 

L’image de l’argent facile aurait-elle donc vécu au point de renvoyer aux oubliettes des prétoires les clichés montrant Jacques Vergès et Roland Dumas au chevet de Laurent Gbagbo, acculé en 2011 à Abidjan ? En 2013, l’une de ces robes noires n’a-t-elle pas relancé Obiang Nguema à de multiples reprises pour lui réclamer 150 000 euros d’honoraires correspondant à un aller-retour sur l’île de Bioko assorti d’une « note » de trois pages de conseils ?

Si l’appât du gain reste un paramètre, il ne serait qu’accessoire, selon Pierre-Olivier Sur. « Je gagne peu d’argent avec l’Afrique, promet l’ancien bâtonnier du barreau de Paris, à peine revenu d’une mission aux Comores. Si la part des dossiers africains dans le chiffre d’affaires de mon cabinet est faible, la part de passion, elle, est forte. Sur ce continent, j’ai toujours la sensation de me retrouver dans un livre de Henry de Monfreid. »

Et celui qui a conseillé à l’ancien président burkinabé Blaise Compaoré de prendre la nationalité ivoirienne pour éviter une éventuelle extradition d’ajouter : « Il vit grâce au gouvernement ivoirien, qui le loge et le nourrit. Ses comptes sont bloqués, de même que ceux de sa famille, dont son frère François, qui vit à Paris dans un appartement qui n’a rien d’un cinq étoiles. » Au-delà des questions d’argent, l’Afrique francophone joue comme un baromètre de la notoriété, de l’entregent, de l’influence, en un mot de la cote des avocats français.

Lire aussi :   Procès Obiang : les accusations fracassantes d’un mercenaire contre William Bourdon

Dans ce petit village animé par une continuelle course au client prestigieux, la concurrence est rude et tous les coups permis. Certains se voient subitement sortis d’une affaire après le lobbying d’un concurrent. D’autres passent de mode au gré des alternances politiques en France. D’autres, encore, semblent davantage courtisés.

Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoit font partie de cette dernière catégorie. Le duo fonctionne comme les deux aiguilles d’une horloge suisse. En pleine complémentarité. Le premier, ami personnel de François Hollande, active ses réseaux dans l’Hexagone tandis que le second, ancien directeur de cabinet du ministre de la coopération Pierre Abelin (1974-1976), fait fructifier son carnet d’adresses africain.

Comme si le procès Gbagbo ne lui suffisait pas, Jean-Paul Benoit se démultiplie. Défenseur de la Côte d’Ivoire et d’Alassane Ouattara, il intervient également pour les caciques de ce régime. En 2016, il a sorti Guillaume Soro des griffes de la juge Sabine Khéris, qui souhaitait interroger le président de l’Assemblée nationale ivoirienne à la suite d’une plainte de Michel Gbagbo, le fils de l’ancien chef de l’Etat, pour « torture, traitements humains dégradants et détention arbitraire ». Imitateur hors pair d’Omar Bongo, Jean-Paul Benoit a déjà ses entrées chez George Weah, élu à la tête du Liberia fin 2017.

« Acquittator » à Brazzaville ?

 

Rien d’étonnant non plus à ce qu’Eric Dupond-Moretti soit à son tour happé par la force de ce tropisme. Initié par des personnalités telles que Robert Bourgi, avocat singulier car n’ayant jamais plaidé de sa vie, le célèbre pénaliste est aujourd’hui un « Africain » confirmé. Il a déjà plaidé la cause de l’opposant Moïse Katumbi et, au côté d’Emmanuel Marsigny, il défend le chanteur Koffi Olomidé, une autre personnalité de la République démocratique du Congo.

Le Congo-Brazzaville l’a par ailleurs approché pour entrer dans le dossier du général Jean-Marie Mokoko. Ce candidat à la présidentielle de mars 2016 est emprisonné pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Son procès doit s’ouvrir prochainement, il encourt la prison à vie. Malgré une promesse d’honoraires conséquents qui leur a été faite par des émissaires du président congolais Denis Sassou-Nguesso, plusieurs confrères d’Eric Dupond-Moretti ont décliné l’offre de se joindre au dossier pour ne pas « cautionner un procès politique monté de toutes pièces ».

Lire aussi :   Le calvaire des danseuses de Koffi Olomidé, la star de la rumba congolaise

Le défenseur du souverain marocain Mohammed VI préfère, lui, mûrir sa réflexion. En praticien avisé, il maîtrise tous les paramètres d’une telle sollicitation. Et notamment le risque de passer, aux yeux de l’opinion, pour un agent de communication dans un pays où la frontière entre les mondes politique et judiciaire est formidablement poreuse. En plein marasme économique, Brazzaville entend naturellement jouer sur la caisse de résonance médiatique qu’une éventuelle constitution d’Eric Dupond-Moretti pourrait incarner. Aussi « Acquittator » entend-il imposer ses conditions et juger sur pièces avant d’arrêter sa décision.

 

Alexandre Varel

(contributeur Le Monde Afrique)
Source : Le Monde

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page