Chinguetti, la sagesse du sable

«Capitale spirituelle de la Mauritanie», «Septième ville sainte de l’Islam», «Sorbonne du désert»… Chinguetti collectionne les appellations et… les montagnes de sable qui menacent son existence même.

 

Chinguetti est généreuse. À celui qui déambule entre les murs ocre, les enfants et les quelques chèvres qui dévorent des débris de sacs de plastique, elle offre son sable. Les chaussures frôlent l’indigestion et, sitôt vidées, les voilà de nouveau pleines. C’est qu’elle en a à revendre du sable Chinguetti tout comme ses voisines, les cités fortifiées (ksars) de Tichitt, Oualata et Ouadane, fondées aux XIe et XIIe siècles et classées elles aussi au patrimoine mondial de l’UNESCO. Quatre cités menacées par les tendances expansionnistes de l’erg Ouarane, le plus grand ensemble dunaire de Mauritanie (1000 km²).

Chinguetti, c’est la promesse d’une aventure. C’est l’erg qui nous fait de l’œil à quelques centaines de mètres du minaret coiffé de ses cinq œufs d’autruche. C’est des hommes en bleus accroupis contre les murs de torchis qui nous observent nonchalamment. C’est aussi les femmes drapées dans leur melahfa, un grand voile (quatre mètres environ) de tissu aux couleurs vives. Le désert est donc habité. Et il fait du bruit. Et il est coloré. Et il a des objets d’artisanat en stock, quantité de bijoux et babioles qui se sont accumulés alors que l’économie locale s’effondrait à partir 2009 avec le départ des tour-opérateurs.

Passé glorieux, présent incertain

Derrière les murs de pierres de la bibliothèque appartenant à Seif Islam, des centaines d’ouvrages d’une rareté inestimable sommeillent, conservés depuis des siècles par la sécheresse ambiante et les bons soins prodigués par la famille de Seif Islam, les Al Ahmed Mahmoud. «On continue à se débrouiller avec les moyens du bord. Ce n’est pas l’idéal, mais on le fait avec amour, par devoir aussi », confie Seif, descendant d’une famille de cadis, la caste mauritanienne des érudits.

Au début du siècle, le ksar comptait une trentaine de bibliothèques. Aujourd’hui en comptant celle de la famille Al Ahmed Mahmoud, elles ne sont plus que cinq. Cinq pour sept mille livres. Autant de trésors à protéger contre le temps qui passe, la chaleur desséchante et le travail d’usure du sable. Seif Islam est un résistant dont la voix veloutée masque une volonté d’acier. Il enfile ses gants, feuillette un coran en peau de gazelle, récite quelques sourates, puis se lance, exalté, dans un récit sur la grandeur passée de Chinguetti. Loue le rayonnement de sa zaouïa, sa confrérie religieuse désormais détruite, sa medersa, son école coranique toujours sur pied, ses dix-sept mosquées… Regrette le temps où passaient des caravanes de 20 000 dromadaires… Déplore les promesses d’aide à la conservation non tenues par l’UNESCO et la menace permanente d’ensablement.

Coups de pelle et du destin

Contre les dunes, les habitants résistent. À coups de pelle, beaucoup. À coup de subventions, aussi. Moins. Pas assez. La dernière date de 2003. «Le cadeau de l’Europe ? Des pelles et quelques brouettes», ironise Meriem, une habitante qui me poursuit à travers la ville dans l’espoir de me refiler quelque babiole.

On distingue, derrière les couleurs de sa melahfa et la colère de ses gestes effrénés des traces de pinceau rouge sur les murs, marques de l’ancien niveau du sable, situées à trois mètres au-dessus du sol aujourd’hui sillonné par les jouets en ferraille des enfants. «Certaines maisons avaient été complètement submergées, se souvient Meriem, qui de commerçante se transforme subitement en historienne. Tout le monde s’était mobilisé pour sauver la ville. Ça tiendra jusqu’à la prochaine fois…»

Méditant ses paroles je remonte vers notre auberge. Le soleil se couche sur Chinguetti avec un goût de «dernière fois». Dernière ampoule électrique avant une semaine, dernier minaret, dernière nuit en intérieur, dernier robinet… Demain, nous troquerons les murs du ksar contre les rondeurs des dunes, en compagnie de notre guide et de l’équipe de chameliers. Direction l’erg Ouarane. Rien ne peut m’arriver, car Meriem a réussi sa mission: je repars de Chinguetti avec un chapelet qui me protégera contre les djinns du désert.


Jérémie Vaudaux pour A/R

 

Source : Libération (France) – Le 11 janvier 2018

 

 

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