Missive de fin d’année à Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya Par Boubacar N’Diaye

Alors Ma-a, on dit quoi? Autrement dit, Ch’thari?

Je peux voir d’ici sur ton visage ce rictus signifiant « Dis donc, on n’a pas gardé les chameaux ensemble » !  Allons, Ma-a, t’a gardé les camelins avec personne ; même môme, tu étais déjà un solitaire, dit-on.  Et puis, t’étais, quand même, un ‘city boy’ d’Atar.  Oui, je sais, t’es un peu piqué par l’irrévérence. Mais saches que pour les gens comme moi, il ne reste que cette irrévérence envers les gens comme toi.  Cette irrévérence, nous l’avons conquise, comme les bons officiers gagnent leurs galons et d’autres leur statut social—dans mon cas, un peu grâce à toi, pour tout dire.  Mais t’inquiète, même si t’as assurément perdu la protection des lois régissant ‘l’outrage à magistrat’ et autre ‘injure à chef d’Etat’, je resterai courtois.  Les gars de ma génération n’insultent personne.  Ils se content de poser des questions, surtout celles qui fâchent et, d’insultes, laisser l’Avenir s’en charger (quand, comme si souvent, Il retourne l’ascenseur).  Vois-tu où je veux en venir ?

Mais pourquoi est-ce que je me permets de t’écrire, te demandes-tu sans doute ?  Question légitime.  En cette fin d’année, quelque part entre le 28 Novembre, le 6 décembre et le 12/12 (ont elles encore quelque signification pour toi, ces dates?), ayant quelques moments à consacrer au recueillement et à "passer" tout court, oisivement, je me suis surpris à penser que, peut-être, je devrais prendre de tes nouvelles, et peut-être, dans le procès, poser quelques questions, qui doivent, ou ont dû, tarabuster plus d’un mauritanien. Tu te doutes bien que le mauritanien Lambda s’en pose puisque, depuis 2005, plus rien de toi.  Te désintéresses-tu autant du sort de ton pays ?  Plus de dix ans déjà, et il n’y a toujours pas ce que les Anglo-saxons appellent "closure." Tout, mais TOUT continue à nous rappeler de toi.  En fait, je t’écris aussi peut-être parce que tu es un personnage singulier à plus d’un titre, et qu’il n’y a pas longtemps j’ai publié un livre dans lequel tu figures en bonne place (voir http://www.edilivre.com/la-mauritanie-ses-colonels-et-moi-20b18431fc.html).  Tu devrais le lire.  Tu en apprendras quelque chose, et puis, il te rappellera, peut-être bien, la fameuse ‘campagne du livre’ qui fit ta gloire jadis. 

Alors, Ma-a, et cet exil doré au Qatar ? ça te va toujours ? Et le mal du pays ? Je veux dire, le sable blanc de la bat’ha d’Atar (et quand elle ‘coule’, les senteurs et bruissements qui comblent l’âme), la Gue’thna à l’oasis Ehl Taya, la poésie au clair de lune et les chants des griottes à ta gloire.  Tout cela doit te manquer, avoue-le.  Le plus doré des exils et la protection d’un émir ne peuvent remplacer ce besoin, tout à fait humain, de retrouver tout cela.  Au fait, sais-tu que des dizaines de milliers de tes compatriotes déportés au Sénégal et au Mali, qui eux, sans vraiment avoir fait le choix de l’exil (te souviens-tu ?), ne sont toujours pas revenus au pays ?  Eux ne demandaient pourtant que ça.  Ils te diront qu’ils échangeraient tout l’or du monde pour –simplement–revoir un bout de leur terroir et (tiens-toi bien), y humer la poussière au crépuscule marquant le retour du bétail.  Le sais tu ? Penses-tu parfois à ces malheureux, maintenant abandonnés de tous?  Quelque regret ?

Par ailleurs, as-tu suivi les derniers développements autour de la question du troisième mandat de Ould Abdel Aziz, des changements projetés à l’hymne et au drapeau national ? Le « Dialogue National Inclusif » ? (et avant tout cela, le « discours historique de Nema » ? Non, pas le tien !). Que penses-tu de tout cela ? Cela te rappelle-t-il quelque chose ? Le bon vieux temps ?  Et les contorsions verbales et autres gesticulations de Ely, ton ex bras droit, dans tout cela, qu’en penses-tu ? Aurais tu une lecture de tout ce qui est arrivé à la Mauritanie ces dernières années ? Et le phénomène « Nida el Wathan » dans tout cela ? Du beau travail, n’est-ce pas ? A ton avis, que réservent les prochaines années aux mauritaniens et à leurs institutions ? Te sens tu quelque part responsable de cette situation ?

Je crois voir encore sur ton visage une autre grimace agacée sans doute signifiant : « tu ne vas quand même pas me mettre sur le dos les manigances de cette paire de… [censuré]» ? Allons donc, n’ont-ils pas parachevé ton œuvre ? Laquelle de leurs politiques désavouerais-tu (à part celle de se remplir personnellement les poches) ? Il est vrai que toi, l’argent ne t’intéressait pas trop.  Au fait, en manques-tu maintenant ?  Qui sait, le prix du baril de pétrole a brutalement chuté ces temps-ci. Ça fait quoi de vivre de la charité émirale ?  La vie réserve de ces tours, n’est pas ? Pour en revenir à la Mauritanie post-2005, en quoi est-elle différente de celle que tu as façonnée jusqu’en 2005 ? Oui, quelques kilomètres de « goudron » en plus, la parenthèse Ould Cheikh Abdallahi, l’IRA et Biram, l’aéroport, Oulad Leblad.  Mais, voyons, à part cela…. Ce n’est pas la première fois que les élèves dépassent leur maître.  Tu peux donc être fier. 

Toi qui le connaît (croyait le connaître?) bien, penses-tu que Ould Abdel Aziz quittera définitivement le pouvoir en 2019, comme il l’a promis ?  T’as raison, cela dépendra de ce que l’on entend par « définitivement », n’est-ce-pas ? Pourquoi ne se ferait il pas du souci pour l’après 2019?  Depuis 2005 il ne s’est pas fait que des amis, n’est-ce-pas ?  Tu te souviens bien sûr de feu le patriarche Ould Noueiguit (yarahmou) qui s’était, paraît-il, juré de n’avoir de répit que lorsqu’il l’aura vu aux fers et au fond d’un cachot.  Comme Dieu ne lui a pas accordé la longévité de voir se réaliser ce dessein, crois-tu, comme certains, que l’atavisme de l’assabya aidant, ses héritiers ont dû faire le serment sur sa tombe de n’épargner aucun effort pour atteindre cet objectif?  Et tes autres obligés, affidés et héritiers, crois-tu qu’ils ont définitivement abandonné tout esprit de revanche et se sont accommodés de son pouvoir ? (Enfin, tu gardes toujours le silence, et le Qatar est si loin!)  Bien sûr, toi, t’as pris de l’âge et n’espères certainement plus revenir aux affaires, mais qui sait ? Ne crois-tu pas que plus d’un mauritanien se pose ce genre de questions, surtout maintenant ?

Au fait, as-tu suivi les développements politiques dans notre sous-région ouest africaine ? Beaucoup de changements, n’est pas ?  Je me suis toujours demandé quelle aurait été ta réaction aux événements du Mali.  Aurais tu réagi comme Aziz ?  En quoi sa réaction est-elle différente de la tienne lors des précédentes rébellions dans ce pays meurtri (c’est-à-dire attiser autant que possible le feu)? C’est terrifiant comme la mauvaise gouvernance d’un pays peut provoquer sa descente aux enfers, n’est-ce-pas ? 

Et l’élection de Macky Sall au Sénégal ?  Là aussi, je me suis toujours demandé quelle aurait été ta réaction ?  L’aurais-tu provoqué pour l’intimider, comme tu l’as fait en 2000 avec Abdoulaye Wade, en faisant planer la possibilité d’autres événements à la 1989 ?  Penses-tu qu’il aurait capitulé comme Wade ? Et s’il ne capitulait pas du fait de cet orgueil Toucouleur (que tu dosi connaître), quelles en auraient été les conséquences ?  Et en Gambie ?! Mais, là, quelle surprise, n’est-ce pas ?  C’est un Adama Barro (allez, ‘Fancisons’ ça pour l’effet) qui devrait le remplacer.  Qu’en penses-tu ?  La vie réserve de ces surprises, n’est-ce pas ?

Au fait, as-tu pensé à intercéder auprès de l’émir pour réserver à Yahya Jammeh une petite villa (à l’inverse de son ego de « His Excellency…etc, etc, Babili Mansa » pas loin de la tienne ?  Vous étiez potes, n’est-ce pas ? Il te tiendra compagnie et t’en saura gré.  Son peuple et toute l’Afrique de l’ouest aussi, crois-moi.   Allons, un p’tit geste pour l’au-delà… De ceux-là nous en aurons tous besoin, …certains d’entre nous plus que d’autres.

Finalement, mon cher Ma-a, as-tu jamais pensé à faire un tour à Bruxelles ?  Non ?  Paris, La Haye ? Toujours non ? Simple curiosité. 

Tellement d’autres questions à te poser, mais tenons-en là pour le moment.  Je ne désespère pas de lire ta réaction/réponse à celles ci-dessus.  Avoue-le, et il n’y a aucun mal à cela, tu dois visiter régulièrement des sites comme www.kassataya.com (après tout…).  Sinon, to exil doit être vraiment cruel.

Allez, très bonne fête de fin d’année à toi et à ta famille, et à un de ces jours incha’Allah, et pourquoi pas à Bruxelles. 

 

Prof. Boubacar N’Diaye

 

Contribution réservée exclusivement à Kassataya

 

(Reçu à Kassataya le 26 décembre 2016)

 

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