[Tribune] – Lettre ouverte au président mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani

J’ai l’honneur de vous adresser ces lignes en tant que simple citoyen observant attentivement les faits qui animent la vie de mes compatriotes. Parce que ce n’est pas juste de se revendiquer apolitique lorsqu’on intervient dans les problèmes sociaux, je me permettrais de revendiquer mon indépendance vis-à-vis des partis politiques, ma liberté d’expression et le refus de la censure par quelque hiérarchie politique qu’on puisse envisager.

C’est donc en citoyen responsable de ses décisions et actes que je vous sollicite dans un premier temps sur les questions délicates de l’actualité mauritanienne, avant de vous interpeller s’il le fallait, à agir conformément à votre serment devant Dieu et devant les institutions de la République, mais aussi devant le peuple qui vous a élu pour conduire son destin, au règlement de certaines questions devenues cruciales pour la survie de la nation.

Quand je parle de la survie de la nation, je mesure mes mots, l’histoire est une référence infaillible et, Dieu sait que des rois assis sur des trônes de marbre ont vu leur forteresse s’envoler comme un château de paille ravagé par un incendie survenu en pleine tempête. Ce phénomène qui n’a pas épargné un seul continent, s’avère particulièrement propice dans les pays arabes (Irak, Syrie, Libye, Tunisie, Egypte…) Je ne souhaite pas ce malheur à mon pays que j’aime tant, celui qui a fait de moi un homme capable de tirer des balles réelles avec un simple stylo à bille. Avec volonté et persévérance, il est encore possible de rectifier le tir et remettre le pays sur les bons rails.

Le premier sujet qui m’inquiète est celui de la hausse incompréhensible et inadmissible des prix. S’il est vrai que l’inflation sévit partout, les pays pauvres doivent la ressentir doublement pour le même indice que les pays riches et, les populations défavorisées d’éprouver l’enfer de remplir la marmite ne serait-ce que de la denrée la moins nutritive disponible sur le marché. Il est évident qu’un pays aussi pauvre que le nôtre n’a pas les moyens de subventionner les denrées alimentaires de première nécessité, solution passagère qui permettrait de franchir

l’étape transitoire vers la stabilité économique à des moments meilleurs. La solution qui semble s’adapter à notre situation est une régulation des prix par l’Etat.

La hausse des prix se justifie souvent par une répercussion sur toute la chaine de vente, depuis le producteur jusqu’au consommateur final. L’expérience a montré que les grossistes auxquels l’Etat avait accordé des privilèges par le passé, importateurs ayant le monopole du marché, augmentent les prix à leur convenance parce qu’ils sont en réalité un Sous-Etat au-dessus de l’Etat, dispensés des règles de contrôle. Tout le monde connait le deal !

Le prix du pain est passé de 10 à 12 MRU, soit une hausse de 20%. Auparavant, nous avons connu des augmentations allant de 20 à 80% pour certains produits alimentaires tels que l’huile et le sucre. J’ai vu un geste de votre part, consistant à la vente de denrées de première nécessité, à un prix régulé. C’est une bonne chose, dans la mesure où certaines familles sans ressources s’y ravitaillent au prix inhumain que tout le monde connait. En effet, pour bénéficier de ce système de vente, il faut se lever avant la prière du matin et grossir une file d’attente interminable, s’asseoir par terre, là où il y a une semaine de cela, des fosses septiques ont été vidées. L’hygiène n’est pas au rendez-vous !
Excellence,

L’Etat est au-dessus de toutes les structures et organisations sociales, entreprises privées et lobbies. Vous êtes aujourd’hui le seul mauritanien à incarner l’Etat. Le règlement de ces questions fait partie de vos prérogatives. Votre devoir de protéger les citoyens sans exclusive, voilà le sens de mon intervention, c’est aussi sur cet acte que vous serez jugés par le peuple dans son ensemble et par Dieu lorsque ce jour viendra. Que la nature ait accordé des privilèges à certains, je ne saurais vous dire le contraire, c’est ce qu’on appelle communément la chance, que l’égalité soit utopique dans les faits, je n’en disconviendrais pas non plus, mais que les citoyens ne soient pas traités de la même manière, je pense qu’il s’agit là simplement d’une question de volonté de la part des représentants du peuple. Mon interpellation va dans le sens de soumettre les entreprises à des règles strictes, justes et équitables tant sur les profits que sur les impôts, sans déplumer la vieille oie sauvage, sans couper les mamelles de la vache laitière. L’augmentation des prix doit être justifiée et les taux plafonnés par la loi. C’est ça un Etat fort qui se met au service du citoyen.
Excellence,

Je vous écris parce que je sais qu’il y a des millions de Mauritaniens qui voudraient le faire et qui hélas, n’ont pas de clavier pour le faire, ou lorsqu’ils en ont un, c’est l’électricité qui leur fait défaut par suite des coupures habituelles du fournisseur. Ma conscience me dicte le devoir de m’exprimer à leur place, de m’occuper d’un problème qui ne me touche qu’indirectement et par solidarité avec les victimes, comme le ferait un vrai intellectuel au sens Sartrien du terme. Il est évident que je ne fais là qu’un rappel, parce que vous n’êtes pas censé ignorer le moindre problème qui affecte l’une des communautés de ce pays.
Excellence,

Parlant des communautés, on en arrive à l’éducation et sa réforme prévue dans un article de loi très controversé. Il semble bien que les divergences d’opinion, d’interprétation et de lecture de cette loi soient hors de ce que les contradictions du débat démocratique offrent habituellement comme spectacle. Votre mission étant de protéger les citoyens, elle doit s’appuyer sur les principes d’équité, de reconnaissance de la différence et d’acceptation de l’autre en tant que citoyen tout court. Les instruments linguistiques, les ramifications identitaires et les leviers d’exclusion, sont autant de vecteurs de tension latente à désamorcer non pas par la violence autoritaire d’un chef, mais par la raison apaisée de la concertation à laquelle appelle la sagesse.

Excellence,

Notre pays n’est pas l’Irak, nous n’avons ni infrastructures ni richesses à distribuer. Nous ne sommes pas la Libye non plus, avec le système social mis en place par son ex-guide. Nous sommes pauvres. Triste constat. La voie de sortie c’est le travail, la rigueur et la justice. Comment serait-on juste si on ne donne pas la bonne éducation aux enfants ? Comment pourra-t-on se développer si l’éducation fait défaut ?

Excellence,

Je ne le dirai jamais assez, notre pays dispose de cadres compétents, produits de notre société et de notre école, souvent au service d’autres pays. C’est un véritable gâchis ! La raison en est que la sphère politique privilégie à juste titre les relations humaines, sans tenir compte des compétences et là ça pose un problème. Ainsi, notre administration regorge au plus haut niveau de cadres peu compétents. C’est l’une sinon la principale raison de la corruption, de la prise de décisions injustes et de la montée de la violence dans certains quartiers livrés à eux-mêmes.

Excellence,

Je finirai par vous demander de ne pas céder à la pression des théories linguistiques « racisantes », des crises d’assimilation identitaire et de veiller à la bonne marche des institutions en les rendant justes, les plus justes possible.

 

Cordialement

 

 

Samba Dia

Paris le 21/07/2022

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 21 juillet 2022)

 

 

 

 

 

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