Comment Obama ment sur la menace djihadiste

L'administration américaine cache la vérité sur le bilan des pertes djihadistes, les objectifs du Pentagone et les alliances.

 

Barack Obama persiste à falsifier la réalité des faits au Moyen-Orient avec la même impudeur que son prédécesseur l'avait fait en  2003 pour justifier la désastreuse invasion de l'Irak. Le président américain intoxique le monde entier sur l'état de la menace djihadiste afin de justifier une politique -défaillante. La commission du renseignement de la Chambre des représentants vient de dénoncer une intoxication systématique depuis deux ans. D'ailleurs, la campagne présidentielle aux Etats-Unis est bien -pauvre sur le sujet.

Mensonges sur les pertes Le général américain Sean MacFarland, qui dirige les opérations de la coalition occidentale anti-Daech – l'acronyme arabe de l'organisation Etat islamique – , vient d'affirmer que 45 000 djihadistes auraient été tués depuis le début des bombardements de ladite coalition, en août  2014, dont 25 000 depuis septembre  2015. On s'étonnera qu'il y ait encore des combattants de Daech en Syrie et en Irak, puisque les Etats-Unis prétendent en avoir éliminé avec leurs alliés un nombre supérieur à celui de leurs estimations antérieures les plus élevées.

Comment les autorités américaines en sont-elles arrivées à proférer un mensonge aussi énorme ? En juin  2015, le numéro deux de la diplomatie américaine, Antony Blinken, déclare qu'au moins 10 000 combattants de Daech ont été tués par la coalition menée par les Etats-Unis en neuf mois. Une telle affirmation suscite des haut-le-cœur chez les experts militaires, qui estiment alors à un millier, et au plus à 1 500, le nombre de djihadistes tués. Qu'à cela ne tienne, le chiffre de 20 000 djihadistes tués est avancé par Washington dès la fin de l'été 2015, soit un doublement en deux mois du bilan avancé par Blinken !

Le caractère farfelu de telles " informations " apparaît encore plus crûment dans la " fourchette " donnée par MacFarland pour le nombre de combattants actuels de Daech en Syrie et en Irak : entre 15 000  et 30 000. On appréciera le flou du commandant en chef de la coalition. Le Pentagone comptabilise plus de 14 000 frappes de la coalition, dont les deux tiers en Irak, ce qui donnerait une moyenne invraisemblable de trois djihadistes tués par bombardement. L'ONG Airwars avance pour sa part un bilan d'au moins 1 580 civils tués dans ces raids.

Mensonges sur les priorités M. Obama a engagé ses forces armées en Irak en 2014, avant d'étendre ses opérations à la Syrie. C'est en Irak que se porte l'effort principal contre Daech, avec, à la tête du contingent de 3 830 militaires, le général Gary Volesky. Cette focalisation sur le théâtre irakien a eu des effets dévastateurs sur la lutte contre Daech en Syrie. On peut aussi s'interroger sur l'efficacité de cette stratégie dite Iraq first (" D'abord l'Irak ").

Des informations diffusées par le Pentagone font état de plus de 500 tanks et véhicules blindés de Daech détruits au 31  mai 2016 par la coalition. Or, les partisans d'Abou Bakr Al-Baghdadi avaient saisi plus de 2 300 blindés divers dans la seule ville de Mossoul en 2014, selon le premier ministre irakien. L'arsenal djihadiste n'a donc été que très peu affaibli.

Accorder la priorité à l'Irak sur la Syrie, c'est ne rien comprendre à la dynamique de recrutement de Daech, dont la Syrie, et non l'Irak, est le moteur. Alors même que le monde entier se dit mobilisé contre Daech, les " montées au djihad " se poursuivent depuis les cinq continents à destination de la Syrie. Le couloir qui mène les djihadistes de la frontière turque à Rakka aurait dû être la cible prioritaire de la coalition. Au contraire, elle a laissé les révolutionnaires arabes et sunnites sans soutien extérieur face à une offensive de Daech pour consolider ce corridor stratégique.

Mensonges sur les alliances Ces mensonges sur les priorités correspondent à des mensonges sur les alliances. Les forces spéciales américaines ont fait en Syrie le choix d'une collaboration avec la branche locale du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), pourtant en guerre ouverte avec le pouvoir turc depuis plus d'un an. La guérilla kurde a constitué le noyau dur et la hiérarchie opérationnelle des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui se sont étoffées de -milices supplétives arabes.

La récente prise de Manbij par les FDS représente un succès -contre Daech. Mais la population, arabe et sunnite s'inquiète des visées des Kurdes sur la ville. Elle les accuse déjà d'avoir fourni des coordonnées GPS erronées aux avions américains, ce qui expliquerait le niveau effarant des pertes infligées parmi les civils. On rappellera que la victoire kurde de Tall Abyad, prise à Daech en 2015, s'était accompagnée d'une véritable " purification ethnique " à l'encontre des populations non kurdes.

Enfin, Washington continue à coordonner ses frappes en Syrie avec Moscou et a sans doute été prévenu à l'avance des récents raids russes menés à partir de l'Iran. Un accord plus formel -entre Washington et Moscou est toujours sur la table. Un humanitaire britannique, actif à Alep, met en garde contre le caractère " diabolique " d'éventuelles frappes russo-américaines contre le nord de la Syrie. Washington vient d'ailleurs de donner des gages à Moscou en contraignant les forces anti-Assad à suspendre leur offensive contre Sheikh Miskeen, dans la province de Deraa.

Le futur locataire de la Maison Blanche héritera donc d'une situation calamiteuse face à Daech. Il (ou elle) sera contraint(e), avant de pouvoir concevoir une politique antidjihadiste, de démêler le vrai du faux dans l'accumulation de mensonges cautionnés par Barack Obama. La tâche s'annonce rude.

Jean-Pierre Filiu

Jean-Pierre Filiu est professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po (Paris).

 

 

Source : Le Monde

 

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