Abou Dhabi : un islam modéré imposé par des méthodes autoritaires

Si l’islam wahhabite est la marque de fabrique de l’Arabie saoudite, l’islam modéré est le fonds de commerce des Emirats arabes unis (EAU).

Contrairement à son grand voisin, propagateur d’une pratique religieuse ultrarigoriste, le gouvernement d’Abou Dhabi se prévaut d’une version éclairée de la foi musulmane.

Les responsables de la fédération ne cessent de lancer des projets visant à combattre l’« extrémisme », présenté comme l’ennemi public numéro un de la nation.

Leur dernière initiative dans ce registre est la création, en juillet 2015, de concert avec les Etats-Unis, du programme « Hedaya », destiné à contrer la propagande de l’organisation Etat islamique (EI) sur les réseaux sociaux. Une campagne qui prend la forme de tweets, de photos sur Instagram et de vidéos sur Facebook, relayant par exemple des témoignages de déçus du djihadisme ou comparant les promesses d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’EI, avec la réalité de la vie dans son « califat ».

Bataille pour le magistère théologique au Proche-Orient

En juillet 2014, les EAU ont aussi mis sur pied le Council of Muslim Elders (Conseil des sages musulmans), imprégné de soufisme, une veine mystique de l’islam, et dédié à la lutte contre « l’extrémisme », « le confessionnalisme » et « la violence qui empoisonne le monde musulman ». Présidée par le cheikh Ahmed Al-Tayeb, l’imam de la mosquée Al-Azhar, au Caire, la plus haute institution de l’islam sunnite, cette assemblée a participé à l’élaboration de la « Déclaration de Marrakech », en janvier. Un document signé par 250 dignitaires religieux et politiques qui appelle au respect des droits des minorités dans le monde musulman, en réponse aux persécutions dont elles font l’objet de la part de l’EI et d’autres groupes fondamentalistes.

Derrière ces initiatives se cache une bataille pour le magistère théologique au Proche-Orient. Le Conseil des sages vise, sans le dire, à damer le pion à l’Union internationale des oulémas, dirigée par le cheikh Youssef Al-Qaradawi. Installé au Qatar, cet ex-télé-coraniste vedette de la chaîne Al-Jazira, professe un islam puritain et conservateur, quoique hostile aux outrances des salafistes. En poussant sur le devant de la scène une organisation alternative à celle d’Al-Qaradawi, c’est à son protecteur, le Qatar, que les Emirats s’attaquent, ainsi qu’à la galaxie des Frères musulmans, dont il fut le guide spirituel et dont Doha se fit le champion durant les « printemps arabes », au grand dam de ses voisins du Golfe.

Sur la scène intérieure, les autorités affichent aussi leur ouverture. Leurs mosquées coexistent avec des dizaines d’églises, destinées aux travailleurs immigrés, et la prochaine construction d’un temple hindou a même été annoncée. « Ce n’est pas un hasard si le nombre de nos jeunes partis faire le djihad est très faible, une cinquantaine seulement, se félicite un diplomate émirati. Nous avons construit un modèle résilient, qui repose sur un islam capable de coexister avec toutes les cultures. »

Révérence envers le pouvoir

Dans les faits, cet islam est plus unidirectionnel que tolérant. A l’occasion de la grande prière du vendredi, le ministère des affaires religieuses impose un sermon unique à toutes les mosquées du pays. Les imams réputés se distinguent davantage pour leur révérence envers le pouvoir que pour leur modération. A l’image de Wassim Youssef, un prédicateur régulier de la mosquée Cheikh Zayed, la plus grande d’Abou Dhabi, qui vilipende autant les partisans du djihad que les opposants politiques prônant une libéralisation politique et l’instauration d’une monarchie constitutionnelle.

Tout propos déviant est immédiatement criminalisé, comme le montrent les procès à répétition d’islamistes, accusés de « complot contre l’Etat ». L’allergie des autorités à la dissidence est telle que leur liste des organisations terroristes, publiée en 2014, comprend aussi bien des formations djihadistes, comme l’EI, que l’ONG de défense des droits de l’homme Alkarama, très active dans le Golfe, et des organismes de charité islamique, comme Islamic Relief. « Les dirigeants émiratis s’efforcent de créer un islam policé, discipliné, qui fonctionnerait comme le bras religieux de leur régime autoritaire, dit l’opposant libéral Ahmed Mansour. En définitive, ils instrumentalisent l’islam autant que les islamistes. »

 

Benjamin Barthe (Abou Dhabi, envoyé spécial)

 

Lire le reportage :   Aux Emirats, la Sparte du Moyen-Orient

Source : Le Monde

 

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