RFI fête ses 40 ans dans la discrétion

Une guimbarde brinquebalante avance au rythme d’une tortue dans les rues de Nouakchott, en Mauritanie.

Les sièges sont défoncés et toutes les aiguilles du tableau de bord semblent figées dans le temps.

Dans le taxi d’Ousmane, qui préfère taire son nom, seule la radio, branchée sur Radio France internationale (RFI), fonctionne normalement. Les débats d’« Appels sur l’actualité », un programme phare de la chaîne, animé par Juan Gomez, retiennent ce matin son attention. « Il faudrait que je téléphone à Juan Gomez un jour, j’ai plein de choses à dire à l’antenne », lance-t-il, en donnant un violent coup de volant pour éviter un nid-de-poule.

Le conducteur du « tacot » écoute quotidiennement cette radio de service public française, qui émet depuis Paris en quatorze langues, en modulation de fréquence, en ondes courtes ou sur satellite, dans plus de 150 pays à travers les cinq continents. Dans les capitales et les zones rurales africaines, elle est la radio la plus écoutée, avec plus de 30 millions d’auditeurs chaque semaine, selon une étude TNS-Sofrès parue en octobre. RFI a lancé, le 19 octobre, une rédaction en mandingue, une langue parlée au Mali et dans les pays voisins. Après le haoussa, langue maternelle d’environ 30 millions de personnes en Afrique subsaharienne, et le kiswahili, notamment utilisé sur la côte est du continent.

La rédaction en mandingue est installée à Paris. Celle en haoussa est à Lagos, au Nigeria, et celle en kiswahili, à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Son lancement coïncide avec la célébration des 40 ans de la station. Un anniversaire qui a failli passer sous silence avec la multiplication des attaques terroristes sur le continent africain, mais aussi en France avec les attentats de janvier et du 13 novembre.

Une radio « éternelle »

« Nous ne sommes pas dans une logique d’anniversaire, parce que RFI est éternelle, et que nous pouvons fêter, chaque année, ce que nous voulons », estime Marie-Christine Saragosse, PDG de France Médias Monde, un groupe qui réunit RFI, la chaîne de télévision France 24 et la radio généraliste en arabe Monte Carlo Doualiya.

Si Marie-Christine Saragosse se refuse à célébrer un anniversaire en particulier, c’est que l’histoire de la radio est longue. Sa diffusion commence en 1931 avec Le Poste colonial, alors destiné à l’empire colonial français, jusqu’en 1938. Intégrée en 1945 au sein de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), la station prend le nom de Radio France internationale en 1975, au sein du groupe Radio France, avant de devenir une société indépendante en 1987, puis d’être de nouveau intégrée dans un giron, l’Audovisuel extérieur de la France, voulue par Nicolas Sarkozy en 2008.

 

A Paris, sur le plateau de l'émission "Priorité santé".

A Paris, sur le plateau de l'émission "Priorité santé". Crédits : Sébastien Bonijol/RFI

A chaque étape, l’objectif est resté le même : contribuer à la diffusion de la culture française à l’étranger. « Il s’agit d’aider à se projeter autour des valeurs de liberté et d’égalité que véhicule la France. Il s’agit aussi de donner aux Français des clés de compréhension du monde », précise Cécile Mégie, directrice de la station depuis 2012. Si RFI se partage l’espace africain avec d’autres radios internationales comme les chaînes britannique BBC World Service, américaine Voice of America, et allemande Deutsche Welle, elle dispose cependant du premier réseau FM au monde, avec plus de 156 relais installés dans 62 pays. Cette proximité a valu à la chaîne une augmentation de son audience en Afrique de plus de 8 % en 2014. A tel point que, aux oreilles de certains, RFI est devenue une « radio africaine ».

« Son histoire avec le continent est ancienne, se transmet d’une génération à une autre et lui permet de traiter des questions sensibles de société ou de politique que les médias locaux sont parfois empêché d’évoquer, analyse le sociologue camerounais Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale, un cercle de réflexion sis à Yaoundé. C’est une radio africaine parce qu’elle parle de l’Afrique aux Africains, et le plus souvent à partir de l’Afrique. »

La voix du Quai d’Orsay ?

Pour les responsables de la chaîne, cette proximité avec le continent lui donne aussi « une responsabilité » en matière de liberté d’expression et d’information. Les autorités nationales le savent bien et répondent parfois en coupant l’émetteur lorsque la tension avec la population devient trop forte.

La station porte aussi son lot de drames. En 2003, Jean Hélène, son correspondant à Abidjan, est froidement assassiné de deux balles en pleine tête. Dix ans plus tard, le 2 novembre 2013, les envoyés spéciaux de la chaîne dans le nord du Mali, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, sont enlevés puis assassinés à Kidal, alors qu’ils préparaient une série de reportages dans le pays. Le double meurtre avait été revendiqué par les djihadistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Mais l’enquête n’a toujours pas abouti. La date a, depuis, été déclarée par les Nations unies Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes.

Malgré ce drame, RFI affirme vouloir être encore plus présente au Mali et sur le tout continent africain. Le lancement d’une rédaction en mandingue s’inscrit dans cette logique. Tout comme les sites Internet RFI Afrique, en rodage depuis le 25 novembre, et RFI Savoirs, qui sera notamment consacrée, dès janvier 2016, à l’apprentissage du français. Des sessions d’information ainsi que des émissions comme « Appels sur l’actualité », « L’invité Afrique », « Priorité santé » ou « Radio foot internationale » sont des rendez-vous attendus à Abidjan, à Dakar, à Douala ou à Kinshasa, des villes où la radio est connue par 9 habitants sur 10, selon l’étude TNS-Sofrès.

Cependant, ce succès, revendiqué par les responsables de la chaîne, n’empêche pas les critiques. La radio est parfois considérée comme le porte-voix du Quai d’Orsay. « Il est difficile d’occulter l’idée qu’il s’agit d’abord de la voix de la France. On le voit bien lorsque ses intérêts sont engagés quelque part. La couverture de la crise qui a précédé le référendum constitutionnel au Congo, par exemple, a semblé s’aligner sur la position ambiguë de l’Elysée », regrette Gervais Bouanga Ngoma, ancien journaliste et directeur général d’une radiodiffusion-télévision communautaire à Lébamba, dans le sud du Gabon. Selon ce professionnel, l’omniprésence de RFI en Afrique a aussi pour conséquence de phagocyter les radios locales, déjà fragilisées par un manque de moyens et des pressions diverses. « Cette critique tient d’une grande confusion. Nous sommes un média de service public et non une radio d’Etat. Nous sommes une radio indépendante », rétorque Cécile Mégie.

Raoul Mbog

 

Source :Le Monde Afrique

 

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