Toute l’affaire Daddah fils contre père * par le Pr Zekaria Ould Ahmed Salem

Hier, sous l’article «  encore un coup azizien :connaissez-vous l’histoire émouvante du ministre de la justice ?»,  j’ai reçu un commentaire anonyme disant juste  qu’« un livre sur le droit musulman de P. Blanc commente cet arrêt du tribunal mauritanien reconnaissant la paternité, une première dans le pays de la vertu »

 

En deux clics, on retrouve un livre qui donne toute la dimension juridique de l’affaire, il s’agit du livre de Zekaria Ould Ahmed Salem « Prêcher dans le désert : islam politique et changement social en Mauritanie ». Tout y est.

Il en sort que le père a dû subir l’enfer car rien ne lui a été épargné. A l’époque il n’était pas encore question d’avoir recours à l’ADN pour régler ce genre d’affaire. Le père a donc eu droit à des témoignages pour majorité, selon l’auteur,  délivrés par des témoins d’origine servile et fondés sur des ouï-dire. C’était sa parole contre la leur.
 
D’abord on apprend que l’arrêt de la cour suprême date non pas des années 70 comme le pensent certains mais de 1989 ! et cet arrêt stipule, selon l’auteur, que «  Si la femme esclave désigne un seul témoin pour faire reconnaître les relations du maître avec elle, ou désigne deux femmes pour faire reconnaître sa paternité sur l’enfant né de ses relations avec le maître, le serment du maître, dans ce cas, est comparable à celui d’une esclave ».
 
Nous sommes sous Taya.  A propos de cette affaire, il faut lire tout le passage du livre du professeur Zekaria Ould Ahmed Salem que nous reproduisons ou ne rien lire sinon on passe à côté des enjeux car pour le plaignant, devenu aujourd'hui ministre de la justice, P12  «  si la justice ne le reconnaissait pas comme le fils d’Abdallah Ould Daddah, outre les effets psychologiques et sociaux individuels, cela pouvait frapper le fils d’une série d’incapacités liées à la situation d’esclave, la condition servile se transmettant par la mère. Sa mère décédée au moment de l’arrêt, étant considérée comme esclave, il était lui-même considéré comme « esclave » jusqu’à l’établissement de sa filiation avec le maître de sa mère. Mais il est vrai que cette menace était virtuelle dans ce cas précis. Reconnu depuis sa naissance par la plupart des membres de la famille de son père ( la famille Daddah ), respecté dans la société une fois adulte, matériellement aisé et sans aucun doute plus riche que son père, l’intéressé avait également pu disposer de fatwas d’oulémas reconnus, d’ailleurs utilisées indirectement dans cet arrêt, qui l’avaient conforté dans la légitimité de son action. Il s’agissait aussi pour Brahim Ould Daddah de « laver l’honneur » et la mémoire de sa mère. Ayant affirmé toute sa vie durant la véritable filiation de son fils, Maria Mint Al-Manfou avait en fait toujours revendiqué le statut de « concubine servile » comme un droit garanti et reconnu par la charia »
 
P2 : « Chapitre VI Inégaux devant Allah
Charia , statuts personnels et changement social
 
Dans un arrêt rendu le 30 septembre 1989, la Cour suprême de la République Islamique de Mauritanie avait tranché un cas de reconnaissance de paternité au profit du plaignant, Brahim, avocat réputé de 37ans. L’intéressé poursuivait depuis plusieurs années son père Abdallah Ould Daddah, à l’époque ambassadeur en poste à Washington. Nonobstant la notoriété des protagonistes, le dossier aurait été parfaitement banal  si l’enfant n’avait été conçu avec la femme esclave que « possédait » le père et surtout si la Cour suprême ne semblait pas prendre pour légalement acquise la propriété et le concubinage serviles. En effet, le père reconnaissait être le « propriétaire » de la mère de l’enfant, mais niait l’avoir eue pour concubine. Or la plus haute juridiction du pays avait rendu un jugement par définition sans appel sur la base du fiqh malikite, sans faire référence  ni à l’illégalité même de la propriété servile à l’époque de la conception de l’enfant, au début des années 1950, ni même au décret d’abolition de l’esclavage adopté en 1981 sur la foi d’avis juridiques ( fatwas) dûment tirés… de la charia.
 
Analysant ce jugement, le juriste François-Paul Blanc en conclut que «  la Mauritanie, qui se voulait à la fois démocratique et confessionnelle pouvait difficilement proposer, s’agissant de l’esclavage, une réponse qui aurait satisfait à la l’égalité républicaine à la française et l’inégalité structurelle façonnée tout au long des siècles par l’islam ». Pourtant des cas concrets, et ce pour une série de raisons. D’abord, elle ignore superbement le succès de l’abolition dans tout le monde musulman en particulier dans les pays où «  l’application de la loi islamique «  est autrement plus accusée qu’en Mauritanie, comme c’est le cas en Arabie Saoudite. D’ailleurs, l’abolition de l’esclavage en Mauritanie a été appuyée sur des arguments tirés de la charia ( cf chapitre 4 ) et, en 2011, au moins un cas de condamnation pour « faits d’esclavage » a été prononcé par la justice au demeurant toujours «  islamique ». Ensuite, supposer que l’application de la charia  est un acte purement juridique que l’Etat en Mauritanie s’est montré peu désireux ou incapable de mettre en œuvre dans la pratique, pour trois raisons fondamentales qu’il convient de rappeler.
 
La première raison tient au fait que la charia n’est pas une table des lois définitivement fixée et directement applicable. Comme l’ont monté de nombreux travaux, que j’examinerai plus loin, la « loi d’Allah » n’existe que dans la mesure où il s’agit surtout d’un code moral et éthique dont la traduction en règles juridiques reste particulièrement complexe.
 
La deuxième raison, étroitement liée à la première, réside dans le fait que se proclamer islamique pour une république n’a pas de conséquences juridiques automatiques sur la base desquelles on peut inférer une série de conséquences concrètes prédictibles. En Mauritanie, si « l’application de la charia » est autrement plus délicate., c’est parce que la volonté  de codification ou de mise en oeuvre des «  lois islamiques » n’est pas inscrite à l’agenda politique des pouvoirs en place, par ailleurs particulièrement instables et changeants. Et, de toute manière, dans les régimes non théocratiques où elle a été entreprise, une telle «  application » génère souvent une subordination subtilement  orchestrée des normes islamiques au droit positif ou à la volonté politique de l’Etat. C’est ce qu’ont montré , entre autres, Nathalie Bernard-Maugiron et Baudouin Dupret pour le cas de la Haute Cour constitutionnelle égyptienne lorsqu’elle a incorporé les principes de la charia dans le droit positif, à la fois pour en limiter les effets et pour les utiliser comme éléments de légitimation.
 
La troisième raison est sociale et tient au fait que la société mauritanienne ne recourt qu’exceptionnellement à l’arbitrage de la justice, en particulier là où le recours aux dispositions « islamiques » est le plus courant, à savoir en matière de statut personnel. Outre leur répugnance à étaler leur vie privée devant les tribunaux, les acteurs sociaux sont bien souvent, et à juste titre, sceptiques quant à l’efficacité du système judiciaire comme lieu de médiation sociale. Il y a une quasi-paralysie du service public de la justice et  une nette déconnexion entre les décisions juridiques et le règlement des contentieux à en juger par le trop faible taux d’exécution  des décisions de justice en général, et le recours abusif au sursis à exécution en particulier. En tout cas, en matière de statut personnel, la justice d’Etat aussi bien que le législateur de façon générale ont souvent choisi de ne pas choisir de jurisprudence.
 
UNE JUSTICE ISLAMIQUE AMBIGUË ?

L’Etat mauritanien a toujours trouvé son compte dans la relégation des affaires de statut personnel dans le domaine arbitral privé régi de façon informelle par les familles, les cadis, les muftis et les oulémas. Dans ces conditions, la catégorie « esclave » est rarement présente dans les contentieux juridiques les plus courants. Le cas échéant, la justice s’efforce de classer les dossiers sans suite ou de requalifier les termes du contentieux de manière à faire disparaître toute référence à l’esclavage. Et lorsque les cas les plus inextricablement litigieux sont enrôlés par la justice, les autorités parrainent en général un règlement à l’amiable, adoptent le statu quo ou produisent un jugement consensuel.

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Vlane A.O.S.A.

 

Source : Chez Vlane (Le 13 juillet 2015)

 

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