Dans le monde selon la Fifa, les Etats n’existent pas

L'institution et son président Sepp Blatter ont théorisé, plus qu’aucune autre multinationale, la subordination du pouvoir politique des Etats à la cause supérieure du football, défendue par elle. Le coup de filet lancé mercredi est venu lui rappeler que des lois existaient sur les territoires où elle est présente.

 

Souvenez-vous, c’était après le désastre de la Coupe du monde 2010. A l’auto-humiliation nationale française, Sepp Blatter avait ajouté cette menace: une suspension de l’équipe de France pour le Mondial suivant. Pas d’édition 2014 pour elle si la chienlit continuait! Le scandale susceptible de justifier cette décision extrême, c’est que le personnel politique français avait eu l’outrecuidance de se positionner publiquement sur l’actualité des Bleus.

Ca n’a l’air de rien, mais tout ceci a un rapport direct avec le séisme judiciaire qui secoue la Fifa depuis le mercredi 27 mai. C’est toute une conception du monde, des normes et des rapports de pouvoir qui est à l’oeuvre dans les deux cas.

Revenons à nos petits Bleus. Que l’image de la France eût été saccagée et que la FFF fût placée sous la tutelle du ministère des Sports, tout ceci n’était pas le problème de la Fifa. Quand le pouvoir politique se mêle de sport, qu’il soit légalement dans son rôle ou pas, que ce pouvoir soit démocratiquement constitué ou pas, la Fifa hurle à l’ingérence. Il n’y a pas pire forfait à ses yeux que de voir des politiques se mêler de football. Sauf, bien sûr, quand il s’agit de payer les infrastructures qui rendront ses compétitions possibles. Et que ça saute.

Il faut relire ce que Sepp Blatter disait en 2010: «En France, ils ont fait du football une affaire d'Etat, mais le football reste entre les mains de la Fédération.» Jusqu’ici, ça fleure le bon sens près de chez vous, teinté d’un peu de populisme sur ces hommes politiques qui aiment décidément se montrer partout. La suite est plus intéressante: «La FFF peut compter sur la FIFA en cas d'ingérence politique, même si cette ingérence a lieu au niveau présidentiel.» A cette époque, la ministre des Sports, Roselyne Bachelot, avait jugé «inéluctable» la démission du président de la FFF Jean-Pierre Escalettes. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, e

Souvenez-vous, c’était après le désastre de la Coupe du monde 2010. A l’auto-humiliation nationale française, Sepp Blatter avait ajouté cette menace: une suspension de l’équipe de France pour le Mondial suivant. Pas d’édition 2014 pour elle si la chienlit continuait! Le scandale susceptible de justifier cette décision extrême, c’est que le personnel politique français avait eu l’outrecuidance de se positionner publiquement sur l’actualité des Bleus.

Ca n’a l’air de rien, mais tout ceci a un rapport direct avec le séisme judiciaire qui secoue la Fifa depuis le mercredi 27 mai. C’est toute une conception du monde, des normes et des rapports de pouvoir qui est à l’oeuvre dans les deux cas.

Revenons à nos petits Bleus. Que l’image de la France eût été saccagée et que la FFF fût placée sous la tutelle du ministère des Sports, tout ceci n’était pas le problème de la Fifa. Quand le pouvoir politique se mêle de sport, qu’il soit légalement dans son rôle ou pas, que ce pouvoir soit démocratiquement constitué ou pas, la Fifa hurle à l’ingérence. Il n’y a pas pire forfait à ses yeux que de voir des politiques se mêler de football. Sauf, bien sûr, quand il s’agit de payer les infrastructures qui rendront ses compétitions possibles. Et que ça saute.

Il faut relire ce que Sepp Blatter disait en 2010: «En France, ils ont fait du football une affaire d'Etat, mais le football reste entre les mains de la Fédération.» Jusqu’ici, ça fleure le bon sens près de chez vous, teinté d’un peu de populisme sur ces hommes politiques qui aiment décidément se montrer partout. La suite est plus intéressante: «La FFF peut compter sur la FIFA en cas d'ingérence politique, même si cette ingérence a lieu au niveau présidentiel.» A cette époque, la ministre des Sports, Roselyne Bachelot, avait jugé «inéluctable» la démission du président de la FFF Jean-Pierre Escalettes. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, en avait appelé à des états généraux du football susceptibles de rebâtir sa gouvernance.

Blatter encore: «C’est un message clair: la FIFA agit en cas d'ingérence politique, quel que soit le type d'intervention ou la taille du pays. S’il s'avère qu'il y a vraiment une intervention, nous aiderons la fédération. Si le problème ne peut être résolu par la discussion, la seule solution sera de suspendre la fédération.» Donc l’équipe nationale.

En version sous-titrée, cela donne: Sepp Blatter est plus puissant que l’Elysée ou le ministère des Sports pour régir l’avenir de l’équipe de France de football. Qu’importe si la FFF tient son pouvoir du ministère; ce qui compte est qu’elle est membre d’un corps supérieur, la FIFA, qui s’est donnée pour mission de la protéger des gouvernants. Sepp Blatter ne se conçoit pas seulement comme plus puissant que le président de la République française. Il est plus puissant que n’importe quelle autre personnalité politique quand il s’agit de football.

En langage diplomatique, le support doctrinal de ce renversement de pouvoir s’appelle «l’exception sportive». Sans évoquer la matérialité des faits sur lesquels enquêtent la Suisse et les Etats-Unis, qui n'est pas ici notre sujet, l’ouragan qui frappe la Fifa est la conséquence de cette drôle de vision du monde et du droit, une vision selon laquelle la Fédération internationale interprète les règles nationales à sa guise, puisque son rayon d’action –le sport, le football– fait d’elle un sujet de droit exceptionnel.

En frappant à leur porte mercredi au petit matin, les enquêteurs et policiers ont principalement rappelé aux dignitaires de la Fifa que le vrai monde existait, que des lois encadraient les activités humaines, que le football était certes une activité au rayonnement phénoménal brassant des milliards d’euros, mais qu’il demeurait une activité économique de spectacle aussi justiciable que les autres. A force de se convaincre de leur «exception», de la revendiquer, de l’appliquer, de faire comme si les lois nationales n’existaient pas, les dirigeants de la Fifa ont –tel est le soupçon formulé par la justice– égaré une partie de leur discernement dans la façon de mener leurs actions (et de faire circuler l’argent).

Exception sportive

L’exception sportive postule que le sport relève d’une «spécificité» par rapport aux autres activités humaines. Cette spécificité a été proclamée en février 1996 à Rome par un rassemblement de dirigeants, encore groggy après le fameux arrêt Bosman, qui a (quasiment) fait disparaître le notion de nationalité dans les compétitions de club au nom de la libre circulation des travailleurs.

Il y a, clament les défenseurs de ce concept, une exception sportive comparable à l’exception culturelle. Or, si Clémenceau disait que la guerre était une chose trop grave pour être laissée aux militaires, le mouvement sportif dit exactement le contraire: c’est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux politiques. Les sportifs doivent s’occuper des sportifs, selon des règles émises par ce pouvoir sportif parallèle. Il est seul souverain de façon générale. Il l’est surtout sur la transparence des mouvements de fonds.

L’exception sportive est un sujet extrêmement subtil. Elle inspire des dirigeants, comme Michel Platini à l’UEFA, qui savent la manier avec une certaine dose de prises de risque. Mais quand la politique locale intervient, le dialogue commence et les zones grises deviennent, au pire, des sujets de débat. On a vu des hommes politiques plaider pour l’exception sportive, comme Nicolas Sarkozy en 2008. On a vu aussi des responsables sportifs mettre en garde contre l’idée d’un sport qui se concevrait comme au-dessus des lois, dès 1996. C’est un sujet politique de premier plan que le droit n’a pas tranché.

Mais la Fifa manque de patience et elle applique, depuis l’accession de Blatter au pouvoir en 1998, une conception absolue de l’exception footballistique.

Aucune exception de ce type n’existe pourtant dans les statuts de la Fifa, ni dans son esprit, ni dans la lettre. La question du rapport juridique entre la confédération et les autorités politiques n’est abordée, de loin, que dans le troisième alinéa des missions du président. Après 33 pages de lecture, il y est écrit que le patron est responsable «des relations entre la Fifa et les confédérations, les membres, les instances politiques et les organisations internationales». Il n’est pas précisé si ces relations relèvent de l’égalité ou de la subordination. La toute-puissance du football s’est chargée d’occuper l’espace vacant.

Vendeuse de spectacle

Comme souvent, c’est l’argent qui a fait bouger les lignes. La Fifa est une association de droit suisse inscrite au registre du commerce. Elle vend du spectacle. Elle vend notamment le spectacle le plus recherché du monde par les télévisions, la Coupe du monde de football. Ce commerce lui assure des revenus phénoménaux. Répartis entre toutes les fédérations membres, partout sur la planète, les droits créent une situation de dépendance envers elle dans quasiment dans tous les pays ailleurs qu’en Europe, où la Ligue des champions et quelques marchés domestiques contribuent à la prospérité.

Ce que les gouvernants ne sont pas capables d’apporter aux dirigeants du sport, l’argent, la Fifa le distribue méthodiquement en Amérique du sud, en Afrique, en Asie. Son pouvoir y est devenu supérieur à celui des politiques. La mise en scène qui accompagne cette répartition renforce l’apparence de l’omnipotence. Blatter est une autre forme de petit père des peuples, mélange d’homme providentiel et papy gâteau. Il parle d’égal à égal avec les chefs d’Etat et de gouvernement, et même avec le Pape. Surtout le Pape: comme lui, il agit sans frontière. «Ses nombreux opposants l’imaginent aisément en train de jongler avec son ballon-mappemonde, tel l’acteur Charlie Chaplin dans Le Dictateur», écrit Le Monde ce jeudi. Osiris Guzman, président de la fédération de République dominicaine, voit encore plus loin:

«Jésus-Christ, Mandela, Churchill, Moïse, Lincoln, Luther King, Joseph Blatter. Quelles différences entre ces hommes?»

Avant la Coupe du monde 2014, un incident diplomatique avait éclaté entre la Fifa et le pays organisateur, le Brésil. Nous sommes deux ans avant l’échéance. Le secrétaire général Jérôme Valcke s’impatiente que le vote d’une loi prenne trop de temps: «Il faut donner un coup de collier, se mettre un coup de pied aux fesses et organiser cette Coupe du monde.» Si Dilma Roussef avait pu convoquer un ambassadeur, elle l’aurait fait. Elle envoie son ministre des Sports protester auprès de Sepp Blatter. L’affaire se clôt sur le constat d’une erreur d’interprétation dans la traduction. En réalité, comme dans ces plateaux télé où on oublié de couper le micro au plus mauvais moment, c’est bien le train-train quotidien qui vient d’être exposé à la face du monde. Un monde où la Fifa ordonne aux gouvernements de faire ce qui est bon pour tout le monde, avec plus ou moins de manière.

La FIFA a exaucé le rêve secret de toutes les multinationales. Elle possède plus de pouvoir que les Etats et les associations d’Etats qui régissent le monde, elle l’assume globalement et ceux-ci n’ont même pas fait semblant de chercher à leur résister. Trop occupée à jouir de ce pouvoir, la FIFA a juste oublié de se poser la question de sa légitimité et de ne pas confondre le pouvoir de l’institution avec ce lui des individus qui l’exercent. Cette affaire, ont pu penser par réflexe les personnes arrêtées, est une l’ingérence politique dans les affaires du football. C’est la position exprimée vendredi matin par Vladimir Poutine, dont la Russie doit organiser la Coupe du monde en 2018. Même les chefs d’Etat des plus grandes puissances ne se rendent plus des énormités qu’ils professent quand la FIFA leur a lavé le cerveau en les plaçant devant le fait accompli.

Cédric Rouquette

 

Source : Slate (France)

 

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