Nous, militaires israéliens, appelons Israël à stopper sa stratégie d’occupation

En Cisjordanie et à Gaza, la répression opprime les civils palestiniens et ne fait qu'alimenter le terrorisme islamiste que l'Etat hébreu est censé combattre. Un ancien membre de Tsahal témoigne.

Mon service militaire en tant que combattant au sein de la brigade Nahal a pris fin il y a onze ans. Au terme de celui-ci, j'ai fondé avec quelques amis l'association Breaking the Silence. J'ai discuté depuis avec des centaines de soldats, qui m'ont raconté leur service militaire dans les territoires occupés. Jamais auparavant des règles d'engagement aussi permissives que celles que décrivent des dizaines de soldats et d'officiers ayant pris part à l'opération " Bordure protectrice " n'avaient été portées à ma connaissance. Leurs témoignages révèlent comment l'armée israélienne (Tsahal) a agi et permettent d'expliquer dans une large mesure pourquoi les combats ont été aussi meurtriers.

Mais les témoignages sur l'opération " Bordure protectrice " ne racontent qu'une partie de l'histoire. Ils ne disent pas que l'opération de l'été 2014 était la dernière d'une série d'opérations périodiquement lancées par Tsahal dans la bande de Gaza ces dernières années (" Hiver chaud " en  2008, " Plomb durci " début 2009, " Pilier de défense " en  2012 et " Bordure protectrice " en  2014). Ils n'expliquent pas non plus pourquoi il est évident pour tout le monde que le déclenchement de la prochaine opération n'est qu'une question de temps.

Cette succession d'opérations à Gaza est le reflet d'une stratégie que des officiers supérieurs de Tsahal appellent " tondre le gazon ". Les partisans de cette stratégie la décrivent comme une réponse inévitable à la menace terroriste pesant sur l'Etat d'Israël. Elle est présentée par ces officiers comme un outil défensif destiné à ébranler la puissance des organisations terroristes qui menacent la sécurité des citoyens d'Israël. Selon eux, la menace à laquelle Israël fait face est constante et ne peut être complètement éradiquée. Israël doit donc périodiquement " tondre " les moyens mis en place par les organisations terroristes et altérer leur aptitude au combat. Le lancement d'une nouvelle opération à Gaza tous les deux ou trois ans n'est pas un caprice, mais le reflet d'une logique froide et calculée.

" Faire baisser la tête "

Mais la dernière opération, comme les précédentes, n'a pas seulement porté atteinte aux infrastructures de combat du Hamas et des autres groupes armés. Les principales victimes de cette politique de " tonte du gazon " sont les civils palestiniens, qui sont anéantis par ces combats perpétuels. Que peut-il advenir d'une société qui, en l'espace de deux mois, perd plusieurs centaines de ses enfants et voit 18 000 de ses foyers détruits ? Impossible de ne pas réaliser, lorsqu'on observe les méthodes de combat de Tsahal et les résultats atteints, que ce n'est pas le potentiel des organisations terroristes qui se trouve " rasé " tous les deux ou trois ans, mais l'aptitude d'une société tout entière à se développer, à vivre et, tout simplement, à relever la tête.

La " tonte du gazon " n'est qu'une autre composante du mécanisme à travers lequel Israël contrôle la population palestinienne, à Gaza comme en Cisjordanie. Afin de préserver ce contrôle, Israël agit en permanence de façon à garantir que la société palestinienne reste fragile et soumise. En tant que soldat, j'ai participé à un nombre incalculable d'opérations destinées à " faire baisser la tête " aux civils palestiniens de Cisjordanie. Beaucoup d'autres l'ont fait et continuent de le faire.

Des patrouilles, à toute heure du jour et de la nuit, dans les rues des villes palestiniennes, des descentes dans des maisons de civils arbitrairement choisies, des points de contrôle surprises au cœur de quartiers palestiniens densément peuplés, tout cela afin de montrer à la population palestinienne que nous, soldats israéliens, sommes là partout et en permanence, et afin de " créer un sentiment de persécution ". D'autres procédés, comme l'imposition d'un couvre-feu dans un village ou l'arrestation de tous les hommes qui s'y trouvent pour une période indéterminée, permettaient d'ancrer la peur au sein de la population et de renforcer le contrôle sur celle-ci.

La différence entre la mission des soldats en Cisjordanie et leur mission dans la bande de Gaza résulte de la différence de nature du contrôle qu'exerce l'Etat d'Israël sur chacun de ces deux territoires. La Cisjordanie est soumise depuis quarante-huit ans à un contrôle militaire total, direct et quotidien, et à un contrôle administratif partiel. Dans la bande de Gaza, bien qu'Israël n'ait pas mis en œuvre de contrôle militaire direct depuis 2005, il conserve la mainmise sur un certain nombre des aspects les plus basiques de la vie quotidienne des habitants de Gaza.

Nous contrôlons l'espace aérien et les eaux territoriales de la bande de Gaza, ainsi que son registre d'état civil et les entrées et sorties de marchandises et de personnes. Les offensives périodiques à Gaza sont en fait un autre rouage du mécanisme de contrôle indirect des habitants de l'enclave par Israël et un autre moyen de contribuer au démembrement de la société palestinienne.

Nous devrions nous rappeler que, lorsque nous amputons les Palestiniens de la liberté de choisir où vivre leur vie et du droit de vivre en sécurité avec un toit au-dessus de leur tête, c'est nous-mêmes que nous amputons. Nous nous amputons de nos valeurs et de notre humanité, mais aussi de notre sécurité et de l'espoir de pouvoir vivre autrement que dans l'attente perpétuelle de la prochaine guerre.

Si nous n'agissons pas pour mettre fin à cette " tonte perpétuelle du gazon ", en Cisjordanie et à Gaza, il ne pourra y avoir que davantage de morts et de destructions des deux côtés. Seul un combat politique déterminé à faire cesser ce contrôle est susceptible d'empêcher la prochaine guerre et d'apporter tranquillité et bien-être aux peuples de la région. Seule la liberté des Palestiniens peut garantir la liberté et la sécurité des Israéliens.

Par Yehuda Shaul

est confondateur et membre de Breaking the Silence, une association de plus de 1 000 vétérans israéliens

qui oeuvrent pour mettre un terme à l'occupation israélienne

 

Source : Le Monde

 

(Photo : Un soldat israélien face à un Palestinien, à un checkpoint d’Hebron, en 2008 (NASSER SHIYOUKHI/AP/SIPA)  Source : Rue89.com)

 

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