Violences politiques : des milliers de Burundais se précipitent au Rwanda

« C’est en voyant les fumées aux alentours de chez nous qu’on s’est décidé à fuir hier, raconte Vanessa (*), 18 ans, encore sous le choc. Plusieurs maisons étaient en feu. Nous avons traversé la frontière cette nuit par une piste, et avec ma mère et quatre frères et sœurs, nous sommes arrivés dans ce centre. »

 

Comme elle, près de 25 000 Burundais ont franchi la frontière avec le Rwanda par crainte des violences politiques qui frappent leur pays. Si le nombre tend à se stabiliser, voire à diminuer (ils étaient 169 dimanche 3 mai, 146 le 2 mai, 328 le 1er), la crainte d’une nouvelle arrivée massive de réfugiés burundais comme lors du week-end du 25 avril (près de 5 000 personnes) reste forte, surtout après les manifestations qui ont fait au moins quatre morts et plusieurs blessés par balles à Bujumbura, capitale du Burundi, lundi 4 mai. Le bilan depuis le début du mouvement s’élève désormais à treize morts : dix manifestants, deux policiers et un soldat, selon l’AFP.

Le camp de Bugesera s’étend sur 15 hectares

Situé à une vingtaine de kilomètres de la frontière rwando-burundaise, Bugesera, qui compte 10 500 réfugiés, est le plus grand des trois centres de réception du Rwanda. Ouvert le 3 avril, il accueille les réfugiés venant d’arriver sur le sol rwandais, les enregistre, leur fournit éventuellement des soins et leur distribue un premier kit (moustiquaire, couvertures, jerricans…). « Le camp organise aussi, après quelques jours d’attente, le transfert des réfugiés vers le camp de Mahama, au sud-est du Rwanda et à environ six heures de bus », indique Céline Schmitt, porte-parole de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Là-bas, ils sont déjà plus de 12 000.

Des milliers de réfugiés sont arrivés au camp de Bugesera, en provenance du Burundi. Crédits : UNHCR / Kate Holt

« Il y a quelques mois, il n’y avait rien ici à part quelques maisons abandonnées, explique Azarie Karangwa, responsable du centre de Bugesera, qui est géré par le ministère rwandais en charge des catastrophes et des réfugiés (Midimar). Il a fallu construire des cuisines, des latrines, des douches au fur et à mesure que les gens arrivaient… Comme il n’y a pas d’eau ici, il faut la puiser à 60 km et la transporter par camion-citerne. La situation est aujourd’hui calme et maîtrisée, même si le camp reste congestionné. Il est important de poursuivre les déplacements vers Mahama [1 100 personnes ont été transférées le 4 mai] et de continuer à construire des équipements pour faire face à une éventuelle arrivée massive de réfugiés tant que la situation au Burundi n’est pas stabilisée. »

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Sous les 17 grands hangars fournis par le UNHCR s’entassent des centaines de personnes, réparties parfois par 15 ou 20 dans des « pièces ». Sous les bâches en plastique en début d’après-midi, la chaleur et l’humidité rendent l’atmosphère suffocante. « Les infections des voies respiratoires sont les pathologies les plus fréquentes, explique Azarie Karangwa. La malaria vient ensuite. » Ce qui surprend en traversant le camp de Bugesera, qui s’étend sur une surface de 15 hectares, c’est le nombre d’enfants : il dépasse les 60 %.

Des réfugiés qui fuient les violences politiques au Burundi

Les premiers Burundais sont partis de chez eux début avril, après l’annonce faite par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat. Ce que ses opposants craignaient en restant chez eux, c’était les menaces et les intimidations de plus en plus violentes. « Les Imbonerakure [l’association de la jeunesse du parti au pouvoir dont le nom signifie en kirundi, la langue du Burundi « Ceux qui observent de loin »] venaient chez moi toutes les nuits, par groupe de 10 ou 15 avec des machettes et des armes à feu, raconte Idris (*), 33 ans, arrivé au centre le 27 avril. Ils disaient que les gens qui refusaient le troisième mandat du président seraient tués. J’ai encore très peur aujourd’hui, car ils sont comme des fous. »

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L’accord de paix au Burundi, signé à Arusha en 2000 après une guerre civile qui a duré une décennie, constitue le socle de la vie politique et stipule que le président ne peut effectuer que deux mandats. Pierre Nkurunziza, ancien rebelle âgé de 51 ans, a conquis le pouvoir en 2005, une élection obtenue devant le Parlement, puis au suffrage universel en 2010. Mardi 5 mai, la Cour constitutionnelle, dont le vice-président a dénoncé « des pressions énormes et même des menaces de mort » avant de s’enfuir, a validé sa candidature.

De l’autre côté de la frontière, la tension reste donc vive. « Les jeunes miliciens m’ont dit que si je ne rejoignais pas leur mouvement, ils me tueraient, assure Michel (*), 24 ans, arrivé au centre de Bugesera, le 25 avril. Je suis venu seul, en apportant seulement deux pantalons et un t-shirt ».

Bernard Twayelayezo, 20 ans, tient son bébé dans les bras, à Bugesera, le 2 mai. Crédits : UNHCR / Kate Holt

La pénurie de vêtements est à l’heure actuelle le principal problème que doit gérer le centre, qui a déjà enregistré huit naissances. Une collecte a été effectuée dans des églises adventistes par une ONG, mais dans le hangar où sont stockés les vivres et les habits, le tas paraît bien maigre.

La plupart des réfugiés ont fui dans la précipitation, sans rien emmener – beaucoup ont quitté leur domicile à pied – par crainte de se faire arrêter avec leurs bagages, ce qui aurait trahi leur choix d’exil.

Les barrages mis en place par les autorités burundaises sur les routes et les pistes qui mènent à la frontière rwandaise ont été renforcés depuis quelques jours. L’augmentation de ces « points de contrôle » peut-elle expliquer la relative baisse de réfugiés constatée à Bugesera ? Il est encore trop tôt pour le savoir.

(*) : tous les prénoms des réfugiés ont été modifiés.

 

Pierre Lepidi

envoyé spécial à Bugesera, Rwanda
 

Source : Le Monde Afrique

 

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