Faut-il apprendre aux footballeurs à courir?

Tout le monde sait courir. Mais courir comme il faut n'est pas donné à tout le monde. Dans un sport qui cherche à optimiser chaque compartiment du jeu, c'est un détail qui peut compter.

 

Lors d’un match, un footballeur professionnel court en moyenne entre 10 et 14 kilomètres en fonction de l’intensité de la rencontre qu’il dispute et du poste qu’il occupe, les latéraux étant, semble-t-il, les plus sollicités d’entre tous dans ce registre athlétique. Les footballeuses, elles, parcourent entre 9 et 12 kilomètres.

A l’origine, la course relève d’une motricité usuelle et ne nécessite pas un apprentissage particulier. Comme un réflexe, l’enfant précipite son pas et sa foulée à partir du moment où il cherche à gagner du temps et chacun adopte ainsi son propre et original style de coureur sans être forcément corrigé au fil du temps.

Trouver le bon tempo

Pendant longtemps, le footballeur a utilisé sa motricité usuelle en greffant son football dessus, mais avec l’affinement de la préparation physique et l’arrivée notamment de spécialistes de l’athlétisme dans les équipes consacrées à la préparation physique des as du ballon rond, il s’est, au cours de la période récente, davantage ou plus ou moins penché sur sa manière de se déplacer dans l’espace. Il n’empêche… Certains footballeurs de très haut niveau continuent de ne pas être toujours très performants dans cette série de sprints qui rythme la vie d’un match.

«Actions de bras pas très efficaces, placement du corps pas assez aligné, mauvais appuis sur la pelouse, il n’en faudrait pas beaucoup pour améliorer la course de certains», sourit Frédéric Aubert, entraîneur issu de l’athlétisme, actuel préparateur physique de l’équipe de France féminine de football après avoir été celui de l’équipe masculine de rugby du Stade Français. Il ajoute, joliment: 

«Si le football, c’est de la poésie, alors la course à pied, c’est de la grammaire.»

Cette grammaire n’est pas facile à assimiler ou à préciser en raison de la difficulté du football qui ne «coupe» pas vraiment le sportif en deux comme au basket où le bas et le haut du corps effectuent un travail bien dissocié. Au football, les pieds font tout ou presque: courir, passer et, si possible, marquer. Dans ces éternels allers-retours, arrière-avant ou gauche-droite, le footballeur accélère ou freine au gré des situations imprévisibles et il n’est pas aisé d’être toujours dans le bon tempo sur une aire de jeu aussi vaste.

«Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, deux phénomènes dans leur catégorie, courent juste, souligne Frédéric Aubert. Zinedine Zidane avait aussi une technique de course très équilibrée. En revanche, Michel Platini, mais nous parlons d’une autre époque, était plutôt pataud dans ses déplacements car ses appuis étaient assez lourds. Aujourd’hui, il serait débordé.»

Philippe Bretaud, entraîneur à l’Institut national du football de Clairefontaine, qui s’intéresse précisément à ces questions liées aux déplacements des joueurs dans une cellule de réflexion mise en place avec Frédéric Aubert, estime que le niveau de course des footballeurs est bon de manière générale.

 

«Mais le football, ce n’est pas un sprint linéaire, nuance-t-il. En même temps qu’il court, le joueur doit prendre des informations à gauche et à droite souvent en se retournant avec un ballon comme enjeu. On parle souvent de l’importance du pied chez les footballeurs, mais on n’insiste jamais assez sur le travail des bras et, de ce point de vue, il y a beaucoup de choses à explorer dans ce domaine. C’est ce que nous essayons de faire de manière encore assez expérimentale et novatrice à Clairefontaine. Par exemple, il y a beaucoup de courses arrière au football et c’est un sujet qui mérite ou mériterait une attention plus particulière à l’entraînement.»

Dans les centres de formation professionnels qui succèdent au passage des joueurs dans les clubs amateurs ou dans les pôles interrégionaux, courir juste, ou apprendre à courir juste, n’est pourtant pas une préoccupation toujours mise au premier plan.

«Changer la manière de courir, mais pour quel gain?»

Julien Le Pape, qui s’occupe de la préparation physique au sein du centre de formation du FC Nantes, ne différencie pas, par exemple, les exercices en fonction du poste occupé.

«Je n’insiste pas sur la manière de courir spécifiquement, mais seulement sur la coordination, l’agilité, la capacité à changer de direction. Mon travail est plus axé sur le rythme parce que je considère qu’à partir de 16 ans, qui est l’âge auquel je récupère les joueurs, la technique de course est difficilement corrigeable. A cet âge-là, de surcroît, les niveaux physique sont très variables et très évolutifs et nos priorités sont donc ailleurs.»

Julien Maison, préparateur physique chargé de la relève de l’AS Monaco, admet qu’en France, cette problématique athlétique n’est pas prise en compte comme elle devrait l’être.

«Les clubs, qui incorporent les joueurs vers l’âge de 17 ans avec des lacunes athlétiques souvent importantes, sont assez en retard dans ce domaine, c’est vrai, remarque-t-il. A l’entraînement, on demande aux joueurs de courir, mais souvent sans se poser la question de la technique de course. On leur fait travailler leur vitesse, en oubliant de se demander si ce type de travail leur servira en match dans la mesure où les joueurs en fonction de leur poste ont des courses radicalement différentes. Un milieu de terrain se concentre davantage sur des déplacements latéraux de trois-quatre mètres en effectuant rarement des courses au-delà de 20m alors que les joueurs de couloir sont, eux, dans des registres totalement différents avec plus de vitesse linéaire. Cette spécificité-là n’est pas réellement traitée.»

«Dans le sport professionnel, tout est dans le détail», reconnaît Yannick Menu, directeur adjoint du centre de formation du Stade Rennais avant de s’interroger:

«Mais changer la manière de courir, pour quel gain à l’arrivée? Evidemment, nous cherchons à tout optimiser, y compris l’appui ou la foulée, mais le football, ce n’est pas non plus de l’athlétisme.»

Il n'est jamais trop tard

Au pôle interrégional Henri-Guérin à Ploufragan, dans les Côtes d’Armor, qui accueille des footballeurs âgés entre 13 ans et 15 ans, c’est-à-dire la phase qui précède l’intégration au sein de centres professionnels, la technique de course est effectivement observée plutôt d’assez loin, comme le concède Patrick Papin, le directeur du centre, d’autant que dans un premier temps, les apprentis footballeurs ne sont pas forcément attachés à un poste particulier et donc à un type de course.

«Je vais consulter quelques entraîneurs d’athlétisme pour une prise d’information sur la question du côté de Saint-Brieuc, admet-il. Mais l’âge de nos jeunes footballeurs nous oblige à la plus grande prudence en la matière car ils sont en pleine croissance et il est donc difficile de changer la manière de courir des uns ou des autres même si nous regardons leurs appuis de très près.»

Yannick Menu se souvient, par exemple, de Yann M’Vila, formé au club et qui avait les jambes en x à l’âge de 13 ans et donc une manière de courir plutôt contestable.

«Sa posture n’était pas très bonne, c’est le moins que l’on puisse dire, et nous aurions pu l’écarter pour cette raison-là, explique-t-il. Mais comme nous aurions eu tort! Au fond, le reproche que l’on pourrait faire vient de l’éducation physique dans notre pays qui, on le sait, est très négligée à l’école. Il y aurait moyen d’intervenir à ce moment-là. Après, il est peut-être trop tard.»

 

Philippe Bretaud estime, au contraire, que rien n’est tout à fait perdu et que «toute course peut être améliorée y compris après la formation». Frédéric Aubert rappelle ainsi que Laura Georges, joueuse de l’équipe de France, est venue le voir, il y a peu, pour lui demander de faire évoluer sa manière de courir afin de la rendre plus performante.

 

«Elle approchait pourtant des 30 ans, mais nous avons réussi à ajuster certaines choses, souligne-t-il. Comme quoi, c’est tout à fait possible.»

Julien Maison pense, par exemple, que son collègue monégasque, Jérémy Toulalan, «qui a une grosse caisse aérobie», n’est pas efficace dans ses courses parce que «sa manière de courir l’use beaucoup» même s’il compense ce petit défaut par d’autres qualités. «On constate souvent que ce sont les milieux défensifs ou les défenseurs centraux qui pèchent dans la course», ajoute-t-il. Ce qui n’est pas le cas de Raphaël Varane, selon Philippe Bretaud.

«Comme ça, il paraît lent, sourit-il. Ses qualités de retournement et d’ajustement pour effectuer des courses vers l’arrière sont tout simplement extraordinaires.»

Un modèle du genre, mais qui échappe souvent au regard des téléspectateurs tant il s’agit d’un travail de l’ombre, presque invisible.

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page