Londres écorne l’immunité du prince de Bahreïn

Poursuivi au Royaume-Uni pour torture, le cheikh Nasser Ben Hamad Al-Khalifa doit perdre sa protection juridique. Mais il échappe toujours à la justice française, en raison de la mansuétude du Quai d'Orsay.

 

La justice britannique devrait lever, mardi 7 octobre, le dernier obstacle à l'ouverture d'une enquête contre le cheikh Nasser Ben Hamad Al-Khalifa, fils du roi du Bahreïn et président du Comité olympique bahreïni, pour des faits de torture. Une plainte avait été déposée en août 2012 par le plaignant " FF "  contre le cheikh Nasser pour son implication dans la répression exercée par les autorités bahreïnies contre le mouvement de contestation de 2011.

Alors présent en Grande-Bretagne  pour les Jeux olympiques, le prince avait  échappé  à d'éventuelles poursuites grâce à l'immunité accordée par Londres. La Haute Cour  d'appel de la Couronne doit entériner la levée de l'argument d'immunité.  " Un compromis a été conclu avec la direction des poursuites pénales ", indique  l'avocate britannique Sue Willman.

De février à juillet 2011, la répression, qui a visé en particulier la majorité chiite du pays, a fait plus de 60 morts et donné lieu à 1 400 arrestations et à des centaines de condamnations.  La Commission d'enquête indépendante, créée en juin 2011 par le roi Hamed, a conclu au recours systématique à la torture par les autorités, recensant 1 866 cas, sans  désigner de  responsables.

" Signal "

Le cheikh Nasser a été formellement identifié par deux opposants bahreïnis comme ayant directement participé aux actes de torture qu'ils ont subis en  avril 2011. Le chef politique et religieux Mohamed Habib Al-Meqdad et le dignitaire chiite Abdulla Al-Mahroos l'ont mis en cause  lors de leur procès en appel  au Bahreïn, en mai et juin 2012.

Les organisations des droits de l'homme voient dans  la décision britannique un précédent.  " Ce serait une victoire pour les prisonniers politiques du  Bahreïn et de la région. Un signal envoyé aux responsables qu'ils ne peuvent jouir de l'immunité et doivent rendre des comptes devant la justice, que ce soit en Grande-Bretagne ou dans  les autres pays ayant ratifié la Convention des Nations unies sur la torture ", salue  Hussain Abdulla, directeur de l'ONG Americains pour la démocratie et les droits de l'homme au Bahreïn. Cette décision ne devrait toutefois pas changer l'issue de la plainte déposée en France, le 22 août, pour les mêmes faits par  la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).

Le pôle crimes contre l'humanité du parquet de Paris a été saisi à l'occasion de la venue en France du cheikh Nasser, du 26 au 31 août, pour les Jeux équestres mondiaux. Le 28 août, le procureur de la République a classé la plainte sans suite, invoquant l'immunité du prince Nasser, après l'avis de la direction du protocole du Quai d'Orsay. " On a le sentiment que l'absence de suites données repose sur des considérations plus politiques que judiciaires ", commente Me Patrick Baudouin, l'un des avocats de la FIDH.

" La procédure habituelle  "

De son côté, le parquet de Paris assure que c'est  " la procédure habituelle  "  et renvoie la balle au Quai d'Orsay :  " Nous avons contacté le ministère des affaires étrangères qui nous a répondu que l'intéressé bénéficiait d'une inviolabilité et d'une immunité de juridiction. C'est pourquoi nous avons classé la plainte sans suite. "  " Le Quai d'Orsay donne des immunités de complaisance et le parquet le couvre en ne vérifiant pas ", accuse l'avocate  Clémence Bectarte.

Elle fait valoir une lettre adressée, le 27 août, par le  directeur  du cabinet du ministre,  indiquant que la participation du cheikh Nasser était  " une visite strictement privée, dans le cadre d'une compétition sportive ".

Un recours a été déposé devant la cour d'appel de Paris, le 26 octobre, mais les avocats français se font  " peu d'illusions ".  " Le plus grave serait que l'on érige  en système une  pratique qui permet de contourner l'obligation qui pèse sur la France de poursuivre les auteurs présumés de torture ", craint Me Baudouin. Si l'on est loin d'un épilogue judiciaire en Grande-Bretagne, Me Willman espère obtenir  des restrictions de visas pour le prince, qui se rend fréquemment au Royaume-Uni, où il a étudié et où sont nés trois de ses enfants.

 

Hélène Sallon

 

Source : Le Monde
 
 

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