Yérim Fassa :  » En Mauritanie, c’est la communauté wolof qui est menacée dans tout son ensemble « 

En Mauritanie, à trois mois de la présidentielle qui est prévue en juin 2014, le président Ould Abdel Aziz doit faire face à la grogne de plusieurs dignitaires de la communauté wolof, au sud du pays. Yérim Fassa est médecin militaire. Il a été maire de Rosso, la grande cité commerçante à la frontière du Sénégal.

 

Aujourd’hui, il est toujours dans le parti au pouvoir, l’Union pour la république (UPR). Mais va-t-il y rester longtemps ? De passage à Paris, il répond aux questions de Nicolas Champeaux.

RFI : Dans une lettre que vous avez adressée au président de la République au début du mois – lettre que vous avez fait publier – vous écrivez que votre communauté est en passe de disparaître. Quels sont les aspects culturels et sociaux wolofs qui sont menacés en Mauritanie ?

Colonel Yérim Fassa : En Mauritanie, c’est la communauté wolof qui est menacée dans tout son ensemble. C’est une communauté qui est marginalisée, qui est exclue, et qui est délibérément éliminée, et parfois même ignorée.

Et y’a-t-il une nette détérioration dernièrement ?

Ça a été progressif parce qu’au début de l’indépendance, il y avait quand même une représentativité wolof assez timide, mais qui existait au même titre que toutes les autres composantes nationales. Mais depuis à peu près dix ans, on a remarqué que la représentativité de la communauté wolof est en train de baisser dans toutes les sphères nationales et c’est ça qui est grave. Dans certaines instances nationales, il n’y a pas de représentativité wolof.

Ne faut-il pas privilégier la compétence et non les origines ?

Nous avons des compétences. Nous regorgeons de cadres, de cadres extrêmement compétents, sérieux, honnêtes, patriotiques, qui n’ont pas de postes de responsabilité. Je vais vous donner un exemple : nous avons le premier pharmacien mauritanien qui est un Wolof et qui est actuellement au ministère de la Santé. Malheureusement qui est semi-enterré dans le carré de cimetière des cadres mauritaniens.

Et toutes ces personnes compétentes soutiennent-elles votre initiative ?

Même si elles ne soutiennent pas mon initiative, c’est une initiative qui est là, qui existe, qui est concrète. On n’a pas de représentativité au niveau de la Commission électorale nationale indépendante (Céni). On n’en a pas au niveau de la Commission des droits de l’homme. On n’en a pas au niveau des postes diplomatiques. Il y a un remaniement qui vient de se passer , un remaniement ministériel, un remaniement diplomatique. Aucun wolof n’est représenté dans ce remaniement ministériel ou dans ce remaniement diplomatique.

Et vous, vous menacez même de quitter la porte du parti UPR au pouvoir et de créer votre propre parti si le gouvernement ne fait pas plus de place aux Wolofs.

Mais si le gouvernement ne fait pas plus de place aux Wolofs, je suis obligé de revoir tous les chefs de village wolofs, de demander une audience avec le président de la République. Nous allons le rencontrer avec certaines ONG, certains chefs religieux, certains chefs de parti pour lui demander de nous reconsidérer et de nous donner ce qui revient à la population, aux cadres wolofs.

Et si vous n’avez pas gain de cause, vous allez créer un parti. Est-ce cela ?

Si je n’ai pas gain de cause, je saisirai les organisations internationales. Le  président de la République est actuellement président de l’Union africaine. Il sera saisi de l’exclusion de la minorité wolof. Si tout cela ne marche pas, je serai obligé de créer mon parti politique.

Ce sera donc après la présidentielle ?

Ce sera après la présidentielle, bien sûr.

Comment comptez-vous, si vous créez ce parti, contourner la loi qui interdit la création de partis politiques en fonction des bases ethniques et communautaires ?

Mais ce ne sera pas un parti purement wolof, pas du tout. Ce sera un parti pluriethnique où le dirigeant sera un Wolof, comme il existe en Mauritanie certains partis où il y aura des Arabo-berbères, des Haratines, des Peuls, des Soninkés. Et la donne va changer. On va mener une lutte contre les discriminations de toutes les minorités.

Avez-vous l’impression de briser un tabou ?

Oui, j’ai l’impression de briser un tabou qui existe parce qu'on a eu des cadres wolofs, mais qui n’ont jamais parlé. Si actuellement je me manifeste, ce n’est parce que je ne suis plus maire, non pas du tout, parce que moi Fassa, je ne cherche pas à être ministre. Je brandis cette menace pas pour moi, mais c’est pour ma communauté.

Si on vous proposait un poste, vous allez décliner l’offre et recommander quelqu’un de votre communauté qui est compétent ?

Mais le président de la République, monsieur Abdel Aziz, sait bien qu’il y a des cadres mauritaniens wolofs qui sont plus jeunes que moi, aussi compétents que moi. Donc ces cadres wolofs qui sont plus jeunes que moi, plus compétents, doivent être nommés ministres, mais pas moi qui suis d’un certain âge. Je laisse la place à la jeunesse.

Pourquoi ne pas avoir interpellé le président mauritanien alors que vous étiez maire de Rosso ? Vous avez été tout de même maire pendant près de 7 ans ? Pourquoi ne pas avoir saisi cette plateforme pour vous exprimer  ?

Je l’ai déjà fait. Mais je ne l’ai pas fait sur les ondes internationales. Je ne l’ai pas fait avec véhémence. Quand j’étais militaire, j’étais soumis à un droit de réserve. Ensuite en tant que maire, également j’étais soumis à un droit de réserve. Il ne faut pas que je mette le feu partout.

Si chaque poste implique un droit de réserve, les nominations sont-elles le meilleur moyen d’œuvrer en faveur d’une communauté ?

On les a déjà dénoncées, pas de la façon la plus véhémente comme je vous ai dit, mais ça a toujours été dénoncé. De façon peut-être tacite, on l’a toujours dénoncé.

Vous reconnaissez tout de même que le président Mohamed Ould Abdel Aziz parle le wolof ? C’est-à-dire qu’il s’intéresse à cette culture ?

Oui, il est d’adoption wolof. C’est cela que je ne comprends pas d’ailleurs. C’est pour cela que je veux le rencontrer pour qu’on en parle, pour qu’on discute, qu’on voit un peu parce qu’il est d’adoption wolof. Il aime bien les Wolofs parce que nous sommes paisibles, nous sommes extrêmement courtois, nous sommes gentils. Et tout cela, nous voulons le faire dans la non-violence.
 

 

Nicolas Champeaux

 

Source : RFI

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page