Le Sénégal démuni face aux pilleurs des mers

Un navire russe multirécidiviste, pris en flagrant délit de pêche illégale, a été arraisonné par les autorités de Dakar.

 

Amarré au quai de la Marine, à Dakar, l'Oleg-Naydenov patiente sous bonne garde. Le chalutier russe est arrivé là sous escorte militaire le 4 janvier, après avoir été repéré en train de pêcher sans aucune autorisation dans les eaux territoriales du Sénégal, non loin de celles de Guinée-Bissau.

Son équipage – 62 marins russes et 20 guinéens – est consigné à bord. L'imposant bateau de 120 mètres de long, capable d'aspirer plus de 100 tonnes de poissons en une journée, illustre les ravages de la pêche illégale qui affecte particulièrement les populations africaines.

De décembre à mai, au large de l'Afrique de l'Ouest, des eaux froides riches en nutriments remontent des profondeurs, attirant des bancs de petits poissons (sardinelles, chinchards, maquereaux, anchois…) et des bateaux usines russes, coréens, espagnols qui raflent cette manne au détriment des pirogues sénégalaises. Depuis une quinzaine d'années, scientifiques, ONG et pêcheurs constatent que la ressource s'épuise.

Or, si les étrangers sont attirés par la concentration saisonnière de poissons-fourrage qu'ils transforment en farine pour l'alimentation du bétail, les Sénégalais, eux, les consomment. La raréfaction de la sardinelle a des répercussions sérieuses sur la sécurité alimentaire du pays. Aussi le gouvernement affiche-t-il sa détermination à lutter contre le braconnage à grande échelle.

" C'est grâce à l'avion français qui nous assiste dans la surveillance maritime que nous avons repéré l'Oleg-Naydenov, explique Cheikh Sarr, responsable de la direction de la surveillance et de la protection de la pêche au Sénégal. Il opérait près de trois autres navires lorsqu'il a été surpris en flagrant délit fin décembre : un russe et deux ukrainiens qui avaient masqué leur identité sur la coque. Mais nous allons tâcher de les retrouver. " L'homme précise que les bateaux usines étrangers ne sont pas les seuls visés par ses services, les contrevenants sénégalais sont plus souvent poursuivis.

L'armateur russe risque une amende de 200 millions de francs CFA (305 000 euros), qui sera multipliée par deux car son chalutier avait déjà été arraisonné en 2012. Moscou prend l'affaire au sérieux. L'Agence fédérale pour la pêche (Rosrybolovstvo) a d'abord prétendu que le navire se trouvait au large de la Guinée, ce que nie le Sénégal. Le ministère russe des affaires étrangères a ensuite émis publiquement des doutes sur les méthodes musclées employées par les militaires sénégalais.

" Nous devons durcir notre législation, affirme Haïdar El-Ali, ministre de la pêche et des affaires maritimes du Sénégal et célèbre défenseur de l'environnement. En Mauritanie, la pêche illégale peut entraîner la prison pour l'équipage et la saisie du navire par l'Etat ! Tandis que nous pouvons seulement confisquer la cargaison, les filets et infliger une simple amende à ce chalutier multirécidiviste ! "

Citant les calculs de l'Agence américaine pour le développement international (Usaid), qui estime le coût de la pêche illégale à 150 milliards de francs CFA (près de 228,7 millions d'euros) de pertes annuelles pour le pays, M. El-Ali souligne que les pêcheurs artisanaux, qui s'appauvrissent de plus en plus, vont grossir les rangs des candidats à l'immigration clandestine. " La lutte contre la pêche illicite est un combat noble pour un développement que nous voudrions durable, soutient-il. Les flottes illégales ont une énorme capacité de destruction. Certains chaluts remontent jusqu'à 50 tonnes de poissons d'un trait et on peut en compter jusqu'à une centaine – des russes, des chinois, des coréens, des espagnols… qui ont soit obtenu des licences de la part de pays voisins, soit rien du tout et qui viennent se servir dans nos eaux territoriales. La sardinelle est la dernière ressource halieutique qui nous reste avec les céphalopodes, les gros poissons ont disparu. "

L'organisation Sea Shepherd a proposé le renfort d'un de ses bateaux rapides pour la surveillance des côtes et vient de signer un accord en ce sens avec les autorités sénégalaises. Dans le cas de l'Oleg-Naydenov, il a fallu envoyer des commandos pour contraindre le bateau récalcitrant à rallier Dakar.

Habitué à agir à sa guise, son capitaine disposait, jusqu'en 2012, d'autorisations délivrées par le précédent gouvernement. " En 2010, les Russes avaient promis de payer 100 francs CFA le kilo pour avoir le droit de capturer 300 000 tonnes de poissons, explique M. El-Ali. En fait, il n'y a eu que 35 francs CFA de versés dans les caisses de l'Etat et on ne sait pas combien ils ont pêché. Il y a toujours eu des arrangements et de la corruption. Cette fois, je pense que nous devons envoyer un signal fort. "

" La pêche fait vivre plus de 600 000 personnes, rappelle pour sa part Gueye Gaoussou, mareyeur et président de l'Association pour la promotion et la responsabilisation des acteurs de la pêche artisanale à Mbour. 80 % de nos pêcheurs sont des artisans. Avec leurs pirogues, ils doivent aller de plus en plus loin, leurs filets sont vides. Alors ils prennent d'eux-mêmes des initiatives pour permettre le repos biologique des poissons, s'imposent des tailles minimales de capture. Il faut les défendre, sinon on repart vers la grande pauvreté ", insiste-t-il.

Puis il félicite le gouvernement qui a le courage d'affronter les Russes, mais il prévient : " Tout le monde suit de très près l'actualité et espère qu'il n'y aura pas de nouvel accord de pêche avec eux. " Jeudi 9 janvier, son organisation devait tenir son forum annuel. Thème de cette édition : " La transparence dans le secteur de la pêche ".

 

Martine Valo

 

Source : Le Monde

 

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