MANDELA EN UNE SECONDE LEÇON Par Abdarahmane NGAIDE (Bassel)

Au pays du Soleil Levant, ma pensée est restée rivée sur Mandela. Je vois son visage et son sourire surplombant ma fenêtre et me disant : « Que viens-tu faire par ici ? Je te croyais à Qunu ! ».

 

C’est en réponse à cette question/exclamation que j’ai écrit ce texte pour partager avec vous des instants de notre sunaare planétaire (affliction en pulaar). Lui qui tolère toutes les langues jusqu’à apprendre la langue de son « ennemi » pour mieux le surveiller et comprendre ses différentes tactiques. Elle qui incarne le régime qu’il n’a jamais cessé de combattre, jusqu’au dernier souffle, sur la base de principes qui dépassent les frontières, devenues étroites, de la démocratie telle que nous la pratiquons chez nous. Il est fier en arborant le maillot des Springboks, sport qui symbolise comment l’apartheid s’est immiscé même dans le ludique. Et le clou, il nomme à la surprise de tout le monde de Klerk premier vice-président, reconduit l’ensemble de son gouvernement et met Buthelezi devant le fait accompli en lui remettant la gestion intérieure du pays. Il faut vraiment le faire !

Mandela est venu pour renouveler tous les concepts et les paradigmes de la vie pratique, religieuse et joyeuse en société, toute la vie durant. C’est comme si je me hasardais à vous dire, qu’il nous parlait de la fin d’une certaine histoire du monde ! Il a vécu un siècle ! Dans notre chronologie, un siècle est une séquence du film de la vie, et donc un bilan conceptuel peut bien s’imposer surtout quand il s’ouvre sur un millénaire d’une « modernité » foudroyante. Et pour bien entrer dans ce nouveau millénaire que le siècle vient de clore, il faut repenser les paradigmes de la vie en société dite Humaine. Un monde nouveau doit apparaître et son Verbe, sa Grammaire, sa Philosophie et toutes ses articulations pratiques viennent d’Afrique à travers la Lumière d’un Homme, un vrai Homme. D’ailleurs lors de l’hommage la parole avait été bien distribuée pour que le message ait vraiment son sens. Regardez bien : Cyril maître de cérémonie (futur président ?!). Toutes les religions étaient soumises à une seule Loi, se parler et conclure que l’homme parti à un caractère référentiel qui rappelle celui de chacun des prophètes de la religion qu’ils représentent individuellement, mais aussi communautairement. Ensuite le doyen de la famille Mandela et les petits enfants. Incroyable coordination générationnelle, religieuse et politique que Mandela nous laisse encore comme leçon. Banki Moon parlera au nom du monde entier et dira cette chose : « un arc en ciel est la rencontre entre la lumière et la pluie ». Il pleuvait. Et pourtant en cette période, le thermomètre de Johannesburg aurait dû afficher 30°, mais il faisait 17°. Les parapluies étaient interdits et tout d’un coup ils devinrent obligatoires. C’est incroyable ! Tout cela me rend fou. Obama Barack ou baraka, petit-fils, originaire du Kenya (pas loin), dont le visage est si semblable à celui de l’Homme parti, prit la parole. Il fut applaudi jusqu’à la transe. Toutes les dépêches reprirent son mot comme pour le diffuser davantage au monde. Il est l’héritier advenu très tôt. Cuba, la Chine, l’Inde et Brésil prirent la parole. Comme si Mandela avait convié à une conférence mondiale pour la réarcticulation des axes du Monde. Et notre bande de chefs d’État plus crapules les uns les autres et leurs protecteurs ; dont les frontières se referment sur leurs peuples produisant ce produit nocif -la haine de l’autre – étaient dans la foule. Les choses m’intriguent !

L’archevêque incroyable, pas du tout programmé, viendra égayer les fidèles au point qu’un journaliste n’hésita pas à écrire que Desmond Tutu mêlait « pitreries et prières ». Quel blasphème ! Alors que l’archevêque fera admettre à tous cette vérité : « Nous promettons à Dieu que nous suivrons l'exemple de Nelson Mandela ». Comme s’il confirmait que l’Homme était porteur d’un Message Divin. Ici, permettez-moi d’exercer mon droit au blasphème.

Tout cela, mélangé, donne l’ossature de la philosophie rolihlahlaienne.

 

Ubuntu ! Ubuntu ! Cette philosophie profonde qui a pour vocation de réveiller le sensible et l’indéfectible en nous, notre homminitude, et ce souffle divin qu’elle porte depuis toujours. La dimension messianique d’un homme se caractérise, je crois, par les anecdotes et les images incroyables qu’il laisse en héritage. Tous les hommes vénérés, depuis la naissance de l’Univers, ont accompli des miracles pour mériter de rester comme les traces principales de la pensée de leur époque. La comparaison est hors contexte et la polémique est hors propos.

Mandela, c’est Mandela. Notre siècle, c’est notre siècle. C’est aussi simple que cela. Il nous a parlé. Il a parlé au monde entier depuis la pointe sud du continent, vieux lieu de passage et de traversées dans tous les sens. Vrai concentré des « races », des ethnies royales, des religions, il est même dit émergent, ce pays est donc représentatif du monde tel qu’il se redessine.

Son miracle à lui restera bien conservé. Car qui dit Mandela voit un sourire éclatant sur une figure toujours luisante, les yeux presque fermés et le point toujours levé. La conviction ! C’est l’Homme débout, sûr et assuré au point que malgré son âge, il esquisse toujours ses vieux pas de danse. Quel autre Homme dense sur cette terre ; dont les jeux de coudes sont devenus une danse ? Quel autre Homme sur cette terre a attiré vers lui les « denses » de ce monde pour une photo souvenir ? Quel autre Homme, de ce siècle finissant, est resté fidèle à une phrase prononcée à une époque où fusiller un noir en Afrique du Sud relevait d’un simple appui aveugle sur une gâchette ? Quel autre Homme, dans ce monde qu’il clôt, s’est fâché publiquement pendant qu’il négociait l’avenir de son pays ? Mais sa colère est toujours maîtrisée, car la conclusion de son discours indique la bonne résolution. Extraordinaire, fantastique ! Quand l’âme du pardon anime un homme, il s’élève au-dessus de tout sans pour autant dévier de sa vraie voie : libérer le monde des entraves de la rancune et des remords.

Mandela était porteur de Messages, d’Un Message. Un Messager du siècle avec tous les outils pour redéfinir le monde, vient de repartir à Qunu, sur ses terres, ses collines vertes et ses troupeaux. Quel miracle n’a-t-il pas accompli depuis le discours de Rivonia, depuis les prisons de Robben Island et Pollsmoor jusqu’à ce jour du 11 février 1990 ?

Les hommes font toujours des miracles. Et pourtant beaucoup de leurs miracles sont pensés si ordinaires, car relevant de la simple imagination des incrédules parmi les hommes. Ce qui me semble important ce sont leurs bouts de phrases, comme inachevées, qu’ils abandonnent dans nos oreilles. Ce sont des sonnets qui nous sonnent jusqu’à l’étourdissement, car ils concentrent en eux une mine philosophique sans précédent qui peut servir les débats actuels et ceux des mondes à venir. Il faut qu’on s’y penche.

Mandela a peuplé toutes les oreilles du monde de ses sentences, avec ce timbre dans sa voix, esquissant toujours ce sourire si malicieux, les yeux presque [comme] toujours fermés sur le Livre imaginaire qu’il porte. Il l’écrit dans nos oreilles et le traduit en actes aussi de manière quotidienne et toujours élégante. C’est à nous de le lire, de manière plus serrée et plus intelligente, pour sortir de son univers d’aphorismes la Vraie Œuvre qu’il ne pouvait que pré-énoncer. C’est un pré-annonciateur et c’est aujourd’hui qu’il faut le fêter. Les Pulaar disent « o opii yolnde ». Pour une traduction simple : « Il laisse un vide ». Mais ce vide est comblé de concepts à définir et surtout à transformer en Actes fondés sur leur impérissabilité préétablie

L’homme qui le reçut sous son toit, sa première nuit de liberté, est son Apôtre attitré. En l’écoutant, dans son rire si particulier et si malicieux comme celui d’un enfant, nous ne pouvons que nous dire : « Desmond Tutu s’est demi de sa soutane à sa rencontre avec Mandela ! » Car il était convaincu qu’il assistait au retour du Saint annoncé, celui qui porte la spiritualité sans la lourdeur de son exubérance et son goût du faste, mais nuitamment. Desmond Tutu disait : « Je ferai tout ce que je peux faire pour détruire ce système diabolique, quoi que cela puisse me coûter. Personne ne m’arrêtera… Je brûlerai la Bible et cesserai d’être chrétien à partir du moment où quiconque produira une preuve biblique qui justifie l’apartheid ».

Un homme politique, tout en maintenant la frontière des différences dans l’espace de la courtoisie et de la bienséance, a besoin de l’aile réactionnaire qui dort chez les religieux sinon son combat peut être voué à l’échec. La dimension mythique du pouvoir a besoin de liturgie intelligente, vrai ijtihad, car les religieux doivent être de leur temps et non pas figer La Pensée de Dieu dans le temps auquel sont conjugués les Verbes qu’ils lisent dans leurs Livres. Impossible de croire à cette exégèse amnésique et anachronique ! Le Dieu a crée la réflexion, et donc le mouvement qui ne peut que se décliner, et toujours, que dans ses/les renouvellements.

La combinaison Mandela-Desmond Tutu est extraordinaire comme exemple de liaisons complices, mais distinctes/distantes entre le politique et le religieux. Au-delà du caractère messianique que Mandela lui-même incarne, il avait besoin d’un prêtre pour diffuser ses idées parmi les fidèles et contre les « infidèles », ceux qui croient qu’ils sont les seuls Elus de la Terre. Et qu’ils doivent/peuvent [à leur guise], par conséquent, dominer le monde qui les entoure, tuer sa culture voire le génocider.

Les religieux jouent et joueront toujours un rôle fondamental dans notre bonheur comme dans notre malheur jusqu’à la fin des temps, sinon l’Eglise reformée sud-africaine (NGK) n’allait pas être du côté du système abominable de l’Apartheid, tout ce temps, sur la base de la lecture qu’ils font des seules pages qui les intéressent et/ou les arrangent dans leur Livre. Les religieux malicieux ferment toujours leur Livre aux pages qui leur ôtent toute possibilité de continuer à jouir de l’aura. Mandela a réussi à les délivrer des pitreries et des inepties qu’ils faisaient dire à leur Livre.

Desmond Tutu est donc le pendant religieux du pouvoir temporel de Mandela, et toutes leurs complicités le prouvent amplement au point qu’aucune contestation ne viendra déstabiliser ma conviction. Le politique suit le religieux et vice versa pour que la société, en mutations et tiraillées de toutes parts, puisse voir s’ouvrir les boulevards de la liberté et du dialogue. Mais quand les détenteurs du Savoir religieux s’emmurent, toujours à genou devant leurs Autels, leurs chandelles, et leurs chapelets ou penché sur de vieux livres aux écritures raturées…, il y a de quoi douter de la religion au point que le sentiment, de vouloir brûler toutes les bibliothèques de nos Imams et Ulémas, fermer les Mahadras, me traverse l’esprit.

Vous savez que nous avons eu chez nous des marabouts extraordinaires. Je pense au phénomène Thierno Younouss que les gens écoutaient pour seulement rire alors que durant toute sa période vie, il n’a jamais cessé de susciter chez nous l’idée de révolte, mais le côté ludique voire « étrange », du vrai marabout qu’il était pourtant, l’a emporté sur l’application des leçons qu’ils prodiguaient [Son pendant existe, aujourd’hui, chez les Maures et ses cassettes circulent en Mauritanie. Elles sont succulentes !]. Finalement, Thierno Younouss était contre l’ordre religieux, tel qu’il était représenté, et contre l’ordre politique, en accord avec le premier pour perpétuer, ensemble, et en toute complicité et en flagrant délit par rapport aux Ecritures Saintes, l’injustice, le pillage de l’économie et la perpétuation de pratiques si rétrogrades, comme celle de l’esclavage. C’est abominable comme l’apartheid. Wallahi.

Les Livres qui gèrent nos imaginaires paradisiaques fourmillent, pourtant, d’idées intéressantes, mais nos religieux les referment vite sur les passages compromettant cette aura, usurpée, qui leur permet d’endormir nos consciences. Sinon comment, comprendre que, quand Biram a brûlé des pages « insolites » d’un de ces livres-commentaires des auteurs des siècles derniers, tout le monde l’a poussé entre quatre murs à défaut de pouvoir l’éliminer physiquement. C’était le but recherché ? Pour ne prendre que l’un des derniers actes de nos autorités et du système qu’elles ne cessent de reproduire à l’infini.

Un homme pétri de religiosité, chez nous, doit pouvoir dire avec Desmond Tutu « Je brûlerai la Bible [tout Livre] et cesserai d’être chrétien [religieux] à partir du moment où quiconque produira une preuve biblique [tirée de mon Livre de référence] qui justifie l’apartheid [toutes ces injustices en Mauritanie] ». Cette phrase suggère que les Ulémas et les Imams puissent agir, en conséquence du contenu du Livre qu’ils lisent selon leurs convictions propres, pour rejoindre ceux qui contestent les ordres, les positions et les couleurs devenus les seuls baromètres pour mesurer notre Humanité. Cette conviction conduit toujours aux troubles et aux vexations qu’elles produisent, rompant la motricité de la société. Nous en sommes d’éternelles victimes.

Vous Imams et Ulémas, nous brûlerons vos bibliothèques et fermerons vos Mahadras si jamais les livres, qu’elles gardent, cautionnent ce que certains Mauritaniens vivent dans leur chair.

L’alliance stratégique entre une partie de nos Ulémas et Imams et les porteurs actuels du discours de la Mauritanie de demain, doivent prendre cette image qui réunit en les séparant Mandela et Desmond Tutu.

Et pour cela, je raconte sous la dictée de Desmond Tutu ce passage dans leur vie ensemble qui en dit long sur les rapports réels entre la religion et la politique. Un jour, dit-il, il lui a reproché de s’habiller avec des « couleurs criardes », allant même jusqu’à se permettre de remarquer que Mandela avait un « goût abominable !». Mandela, l’Homme intuitif, dont les reparties sont toujours fulgurantes, lui répondit : « C’est très amusant venant d’un homme qui porte une robe en public ! » La Messe était dite… Je pense que cette réponse signifie beaucoup de choses à la fois. Notre lutte est commune, mais nos statuts et nos fonctions diffèrent jusqu’aux cintres qui nous permettent de ranger les habits qui accompagnent nos messages que nos postures autorisent. Voilà le Mandela que je vois de ma posture d’observation.

Si vous voulez la réconciliation nationale, il faut accepter la stature débout de votre vis-à-vis et entériner, une fois pour toutes, que les différences fondent et rendent la vie si belle à vivre dans le magma de la diversité culturelle, religieuse, politique voire ludique. Seul équilibre du monde !

C’est l’une des multiples re-conceptualisations de la sécularisation que nous héritons de Mandela.

 

Abdarahmane NGAIDE (Bassel), Kyoto 15/12/2013

 

Reçu à Kassataya le 19 décembre 2013

 

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