ANALYSE : Les éléphants d’Afrique entre les mains de la Chine

En février 2014, il y aura deux ans que, dans le nord du Cameroun, dans le parc national de Bouba N'Djida, furent massacrés en quelques semaines six cent cinquante éléphants par des braconniers étrangers, selon le décompte établi par IFAW, l'organisation non gouvernementale américaine de protection des animaux.

 

Ce carnage a déclenché une vaste mobilisation diplomatique, dont le dernier acte s'est joué à Paris avec la tenue, jeudi 5 décembre, d'une réunion sur la " lutte contre le braconnage et le trafic des espèces menacées ", en marge du sommet sur la paix et la sécurité en Afrique. Celle-ci s'est achevée par une nouvelle déclaration appelant à " agir sans délai " contre le commerce illégal de l'ivoire et par l'engagement de la France de durcir son système de sanctions à l'égard des trafiquants.

Quelques jours auparavant, le Botswana et l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avaient convoqué un " Sommet de l'éléphant d'Afrique ". Celui-ci s'était conclu par l'adoption de " 14 mesures urgentes " qu'il conviendrait de mettre en œuvre. Toutes ces mesures ont déjà été adoptées dans une enceinte internationale et, en particulier, au sein de la Cites, la convention des Nations unies chargée de réglementer le commerce des espèces menacées d'extinction. En mars, l'organisation, où siègent 178 pays, a mis en demeure d'agir le " gang des huit pays " les plus impliqués dans ce trafic – Kenya, Ouganda, Tanzanie parmi les pays exportateurs ; Malaisie, Vietnam, Philippines pour les Etats de transit ; Thaïlande et Chine pour les pays consommateurs.

L'Allemagne et le Gabon sont également à la manœuvre depuis deux ans pour convaincre les Nations unies de créer un poste de " représentant ou d'envoyé spécial du secrétaire général " qui serait chargé d'incarner au plus haut niveau la lutte contre cette nouvelle criminalité assise sur des réseaux mafieux, dont certains se confondent avec des mouvements rebelles et/ou islamistes qui alimentent l'insécurité sur le continent africain. Les Etats-Unis, dont les marines forment les unités antibraconnage au Gabon, et le Royaume-Uni – qui réunira le 12 février 2014 un sommet des chefs d'Etat – participent aussi à cet intense agenda diplomatique.

Il est pourtant à craindre que 2013 soit une nouvelle année noire pour les éléphants. Les premières données rassemblées par la Cites montrent que les quantités d'ivoire confisquées depuis le début de l'année – plus de 41 tonnes – dépassent déjà les saisies annuelles enregistrées depuis 1989, date de l'instauration d'un moratoire international sur le commerce de l'ivoire. Il reste environ 500 000 éléphants en Afrique. Au rythme de 22 000 à 25 000 tués par an, l'UICN ne donne pas plus de dix ans avant que ne s'éteignent les spécimens des forêts d'Afrique centrale.

Trafic hors de contrôle

Derrière les déclarations, le trafic de l'ivoire reste hors de contrôle. Même si les bailleurs internationaux ont commencé à orienter une partie de leur aide vers la guerre de l'ivoire et que quelques pays comme le Gabon augmentent leur effort financier, les moyens affectés à la protection des grandes zones de peuplement des pachydermes ou au démantèlement des circuits de contrebande demeurent dérisoires face à la puissance des réseaux, qui tirent chaque année plusieurs milliards de dollars de revenus du commerce de " l'or blanc ".

De l'Afrique à la Chine, il existe une chaîne d'intérêts que les dollars de la corruption préservent jusqu'à présent sans grand danger. Il y a quelques jours, le représentant de l'Union européenne à Brazzaville a ouvertement demandé au gouvernement congolais de mettre un terme à l'impunité dont jouissent les braconniers. Le Congo possède une des lois les plus répressives sur le commerce illégal de la faune. Mais comme dans la plupart des pays de la région, la loi y est très peu appliquée. Le réseau Eagle – Eco-activists for governance and law enforcement –, qui surveille dans six pays l'application des sanctions prononcées contre les trafiquants, rapporte régulièrement des cas de libérations " anticipées " sans autre justification qu'une intervention de personnalités haut placées.

S'il est assez aisé pour les bailleurs occidentaux de mettre la pression sur les gouvernements africains, leur franchise est beaucoup moins grande à l'égard de la puissante Chine. C'est pourtant parce que la Chine continue d'avoir un marché domestique de l'ivoire sur lequel s'écoule l'essentiel des produits de contrebande que les éléphants d'Afrique sont à moyen terme menacés d'extinction. Sans tarir cette demande qui ne fait que croître au fur et à mesure que s'enrichissent les classes moyennes, il est illusoire d'imaginer que les pays africains puissent seuls mettre un terme à ces filières mafieuses.

Sans engagement sérieux de Pékin, le ballet diplomatique en marche depuis deux ans n'est qu'un théâtre d'illusions. La " susceptibilité " de la Chine et l'obstacle culturel qui voudrait que les consommateurs chinois ne fassent pas le lien entre l'ivoire et la mort des éléphants – ivoire se dit " dent " en mandarin – ne peuvent justifier l'absence d'un dialogue direct avec le principal commanditaire du " gang de l'ivoire ".

 

Laurence Caramel

 

Source : Le Monde

 

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