Ordures nouakchottoises : Comment gérer l’impossible ?

Une sobre anecdote résume la problématique première de la gestion des ordures à Nouakchott : plus de la moitié des deux mille collecteurs en plastique répartis dans la ville par Pizzorno – l’entreprise française chargée de l’enlèvement des déchets et de leur enfouissement à vingt-cinq kilomètres de l’agglomération – ont disparu ; razziés, en mépris total, non seulement, du bien d’autrui mais, aussi, de l’intérêt public.

 

Signe, parmi tant d’autres, d’une débilité civique nationale on ne peut plus offensante envers l’islam, religion de propreté et d’attention communautaire. Tel pieux mauritanien écarte, au sortir de la mosquée, la pierre du chemin mais jette, par la fenêtre de la portière de sa voiture, la bouteille d’eau qu’il vient de vider, quand ce n’est pas le sachet de ses ordures de la nuit. Le moindre terrain public, la moindre concession abandonnée, tout espace sans surveillance sont, illico, transformés en décharge…

Comment, dans ces conditions d’anarchie généralisée, concevoir et développer un plan cohérent de gestion des déchets d’une ville de plus d’un million d’habitants ? C’est la gageure que Pizzorno doit tenir, depuis 2007 et jusqu’en 2017, terme d’un contrat dont ladite société éprouve, de surcroît, toutes les peines du monde à faire respecter les clauses par l’Etat mauritanien, au détriment, donc et sous la contrainte de ces manquements, de la qualité de ses prestations. Prévoyant l’agrandissement horizontal de la ville et l’augmentation du prix de gasoil – de 240 UM/l, en 2007, celui-ci en est, aujourd’hui, à près de 400 – l’accord envisageait, par exemple, de régulières révisions du coût des services, une disposition qui eût permis d’acheter notablement plus de matériel : cette clause n’a jamais été appliquée.

Autre gros souci : les retards de paiement. Le contrat stipule que si Pizzorno n’est pas payée quarante-cinq jours après le dépôt de sa facture (1), celle-ci est automatiquement augmentée des intérêts moratoires. Car l’appui des banques, pour faire face aux frais courants, notamment la rémunération des mille quatre cents employés (plus d’un milliard d’UM/an), n’est, évidemment pas, gratuit. Du coup, entre principal et intérêts, l’Etat en est, actuellement, à presque quatre milliards ouguiyas de dette. Ajoutons, à cela, les inondations qui ont enclavé plusieurs quartiers de la ville, y multipliant les cloaques qu’entretiennent, sans aucune vergogne, maints charretiers toujours prêts à décharger leur nauséeuse cargaison dans les endroits les moins accessibles au personnel de Pizzorno et vous commencerez à avoir une idée de l’ampleur des problèmes auxquels doit faire face l’entreprise corse.

 

Prendre, chacun, ses responsabilités

Et, pourtant, Claude Desrousseaux, son directeur exécutif, ne cesse de positiver. Persuadé que la gestion des ordures, dans une ville comme Nouakchott, est un combat de tous les instants, il refuse de céder au découragement. « Nous sommes en train de remplacer », relève-t-il d’emblée, « les collecteurs en plastique manquants par de nouveaux, plus volumineux, en métal. On vient les vider sur place. En dépit des difficultés budgétaires », ajoute-t-il, « nous avons plus que doublé notre matériel, avec maintenant une centaine de camions », avant de conclure : « A l’évidence, c’est loin d’être parfait et il nous faut acquérir d’autres machines, pour couvrir l’extrême diversité des situations qui nous sont proposées, mais nous contrôlons globalement la situation et avons bon espoir de l’améliorer sensiblement. »

Cette bonne volonté se concrétiserait encore plus vite si l’Etat se donnait les moyens de respecter toutes les clauses de son contrat, en commençant par budgétiser le montant annuellement prévu, dans le cadre de la délégation du service public. On est encore loin du compte : actuellement, son inscription budgétaire annuelle ne dépasse pas 60% du montant contractualisé. Soyons lucides : c’est bien en temps réel qu’il s’agit de payer, si l’on veut vraiment que la ville soit nettoyée en temps réel… Et cette réalité implique une action de bien plus grande envergure : on ne peut, évidemment pas, nettoyer une ville sans un minimum d’implication de ses habitants. Aussi est-il nécessaire que l’Etat accompagne Pizzorno dans ses démarches de sensibilisation, d'éducation et de développement d'une société civile qui prendra en charge, pour le long terme, les aspects de communication, aussi importants que ceux de l'exécution spécifique de la prestation.

 

Actions ordonnées tous azimuts

Il faut se rendre à l’évidence : c’est être de bien mauvaise foi que d’imputer, à Pizzorno, tous nos manquements. Outre l’impérative prise de conscience de chacun, s’efforçant de penser, désormais, le moindre de ses rejets de déchets, y mettre un tant soit peu d’ordre et de logique, il est nécessaire de donner les moyens, aux quartiers, par groupes de cinquante à cent maisons, de s’organiser très localement, pour nettoyer leur environnement quotidien et centraliser toutes leurs ordures dans des lieux strictement délimités, aisément accessibles aux machines et camions de Pizzorno. Une stratégie en ce sens peut être précisément élaborée, en concertation étroite entre la Société Civile, l’Etat, les PTFs et l’entreprise de nettoyage, de manière à développer un plan cohérent à l’horizon 2015.

Une étude d’un de nos collaborateurs, publiée l’année dernière à la Librairie 15/21 (2), donne des pistes intéressantes pour motiver et animer efficacement une telle implication des quartiers dans la gestion de leur environnement. De fait, il manque bien un maillon essentiel dans la chaîne de traitement des ordures. Si l’information de tout un chacun – via la télévision et la radio qui ont à délivrer, systématiquement et régulièrement, des messages de civisme et d’hygiène environnementale – est de nature à éveiller les consciences individuelles et développer la responsabilité citoyenne, c’est, surtout, l’organisation interne des quartiers qui devrait permettre une avancée décisive en matière d’assainissement. Les quartiers en amont, Pizzorno en aval, avec l’appui, diversifié, de l’Etat, la SC et les PTF’s, tout au long de la chaîne : c’est, probablement, la seule solution de l’impossible équation…

 

Ben Abdella

 

Notes: :

(1) calculée au poids des déchets pesés à la réception sur le site d’enfouissement, par le personnel de l’Agence de Développement Urbain. On voit donc que c’est l’intérêt même de Pizzorno de récolter le maximum de déchets. En 2012, la facture s’est élevée à deux milliards et demi d’ouguiyas (75% ramassage et 25% enfouissement).

(2) Ian Mansour de Grange, « Le waqf, outil de développement durable ; la Mauritanie, fécondité d’une différence manifeste », Editions de la Librairie 15/21, Nouakchott, 2012. La troisième partie de l’ouvrage développe l’idée d’utiliser le waqf pour financer durablement des « solidarités de proximité » dont une des missions serait, justement, la gestion de premier niveau des ordures… La librairie 15/21 est située à l’immeuble El Mamy.

 

Source : Le Calame

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