La leçon de morale politique de l’Arabie Saoudite à l’Afrique

Elue membre non-permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Arabie Saoudite a pris tout le monde de court, en refusant de siéger au sein de cette instance. On assiste là à un « coup de tonnerre » diplomatique dans le ciel onusien.

 

Et, parmi les raisons invoquées pour justifier une telle prise de position, le royaume saoudien s’en tient, pour l’instant, à deux : l’impuissance, voire l’incapacité du Conseil de sécurité à agir efficacement en Syrie, et la nécessaire réforme de ce conseil. En vérité, avec cette prise de position, l’Arabie Saoudite envoie au monde un message fort d’humanité et de dignité, au nom des peuples du Sud, dont les aspirations se trouvent complètement marginalisées au sein des instances onusiennes.

Ce droit de veto, c’est la conservation même, aux yeux des peuples du Sud, du triomphe de l’injustice et du mépris

Effectivement, avec « la crise syrienne, » jamais l’ONU n’avait réussi à étaler, au grand jour, sa « défaillance morale et diplomatique ». Face à un peuple humilié, abandonné à la boucherie chimique du tyran criminel Bachar al-Assad, les « cinq Grands » ne font que contempler, au quotidien, ces terribles scènes d’horreur. Au sein même du Conseil de sécurité, la Chine et la Russie brillent par leurs aptitudes à bloquer toutes les initiatives diplomatiques jugées hostiles à leur « protégé » Bachar. Soulignons que Chine et Russie restent, de nos jours, deux dictatures qui continuent à récuser tout formalisme (élections transparentes, pluralisme des partis et des syndicats, respect des droits des minorités et de l’opposition). Comme si, en soutenant Bachar, ces deux géants de la scène internationale cherchaient à revisiter le « Manifeste » de Marx, en lançant, aux yeux du monde, ce mot d’ordre de ralliement : « Dictateurs de toutes les nations du monde, unissons-nous ». Or, le monde du XXIe siècle n’a plus besoin de la solidarité criminelle des dictateurs, mais de paix, d’humanité, de démocratie et de justice. En ce qui concerne la Syrie, Riyad a pleinement raison : il faut arrêter le massacre du peuple syrien.

Cela dit, c’est la seconde raison invoquée par les Saoudiens pour justifier leur refus de siéger au Conseil de sécurité, qui frappe davantage par sa « pertinence » et sa « justesse ». L’Arabie Saoudite exige une nécessaire « réforme du Conseil de sécurité », condition sine qua non pour revenir sur sa décision. Pour bien comprendre la portée politico-diplomatique et morale de la décision saoudienne, il convient de rappeler, ici, qu’au départ, le Conseil de sécurité de l’ONU était composé de trois membres permanents dont les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Grande-Bretagne. Ce n’est que bien plus tard que la France et la Chine ont rejoint le club des « Trois Grands », devenant depuis, le club des « Cinq Grands ».

A l’heure actuelle, au nom de tous les peuples et Etats du Sud, l’Arabie Saoudite appelle à « une rénovation » du Conseil de sécurité dans ses organes et surtout dans sa pratique. La configuration actuelle du Conseil de sécurité obéit davantage à la volonté impériale, voire impérialiste du bloc occidental. Nous avons affaire à « un directoire immobile » avec l’actuel Conseil de sécurité, issu plus de l’ordre de Yalta que de celui de la chute du mur de Berlin. Les « Cinq Grands » font tout pour conserver jalousement le fameux « droit de veto », une attitude dépassée par l’évolution même de la vie internationale. Ce droit de veto, c’est la conservation même, aux yeux des peuples du Sud, du triomphe de l’injustice et du mépris. En vérité, en s’abritant derrière ce droit de veto, les « Cinq Grands » ne veulent pas renoncer à leurs positions géostratégiques essentielles. Ils sont ivres de leur puissance économique et militaire. Dès lors, ils deviennent subitement hystériques quand on évoque la nécessaire réforme du Conseil de sécurité.

Au lieu de partir dans de fausses croisades tapageuses et illusoires contre la CPI, les chefs d’Etat africains feraient mieux de faire de cette question, leur seul cheval de bataille

Or, c’est cette « non-réforme » de ce conseil qui explique « l’inefficacité » de l’ONU dans le règlement pacifique de nombreux conflits. Rappelons que les nouvelles guerres, les nouveaux conflits se déroulent, en majorité, dans les pays du Sud, lesquels sont sous-représentés au sein du Conseil de sécurité. Cette sous-représentation touche encore plus durement l’Afrique, tout un continent entier ignoré au sein de l’instance où se prennent les décisions fondamentales de la vie internationale. Mais pour obtenir « un ou deux sièges » au sein de ce conseil, et être entendue dans le nouveau concert mondial, l’Afrique devra « parler d’une seule voix ». Malheureusement, on assiste, de plus en plus, à une cacophonie africaine généralisée sur cette épineuse question de la réforme du Conseil de sécurité. Au lieu de partir dans de fausses croisades tapageuses et illusoires contre la CPI, les chefs d’Etat africains feraient mieux de faire de cette question, leur seul cheval de bataille.

Le juste et digne combat de Riyad pour exiger la réforme du Conseil de sécurité devrait constituer, pour eux, une véritable leçon de morale politique. Au lieu de gesticuler avec autant de véhémence et d’obstination pour assurer leur propre impunité vis-à-vis de la CPI, ils auraient dû faire de l’ostracisme dont est victime l’Afrique, leur souci majeur. En lieu et place d’une équité onusienne pour l’Afrique, nos têtes couronnées préfèrent leur longévité politique dans l’impunité. Pire, les chefs d’Etat africains semblent se contenter de peu en se satisfaisant du poste de membre non permanent au Conseil de sécurité, un poste flatteur au contenu sans réelle portée stratégique. Quant aux Etats arabes qui demandent à l’Arabie Saoudite de revenir sur sa décision, il convient de leur rappeler que ce sont les relations de force qui déterminent le jeu diplomatique. Or, l’Arabie Saoudite, avec son magistère religieux mondial, ses inépuisables ressources énergétiques, se trouve en position de force pour dire non au « despotisme non éclairé » des Cinq Grands. Désormais, derrière la revendication saoudienne, les Etats du Sud ne devraient plus accepter leur sort. Car, sans un minimum d’équité, la vie internationale demeurera toujours fragile.

D’ailleurs, ce sont les « Cinq Grands » qui portent, en vérité, la responsabilité du désordre international. Et, c’est soutenir une contre-vérité pure et simple en laissant entendre que l’entente entre les « Cinq Grands » est facteur de paix à l’intérieur des « petits Etats ». La voix des diplomates ne peut porter de plus en plus loin, tant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne sera pas véritablement réformé.

S’y refuser, c’est prendre le risque d’accroître la défiance des peuples et Etats du Sud vis-à-vis de l’ONU.
Cela dit, la puissance diplomatique d’un Etat dépend aussi de sa capacité à « se réformer intérieurement ». C’est pourquoi, afin de rendre crédible sa démarche, l’Arabie Saoudite doit poursuivre et accentuer ses réformes, notamment en matière de droits de l’Homme. Allusion, entre autres, à toutes les lois rétrogrades régissant encore la condition féminine.
En attendant, avec son juste et digne combat, l’Arabie Saoudite a bel et bien raison d’exiger que le Conseil de sécurité de l’ONU soit l’expression fidèle du nouvel ordre international.

 

" Le Pays "

 

Source : http://lepays.bf/

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