Reportage A Marseille, dans les foyers de mauritaniens…

(Crédit photo : Le Calame)

Marseille, « ville cultivée et cosmopolite de la Méditerranée » est actuellement en pleine rénovation. Dans la perspective de Marseille 2013, « Capitale européenne de la culture 2013 », la deuxième ville de France fait peau neuve. De gigantesques chantiers surgissent de terre. Du coup, les différents entrepreneurs locaux font appel à une main d’oeuvre étrangère bon marché.

Avec ses 800 000 habitants, Marseille est, selon la plupart des étrangers qui viennent dans le Sud de la France,  » leur point d’entrée ou de sortie « . Mais cette ville, rendue célèbre par son vieux port, son équipe de football, l’Olympique de Marseille, est aussi dépeinte sous des couleurs plus sombres, comme un « haut-lieu du crime, avec ses trafics et ses règlements de comptes »… »Caricature, stigmatisation ! », rétorque un marseillais bien de Marseille, avec son accent qui chante la Provence.

Discrets, les Mauritaniens se concentrent, essentiellement, au sein de deux foyers (Félix Zoccola et Félix Pyat – voir encadré 2). Le quotidien n’est pas que rose. De tous les âges et de toutes les conditions, ils évoluent dans le bâtiment, la voirie et la mécanique. Partagés entre la rigueur de la vie phocéenne et l’éloignement du pays, les Mauritaniens éprouvent la dureté de rudes conditions. Se réveiller dans le grand froid, à cinq heures du matin.

Travailler durement sur les chantiers, qu’il neige, pleuve ou vente, et rentrer tard, tous les soirs, épuisés. En débarquant dans ces foyers, on hume l’air du bled, avec de bonnes odeurs de sauces africaines, les notes stridentes de Baaba Maal, Ali Farka Touré, Ganda Fadiga, l’encens qui parfume les couloirs. Arrivé à midi, nous sommes invités à participer à la prière de dhor, dirigée par l’imam Sakho Hamou, dans la salle au rezde-chaussée. Et, bientôt autour d’une théière de thé et d’un bon plat de riz à la sauce, la conversation s’engage, après quelques réticences.

Soucis administratifs

Si la vie, dans les foyers, est rythmée par le travail, les causeries et la récupération, un des problèmes majeurs reste, évidemment, l’obtention de documents administratifs (passeport ou carte de séjour). Nos interlocuteurs citent, pêle-mêle, l’impossibilité d’accéder aux extraits de naissance de leur progéniture et la quasi-impossibilité de procéder au renouvellement de leur passeport, dans la cité phocéenne où perdure un sérieux problème de représentation consulaire. C’est un vieux chirurgien français à la retraite qui fait office de consul honoraire. Nos différentes tentatives de le joindre sont restés vaines. Les Mauritaniens de Marseille dénoncent sa  » passivité « , face aux doléances et autres requêtes qui lui sont soumises.  » Il ne saurait défendre et représenter dignement les citoyens mauritaniens « , persifle Camara (1).  » Il nous oblige à rédiger nos demandes, en laissant entendre qu’il n’est pas rémunéré par l’Etat mauritanien, en dépit de ses 52 ans de loyaux services rendus aux citoyens mauritaniens. Quant à nous, nous ne voyons rien de concret sur le terrain. Le consul du Sénégal, présent sur le terrain, ne rate, lui, aucune occasion de venir au chevet de ses compatriotes mais, nous, on ne voit personne ! « , fustige Golokho. Les récriminations sont encore plus fortes, quant à leur exclusion des opérations d’enrôlement en cours.

Solidarités et relative intégration

Autre écueil de taille : la situation irrégulière en Provence-Alpes-Côted’Azur (PACA). On ignore le nombre exact de ces mauritaniens dans l’impossibilité de retourner au pays. Coincés en PACA ou ailleurs en France, ils mènent une vie des plus difficiles. Heureusement que leurs compatriotes les aident. Mais, même s’ils arrivent à trouver de petits boulots, par-ci, par-là, ils ne peuvent aspirer à un minimum de sécurité.  » Nous essayons de les épauler en attendant de jours meilleurs « , soupire Soumaré.

Pour les réguliers, les liens avec le pays sont maintenus par des allersretours tous les ans ou deux ans. « Les fréquences ont tendance à diminuer sensiblement, compte-tenu de la crise actuelle », assure Sakho.

Dans leur écrasante majorité, ils déplorent l’inexistence, en Mauritanie, d’une politique d’accompagnements dans l’investissement, et l’absence de structures spécialisées. Ce sont les associations villageoises qui pallient, tant bien que mal, à la plupart de ces carences. Les membres du foyer versent une cotisation mensuelle à la Caisse communautaire. La cotisation est individuelle. Cette solidarité est beaucoup plus perceptible à l’intérieur d’une même lignée ou des alliances traditionnelles. Grâce à cette collecte, les différentes associations évacuent les malades et rapatrient les dépouilles mortuaires. Mais la caisse permet aussi de répondre à diverses autres situations.  » Il y a quelque temps « , se rappelle Golokho,  » nous avons hébergé, tout un mois, un mauritanien qui était confronté à un sérieux problème. […] On s’entraide, quelles que soient les difficultés, pour préserver l’image de marque de la Mauritanie. Nous réglons, entre nous, tous nos problèmes, afin de maintenir de bons liens de société « .

Cela dit, les Mauritaniens de Marseille ne font pas que se plaindre. Loin de là :  » nous sommes bien intégrés, prenant soin de nousmêmes. C’est vrai, la crise mondiale a tendance à freiner nos ardeurs et nos ambitions. Peu d’entre nous sont en CDI [Contrat à Durée Indéterminée], la plupart sont intérimaires ou en CDD « . Dans le quartier, ils semblent, de fait, avoir la côte. Leur bonne réputation est saluée par tous les riverains qui voient, en eux, des gens discrets, bosseurs, ne manifestant aucune hostilité ou animosité.

Investissements malgré les difficultés

En l’absence d’une politique d’accompagnement, « nous avons du mal à acheter une maison à crédit. Nous sommes obligés d’épargner, pour aspirer à bâtir une demeure au pays. Mais ce n’est pas évident, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Nous sommes obligés de nous serrer la ceinture pour construire là-bas, envoyer régulièrement de l’argent à la famille. Chez nous, les gens ont du mal à l’admettre mais, nous, nous remarquons que la situation en Europe devient de plus en plus difficile « . Il est vrai que si on l’aspire à mieux être, on a tendance à croire que l’Europe, c’est l’Eldorado. En réalité, c’est beaucoup plus compliqué.

Dans les foyers marseillais, l’émigration mauritanienne se poursuit de génération en génération. Il existe, bel et bien, une continuité de lignées familiales (voir encadré 1). Dans ces conditions,  » nous éprouvons la fierté d’avoir des liens et des racines, d’être mauritaniens, de bien représenter notre bled, en nous abstenant de certaines choses et en nous efforçant de montrer le bon exemple L’apport des émigrés, pour la Mauritanie, est indéniable. S’il est difficile de quantifier la masse monétaire qui circule, via les envois postaux ou autres qui empruntent les circuits informels, il n’en demeure pas moins vrai que, grâce aux contributions des émigrés, de nombreux villages du Sud mauritanien ont construit diverses infrastructures : établissements sanitaires, (poste ou dispensaire), scolaires (écoles primaires, collège et, même, lycée), religieux (mosquées). Ce qui a permis de pallier à la démission de l’Etat dans les régions méridionales. Les revenus migratoires sont directement rapatriés, en vue de mettre en valeur les terroirs, par le biais de l’épargne ou de l’investissement. Dans les villages, en pays soninké comme partout au Fouta Toro, ce qui frappe l’observateur, c’est  » l’entrée dans la modernité  » de ces patelins perdus. Les cases, par exemple, ont cédé la place aux constructions en béton.

Rentrer au pays ?

Autre problème récurrent, l’inexistence d’une liaison aérienne directe Marseille-Nouakchott expose les émigrés à bien des tracasseries. « Nous sommes obligés de prendre des compagnies bon marché et, la plupart du temps, nos valises sont endommagées lors des escales. Nous perdons souvent des objets de valeur. S’il y avait une compagnie nationale desservant Marseille, nous ne serions pas confrontés à ces ennuis et cela serait une contribution importante au développement du pays « , souligne Camara.

La montée du racisme est perceptible à Marseille, comme dans le reste de la France. Avec la crise économique, les émigrés sont pointés du doigt.  » On sent le racisme « , laisse entendre Cissé.  » Il n’y a pas de rapports suivis, entre les Marseillais et nous « . Sow, quant à lui, ne s’en formalise guère et dit que  » ce n’est pas plus flagrant qu’il y a quelques décennies « .

Le retour définitif au pays est difficilement envisageable.  » Il faudrait qu’on touche le jackpot, pour mettre en pratique cette option. Nous avons des bouches à nourrir. Enormément de personnes comptent sur nous. Tout de même, c’est un challenge à relever. Et Sakho de reconnaître :  » 40 ans dans l’émigration, ce n’est pas une vie. On aimerait bien vivre avec nos familles. C’est ce qu’on cherche. Mais ça paraît actuellement difficile « .

Confrontés à ce choix cornélien, les émigrés restent partagés.  » Si tu amènes ta famille, tu ne vas plus jamais rentrer. Tu ne pourras plus épargner. C’est pourquoi avons-nous pris, à 90%, l’option de laisser nos familles là-bas, pour éviter toute déperdition culturelle, toute perte identitaire. D’autant que le déracinement est très fort, ici  » prévient Soumaré. Mais le contact avec la famille restée au village est permanent, par l’envoi de correspondances, mandats et colis postaux qui suscitent de véritables économies villageoises « .

C’est, par exemple, ainsi que l’émigration des Sarakhollé en France, qui n’était, au début, qu' » une immigration de prestige « , est devenue émigration de nécessité routinière…(1) : Les noms mentionnés sont d’emprunt, les différentes personnalités qui ont été interrogées ont requis l’anonymat. THIAM MAMADOU ENVOYÉ SPÉCIAL À MARSEILLE

Aux racines de l’imigration Le problème de l’émigration est d’une brûlante actualité. Les revenus migratoires semblent, aujourd’hui, en train de se tarir, du fait du marasme économique que vivent les pays développés, naguère Eldorado. Dès lors, on assiste, un peu partout en Europe, à une montée forcenée de la xénophobie, paroxystique au moment des crises sociales et politiques.

La tradition d’expatriation vers l’ancienne métropole remonte au siècle dernier où les premiers éclaireurs sont partis jauger le terrain. En un siècle, c’est une véritable chaîne qui s’est formée. La première vague migratoire d’envergure, en pays soninké, date de 1914, juste avant le début de la Première guerre mondiale.

Les déplacements, au début du siècle, étaient devenus beaucoup plus faciles à cause des nouvelles lignes maritimes établis par les compagnies de navigation française, telles que Fabre&Fresnay ou Delmas &Virginey, qui reliaient la France métropolitaine à ses colonies, pour y écouler de la bimbeloterie et des produits périmés ou de médiocre facture. Partout sur le fleuve Sénégal, ce fut le même phénomène : de Hare à Wali Diangtank, en passant par Komeny, Wompou et Diaguily, du côté mauritanien, Bakel et Matam, au Sénégal, et la région de Sara, au Mali, tout adulte pensait, un jour ou l’autre, aller  » là-bas « , en France, de préférence à tout autre pays européen, la langue jouant son rôle.

Le village de Diaguily est la première localité, en pays soninké, à envoyer ses fils fouler le sol français. Ce premier départ aura un effet de contagion sur les autres contrées, grâce aux réalisations entreprises par les nouveaux migrants à leur retour et aux malles qu’ils ramenaient, remplies à ras bord.

Les migrants, en général de jeunes adultes (de 25 à 30 ans), passaient par Dakar, alors lieu de transit obligé pour les candidats migrants du Guidimakha. Les  » nantis  » s’embarquaient dans des paquebots, les  » sans ressources  » travaillaient deux à trois ans, à Dakar, avant de pouvoir payer leur  » billet « . D’autres, plus téméraires, s’introduisaient clandestinement dans les navires en partance et certains mouraient dans les cales. On ne balançait, pas encore, les clandestins à la mer. Repérés, ils payaient leur voyage par de menus travaux à bord.

Aucun traitement inhumain ou dégradant ne leur était infligé et ils arrivaient, en général, à bon port. Sadio Sow fit partie des tout premiers « Sarakollé » (comme les appelaient les coloniaux) à mettre le cap sur la France. La seconde vague tentera l’aventure, au début des années 50, sept ans après la fin de la deuxième guerre mondiale. La France était en reconstruction, avait besoin de main d’oeuvre et faisait appel à des algériens, des marocains, des tunisiens… Quelques mauritaniens, beaucoup moins nombreux, tentèrent aussi leur chance.

Les nouveaux migrants débarquaient et s’établissaient à Marseille, Le Havre, Bordeaux, Dunkerque. Paris viendra, en dernier ressort, quand ils se rendirent compte qu’on payait mieux dans la capitale. En général, les nouveaux venus s’établissaient éboueurs, ouvriers du bâtiment, quelques fois  » boys « . Certes les conditions d’intégration et de travail ne sont pas des plus favorables mais le regroupement dans des foyers de migrants maintient la solidarité villageoise * FELIX ZOCCOLA : Selon la description fourni sur le Net, c’est une résidence sociale de 115 logements, constituée de chambre simples et de chambres avec douche. Meublés, ils sont ouverts à tout public. Les tarifs varient de 375€ à 475 €. Actuellement complet. Coordonnées : 54, rue Felix Zoccola – 13015 – MARSEILLE 15ème Tel : 04.91.95.94.29

**FELIX PYAT : Selon la description fournie, le foyer compte 306 logements, constitués de chambres, studios et meublés. Tous publics. Les tarifs varient de 304 € à 427 €. A l’image de Félix Zoccola, tout est complet.

74, rue Felix Pyat 13003 MARSEILLE 3ème Tél : 04.91.84.68.62

D’autres résidences existent dans la commune : MARSEILLE ALOUETTES ; MARSEILLE LES TAMARIS ; MARSEILLE LOUBON ; MARSEILLE PIERRE LECA ; MARSEILLE ROSTAND

Une flopée d’associations

existe théoriquement dans la région PACA…Mais nous n’avons pu entrer en contact avec aucune. Leur adresse n’est que postale. Aucun contact téléphonique. Mais toutes ont fait leur déclaration à la préfecture des Bouches-du-Rhône. Parmi elles,  » Une main tendue à la Mauritanie  » ;  » Club des étudiants mauritaniens d’Aix et Marseille » ;  » Les Zamis de la Mauritanie » ; « Association des jeunes Halpoularr de Marseille  » ; « Union Des Travailleurs Mauritaniens » (UDTM) ; « Association de coopération technique Arles-Saghe « .

Source  :  Le Calame le 29/11/2012{jcomments on}

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page