Crise alimentaire en Mauritanie: La vie et la mort, au coude à coude

(Gori Ngoko :

Le chemin est long pour atteindre Nouakchott, la capitale de la Mauritanie. J’ai traversé des camps improvisés dans le désert : des tentes flottant dans les airs, autour, des troupeaux, des chameaux, et surtout des hommes aux traits tirés sous leurs turbans colorés. Autour d’eux, le sol est aride et jonché de sceaux de toutes les couleurs, de petits récipients et des détritus.

Une vieille baignoire fait office d’abreuvoir pour les animaux.

Aujourd’hui, on sait pourquoi ces hommes sont là. La réponse se résume en quelques phrases, quelques mots comme : « faim », « fuir les villages car il n’y a plus de nourriture », « mauvaises récoltes l’année dernière », « pas de nourriture ni pour les hommes ni pour les animaux ». On se rend vite compte que la Mauritanie doit faire face à une crise alimentaire plus destructrice que celle qui a dévasté l’Afrique de l’Ouest deux années auparavant : sur une population totale de 3,5 millions de personnes, 700 000 sont touchées par une crise alimentaire.

Ce qui reste incertain, c’est l’issue finale de cette crise.

Le jour précédent, je posais cette question à Gori Ngoko, un villageois de 72 ans. Il m’a regardé dans les yeux pendant quelques minutes avant de répondre : « Vous pouvez voir dans nos yeux, sur nos traits tirés par la fatigue, combien nous avons souffert. Au cours de mon existence j’ai vu des hommes et des animaux souffrir. Mais jamais ils ne souffraient en même temps et dans de telles conditions. Nous ne savons pas comment cette crise va terminer. Je ne veux même pas imaginer comment la situation pourrait s’empirer. Dans tous les cas, on ne pourra pas tenir longtemps à ce rythme. » Dans son village d’environ 100 habitants, seuls les personnes âgées et les enfants sont restés. Les adolescents et les jeunes adultes sont partis avec le bétail au Mali ou au Sénégal en quête de nouveaux pâturages. Plus d’un million de bêtes venant de Mauritanie errent sur les terres maliennes et sénégalaises pour trouver de la nourriture. Ailleurs, les hommes se sont installés près des grandes villes dans l’espoir de trouver de la nourriture ou un travail.

Quelques mois auparavant, le fils de Gori et deux de ces petits-fils sont partis pour le Mali. Ils ont marché pendant un mois avant de trouver des pâturages suffisants pour leur troupeau. Comme les animaux, les hommes vivent dehors et n’ont quasiment pas d’endroit pour s’abriter. Gori ajoute « contrairement aux animaux, les hommes eux, peuvent partager leur peine. »

On a coutume de dire que la Mauritanie abrite 3 millions de personnes et surtout 30 millions de bêtes.

Deux jours auparavant, je voyais ces bêtes (ânes, chèvres, chameaux) allongées sur le sol sans vie, en train de se décomposer le long de la route et dans le désert. Ces images insoutenables sont si nombreuses qu’elles ne surprennent plus.

Je suis déconcerté. Partout ou je regarde, le paysage est morbide, il y a des morceaux de chair, d’os… La vie côtoie la mort.

Dans un élevage de chèvre, on voit en toile de fond des peaux de bêtes suspendues aux murs pour en faire des récipients pour l’eau. A côté, un homme sculpte une pipe, un petit garçon se fabrique un jouet avec les cornes des chèvres. Les déchets les entourent. Des chèvres et des vaches errent dans le désert, cherchent de la nourriture dans les détritus, sur les arbustes, à quelques pas de celles qui sont allongées sur le sol et qui n’ont jamais été capables de se relever.

Je me souviens de l’équation posée par Gori : « lorsqu’un animal souffre, l’homme souffre d’autant plus. » Etant donné que le bétail est souvent leur seule source de nourriture, il est inconcevable de le vendre, surtout quand le prix de vente est anormalement bas. C’est cette raison qui pousse les jeunes hommes à partir avec les troupeaux pendant que leurs familles vivent avec la peur de ne jamais les voir revenir. Ils sont au courant que la situation est dangereuse au Mali, mais ils préfèrent affronter le danger plutôt que de laisser leurs familles et les troupeaux mourir de faim.

C’est une situation désespérante qui laisse place à des scénarii désespérants. La petite fille de Gori âgée de 14 ans nous raconte : « chaque jour, quand je vais à l’école, je pense à la situation dans laquelle nous sommes. Cette année est une année très difficile pour nous. Avant, mon père n’avait pas besoin d’emmener le bétail si loin. […] Je pouvais mettre du lait dans mes céréales. […] Nous avions l’habitude de faire des yaourts et de ne jamais manquer de lait. Aujourd’hui, nous avons surtout besoin de riz et de céréales. »

Je me suis assis et j’ai commencé à réfléchir, les mots s’entrechoquaient dans ma tête.

Parfois, une lueur d’espoir faisait son apparition dans les yeux de Gori qui espérait trouver une solution. Puis il souriait. Sans baisser les yeux, sans émotion, il affichait un sourire simple et sincère. Il m’a remercié de lui avoir rendu visite, d’être allé à sa rencontre pour affronter la dure réalité de son monde. Dans mes yeux, il a compris que je ressentais sa peine. Il sait que je ne l’oublierai pas. A cette heure-ci, ce qui compte le plus pour lui c’est de savoir que lui et sa famille ne tomberont pas dans l’oubli.

Je ne peux pas prévoir la fin de cette histoire, mais j’espère qu’elle commencera bientôt.

Rappel : En Mauritanie, l’insécurité alimentaire a été provoquée par l’incapacité des communautés à produire suffisamment de nourriture jusqu’aux prochaines récoltes. Ceci est dû à une très forte insuffisance des précipitations. Les récoltes agricoles et les pâturages pour les animaux sont très minces ce qui provoque une forte augmentation des prix des denrées alimentaires. Trouver de la nourriture est de plus en plus difficile pour les familles.
Depuis janvier 2012, la situation s’est empirée avec plus de 60 000 réfugiés maliens qui quittent le Mali en raison des violents conflits. Le sud de la Mauritanie connait donc une double situation d’urgence.
Vision du Monde a mis en place une aide d’urgence en Mauritanie et prévoit de porter assistance à 290 000 personnes.

Adel Sarkozi

Source : Vision du Monde (2012){jcomments on}

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