Enfants-mécaniciens: L’enfance mêlée au cambouis

(Crédit photo : Noor Info)

Au plus grand point de concentration de garages au Ksar, on peut voir des enfants dans l’apprentissage d’un dur métier: Mécanicien. Passant leurs journées entre le vrombissement des moteurs et le redressement des pièces tordues, ces apprentis-mécaniciens doivent travailler davantage que les autres pour justifier leur apprentissage.

Le marteau et l’enclume au lieu du cahier et du stylo- Loin des salles de classe, Mohamed Ould Werzek, 14 ans, commence dans l’un de ces ateliers une nouvelle année, ou plutôt poursuit une vie qui ne se compte pas en années, mais en nombre de voitures qu’il a aidé à réparer. Avec des mains et un visage noircis par les tâches d’huile, Mohamed incarne l’inefficacité des efforts que le gouvernement prétend avoir déployé pour lutter contre le décrochage scolaire. Il a commencé depuis 3 ans une vie où le marteau et l’enclume remplacent le cahier et le stylo, et où les devoirs cèdent la place à la remise à neuf des moteurs Mercedes. Mohamed n’est pas un cas isolé; nombreux sont-ils dans sa situation.
.
Il a quitté l’école au CE1, et a choisi un métier peu commun à cet âge, et avec un aplomb peu courant à cette étape de la vie. Il ne trouve pas de justification à cette rupture précoce d’études. «J’ai juste quitté, et mes parents n’ont rien dit» marmonne-t-il laconique, relevant régulièrement un pantalon bien trop grand pour lui.

A 20 mètres, allongé sous une Toyata, Mamadou aide son père à réanimer un moteur, à demi-rouillé, dont la durée de vie est dépassée depuis sûrement des années. Petit de taille et chétif d’apparence, Mamadou indique qu’il est obligé de venir ici quotidiennement aux premières heures de la journée. Il se cache derrière ce qui fut un jour une 4*4, pour nous raconter cette tranche de sa vie: «Je ne suis jamais allé à l’école, et mon père m’oblige à bûcher avec lui. Mes trois frères ont suivi ce chemin et aujourd’hui ils ont chacun leur spécialité en mécanique». Interrogé sur son âge, Mamadou surpris, se met à compter sur ses doigts à plusieurs reprises, avant de répondre dans un français indéchiffrable qu’il est né «en 77 ou plutôt en 97!».

Se tenant à côté de son employeur, Bilal est presque au garde-à-vous, disposé à exécuter le moindre ordre, le matériel fermement tenu dans ses mains. «Je n’ai pas trop à me plaindre. Je suis plutôt satisfait du travail. J’ai eu la chance d’être un apprenti-électricien, qui ne demande pas un grand effort physique» dit-il souriant. Répétitif, son travail a longtemps consisté, une fois le gros des réparations électriques achevées, de s’allonger sous les voitures, et remettre les câbles en place. «C’est ainsi que passent mes journées: entre le dessous et l’intérieur des voitures» conclut Bilal, goguenard.

Des moments d’enfance- Sous les arbres dispersés dans les étroites ruelles du quartier du Ksar, les moments de jeux existent, rares, mais intenses. L’un fait passer ses mains noircies par le cambouis sur le visage d’un autre, et s’enchaîne une course-poursuite entre les deux, sous les regards amusés des autres tout occupés à leurs tâches. Ces rares intervalles de divertissement présentent à ces enfants l’occasion de poser pour un instant leurs lourdes charges confiées tôt, par la vie.

Après six longues heures, où ils ont grignoté des quignons de pain, et bu quelques verres de thé, arrive le déjeuner, un grand plat de riz au poisson. Le plat est vite expédié par le groupe d’enfants, «car il y a toujours une réparation non achevée d’une voiture, et les propriétaires sont impatients» explique l’un d’entre eux, déjà fumeur, qui confie ses rêves entre deux volutes de fumée et les gaz d’échappement.

Une vie au goût de métal- Tout a le gout de l’huile et de la rouille, autour de ces gamins. Le thé à la saveur du métal, ainsi que l’eau et le riz. Leurs faces semblent carbonisées, et leurs vêtements aussi ont pris la couleur du métal. La présence du photographe agite les jeunes mécaniciens joueurs qui sourient intensément face à l’objectif, et enchaînent des gestes de salut et de poses, hommages à d’imaginaires ou réels rappeurs.

La plupart des employeurs de ces gamins ignorent l’existence d’une loi criminalisant leurs actes. Ils ne voient pas le moindre inconvénient au reportage en cours. Les enfants représentent pour eux, une pièce rare car «ils sont apprentis et actifs dans les garages» soutient Aziz, chef du garage. Et puis, rappelle-t-il, «pour la plupart d’entre eux, issus de familles extrêmement pauvres, où la pitance de la journée n’est pas toujours assurée, leur parler d’études, c’est un luxe qu’ils ne peuvent se permettre confrontés aux échéances quotidiennes de la vie».

Dans un débordement d’activités, ces enfants exercent un métier qu’ils se sont retrouvé un jour, contraints d’embrasser. Chacun a sa propre histoire, mais ils ont tous en commun cet amour de leur travail, et le rêve commun de devenir, comme Aziz, patron de leur garage.

Baba Ould Horma

Source  :  Noor Info le 23/10/2012{jcomments on}

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page