Les sites web djihadistes, une tentation pour les jeunes Mauritaniens

La présence de plus en plus grande de l’Internet en Mauritanie comporte un nouveau danger : un accès facile à des sites extrémistes. Des parents aux mouftis, les Mauritaniens tentent de contrer cette menace en ligne.

 

 

 

Alors que les cybercafés fleurissent dans tout Nouakchott, l’idéologie salafiste extrémiste est à portée de quelques clics seulement.

Les sites web de la Fondation As-Sahab, al-Jahafel, al-Andalus Media et d’autres encore liés à la nébuleuse al-Qaida étant désormais directement accessibles dans toute la capitale, les parents commencent à surveiller les activités de leurs enfants et leurs relations en ligne.

« J’ai remarqué un changement chez mon fils », raconte Alnina Mint Al-Nahi à Magharebia à propos d’Al-Saalek, son fils de 16 ans. « Notamment son addiction journalière à des chaînes religieuses, au point de devenir furieux quand nous nous voulons regarder les informations ou des émissions de divertissement. Il nous a même accusés d’errance », explique cette mère de 52 ans.

« Face à un tel comportement, j’ai décidé de supprimer définitivement la télévision à la maison, ce qui l’a conduit à une véritable addiction aux cybercafés », poursuit-elle. « Cela me fait craindre qu’il ne tombe entre les griffes des groupes extrémistes. »

Dans le quartier d’Arafat à Nouakchott, de nombreux jeunes connaissent l’oisiveté et la pauvreté. Ce qui fait d’eux des cibles de choix pour les recruteurs en ligne.

« J’ai un fils de 15 ans, et il est essentiel qu’il puisse entrer dans le monde des nouvelles technologies et des nouveaux médias », dit Mohamed Salem. « Mais en même temps, je veille à le guider et à lui apprendre comment guider son esprit, et à le mettre en garde contre certains sites web derrière lesquels se cachent des groupes extrémistes. »

Ibrahim Ould Mohamed Vall est propriétaire d’un cybercafé dans le quartier d’Arafat. Il voit des garçons comme Al-Saalek et Salem tous les jours. « Les adolescents âgés de 16 et 17 ans représentent la majorité des clients de ce café, qui a ouvert il y a moins d’un an », indique-t-il à Magharebia. « Et dans la mesure où je ne cherche qu’à gagner de l’argent, il n’est pas de ma responsabilité d’empêcher ces jeunes de venir ici. »

« C’est aux parents de le faire ».

« Je les empêche seulement de consulter des sites pornographiques », ajoute le propriétaire de ce café d’Arafat.

Abdullah Malek, propriétaire du plus ancien café dans le centre de la capitale, est plus vigilant sur les activités en ligne de ses jeunes clients. « Nous ne permettons pas aux jeunes adolescents de consulter le web sans avoir contrôlé leur identité et leurs motivations », explique-t-il.

« S’ils cherchent des informations liées à leur travail scolaire, nous les aidons, mais si nous estimons que leurs buts ne sont pas clairs, nous leur refusons l’accès à l’Internet », dit-il à Magharebia.

Il a déjà connu des problèmes. « De nombreux jeunes à l’idéologie extrémiste fréquentaient le café ces dernières années. Certains sont aujourd’hui en prison, pour appartenance à des groupes terroristes », déclare-t-il.

« Pour nous, exploitants d’un cybercafé, il n’est pas facile de surveiller les sites que les clients consultent. Tout ce que nous pouvons faire, c’est avoir des doutes sur telle ou telle personne fréquentant le café à certains moments et partisane d’une idéologie extrémiste », ajoute-t-il.

Forums et blogs extrémistes présentent ce qu’il faut pour attirer leur public cible, selon le journaliste Zineddine. « Les salafistes ont réussi à concevoir des sites attrayants avec diverses technologies de l’Internet, comme le son et l’image, ce qui leur permet d’attirer de nombreux jeunes », indique-t-il à Magharebia.

« L’Internet est le média que nous sommes le moins en mesure de surveiller et de contrôler, et il constitue un moyen de diffuser une idéologie extrémiste sans que l’Etat et les parents des adolescents ne soient au courant », ajoute-t-il.

Internet s’est effectivement avéré très utile pour les groupes extrémistes, explique le spécialiste du terrorisme Mohamed Mahmoud Ould Abu Elmaali. « Les médias électroniques comme les forums et les sites web d’al-Qaida renforcent cette utilité, dans la mesure où l’organisation dispose de personnes chargées du recrutement direct, et elle les utilise dans le cadre de sa propagande. »

« Les sites web alimentent le côté plus intellectuel, par des bandes sonores, des CD et des liens vers des discours de ben Laden, d’Abdullah Azzam et de Droukdel, qui ont été utilisés lors des opérations de mobilisation et de recrutement », souligne-t-il.

Mohamed Naji Ould Ahmadou, journaliste à Sahara Media, confirme le succès du recrutement en ligne par les groupes terroristes : « C’est un fait bien connu que la plupart des militants salafistes qui se trouvent actuellement dans les prisons mauritaniennes se sont familiarisés avec l’idéologie d’al-Qaida et ont adopté cette manière de penser par le biais de ses sites web et de ses forums. »

Dans un premier temps, les forums en ligne des extrémistes peuvent être consultés, dit-il. « Vient ensuite l’étape de la communication directe. » L’histoire du terroriste mauritanien Marouf Ould Haiba confirme les plus grandes craintes des parents. Actuellement en prison pour avoir participé à des confrontations armées avec les forces de sécurité mauritaniennes, il était avant cela comme leurs fils.

Il a commencé à communiquer avec al-Qaida par l’intermédiaire du web. En 2006, il est parti pour un camp d’entraînement de l’organisation. Lors du verdict du tribunal criminel de Nouakchott en octobre 2010 le condamnant à mort, Ould Haiba a déclaré : « J’ai acheté un ordinateur et téléchargé de nombreux livres et films sur le djihad… et je les ai étudiés très attentivement. »

Le Dr Side Ould Ellalam, spécialiste de la délinquance chez les enfants et les adolescents, explique que si de tels comportements sont généralement attribués aux « médias d’information, comme les magazines, les brochures, le web et certaines chaînes à caractère religieux », le principal facteur qui peut pousser les jeunes vers des idéologies radicales est « le grand vide » dans lequel ils vivent.

« S’y ajoute le fait que les adolescents cherchent toujours des moyens d’auto-expression et l’aventure, et cherchent à façonner leur personnalité. Il leur est donc facile de s’adonner à un certain type de média. »

Et Ould Ellalam de poursuivre : « Il existe un autre motif qui pousse certaines catégories de jeunes Mauritaniens vers la délinquance et l’adoption d’une idéologie islamique radicale, à savoir le sentiment d’être privés de certains avantages sociaux. »

« Si leur vision de la société est pessimiste, s’ils la considèrent comme la source de leurs problèmes et de leur marginalisation, ils veulent donc se débarrasser d’une société qui leur fait du tort, en s’adonnant à une orientation ou à une idéologie particulière qui peut les aider à atteindre cet objectif, notamment si elle se fonde sur une réflexion religieuse », explique-t-il.

Le Dr Sidi Mohamed Ould Ajid, sociologue, reconnaît que la société a un rôle à jouer pour dissuader les jeunes de se tourner vers le djihad : « De mauvaises conditions sociales peuvent pousser les jeunes à connaître une contradiction entre ce qu’ils voient en réalité et ce qui est dit, ce qui crée une certaine confusion. »

Certains d’entre eux, ajoute-t-il, se tournent vers la pensée djihadiste.

« Il est certain que les médias et les moyens de communication en général, et les médias électroniques en particulier, ont un impact très important sur ceux qui les utilisent, quel que soit leur âge, et avec le recours aux technologies du son, de l’image et des effets de toutes sortes pour transmettre leurs messages, ils sont d’autant plus influents », déclare-t-il à Magharebia.

« Ces sites web utilisent des méthodes de présentation et de diffusion par des spécialistes dans le domaine de la psychologie et autres, de manière à obtenir un effet captivant, convaincant et puissant », ajoute-t-il.

Ces groupes visent en particulier les jeunes et les adolescents, souligne Ould Ajid. Et pour de nombreux adolescents encore faciles à impressionner, les « conditions de vie des communautés musulmanes en font des cibles de prédilection du discours religieux ».

Au total, affirme-t-il, les jeunes « cherchent seulement un port où jeter l’ancre ».

Que peuvent faire les parents pour contrer ces assauts en ligne ? Pour l’intellectuel religieux Mohamed Abdullah Ould Elmustaf, « les parents doivent assumer leur rôle de tuteur pour la protection de leurs enfants, que ce soit pour leurs corps, leurs biens ou leurs esprits, les élever selon des valeurs morales adéquates et leur inculquer des valeurs religieuses de modération, pour les protéger contre les idées qui circulent aujourd’hui. »

Les parents doivent également « surveiller les sites web et les chaînes qui diffusent une idéologie extrémiste ou sont les porte-voix de ceux qui n’ont pas une connaissance appropriée de la vraie religion », ajoute ce moufti.

« Chez les enfants, si l’esprit n’est pas occupé par ce qui est juste, il est occupé par ce qui est mal. Et par conséquent, ces voleurs d’idées, d’esprits, sont plus dangereux que tous les autres », conclut-il.

Jemal Oumar

Source  :  Magharebia le 29/07/2011

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page