Mauritanie : l’opposition ouvre une enquête judiciaire dans une affaire de huit ans.

Alors que la société civile mauritanienne a les jeux rivés sur le recensement administratif à caractère racial et dont l’épilogue est loin d’être trouvé malgré les nombreuses contestations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, l’opposition prend l’initiative d’ouvrir une enquête judiciaire dans une affaire vieille de huit ans,

la mort de l’ancien chef d’Etat major de l’armée, Ould N’Diayane au moment du coup d’Etat du 8 juin 2003. Pour les observateurs, au delà de cette volonté de l’opposition de rétablir la vérité, cette affaire relance la gouvernance des militaires en Mauritanie et le rôle de l’armée dans une démocratie.

A partir de 1978, la Mauritanie a été le théâtre d’un nombre incalculable de coups d’Etat militaires manqués ou réussis. Les mauritaniens nés à cette époque  avaient 6 ans lors du coup d’Etat de Ould Taya en 1984 et 30 ans celui de Ould Ely. Et entre les deux , le 8 juin 2003,  la Mauritanie a failli basculer  dans l’un de ces coups d’Etat les plus sanglants de son histoire avec la mort du chef d’Etat major de l’armée le colonel Ould N’Diayane.

A l’heure où l’on parle d’identité  et de réconciliation nationale, ce rappel historique des révolutions de palais fait toujours partie de la mémoire nationale et en tant que tel, constitue un devoir de mémoire pour cette génération et les autres à venir. C’est dans ce sens que plus d’une dizaine de députés issus de l’opposition du RFD, de l’APP, de Hatem, de Tawassoul et d’ElWiam ont pris l’initiative cette semaine à Nouakchott de signer des pétitions  pour ouvrir une enquête judiciaire sur la mort du colonel Ould N’Diayane.

Ils entendent ainsi lever le coin du voile qui entoure cette affaire vieille de huit ans dont trois leaders d’opposition aujourd’hui figuraient  d’ailleurs parmi les accusés, Ahmed Ould Daddah, président du RFD, Mohamed Khouna Ould Haidallah, ancien chef de l’Etat et enfin Cheikh Ould Horma, président du parti de la convergence démocratique, interdit à l’époque par le régime de Ould Taya. Ils étaient tous accusés d’avoir financé les putschistes dont les deux principaux cerveaux étaient l’ex-commandant Saleh Ould  Hannena et le capitaine Abderrahmane Ould Mini.

L’histoire retiendra aussi que le leader actuel du parti islamiste Tawasssoul Mohamed Jamil Ould Mansour, ancien maire d’Arafat rentré en 2004 après un exil au Sénégal et en Belgique avait été arrêté pour délit de « fuite » avant d’être libéré.  Les nouakchottois se souviennent encore de ce procés spectaculaire qui a  refusé du monde et dont le réquisitoire du procureur de la République du Trarza qualifié de sévère et d’incohérent par la défense des accusés avait demandé 17 peines capitales.

En réalité jusqu’au verdict final, ce procés au cours duquel près de 200 personnes ont été jugées, n’a pas réussi à élucider la mort du chef d’état major de l’armée mauritanienne. En rouvrant ce dossier aujourd’hui, l’opposition est presque sûre de son coup en pointant du doigt la responsabilité de certains militaires qu’elle a tenu à préciser, en les citant pour garantir toute transparence. Mais cette exigence fait craindre le pire, c’est-à-dire réveiller les démons de tous les coups d’état militaire avortés ou non depuis 1978 nonobstant l’appartenance à telle ou telle composante de la population.

Il ne sera pas exclu, si cette enquête veut aller jusqu’au bout, de mettre à la portée du citoyen des informations sur le disfonctionnement de l’armée et de toutes les exactions commises par elle sans distinction de tous ceux qui ont souffert de ces atrocités, par exemple les épurations de militaires baasistes en 1988 et l’assassinat des 27 soldats négro-mauritaniens, tous des halpulaar, en 1990 pour marquer l’anniversaire de l’indépendance.

Et sur un autre registre, la gabegie et la corruption de certains hauts dirigeants de l’armée. Ce n’est pas sûr que Ould Aziz lui-même putschiste en 2008 avant d’être élu président en juillet 2009 se regarde dans ce miroir, encore moins, être fier de sa gouvernance in fine pour  perpétuer des pratiques du passé.

Et pourtant  en juillet 2009,  le nouveau président avait souhaité une révision de la constitution, mais ce projet est vite enterré lors du fameux meeting d’Arafat. Pas étonnant qu’il continue de refuser les accords de Dakar qui stipulaient clairement la poursuite des négociations entre les différents signataires sur les problèmes liés à la démocratie, le rôle de l’armée dans un système démocratique et même de la possibilité d’élections anticipées.

En demandant l’ouverture d’une enquête judiciaire sur cette vieille affaire, les députés de l’opposition savent que beaucoup de têtes aussi bien militaires que civiles pourraient  tomber. Cependant les observateurs sont déçus par le peu d’engagement de ces représentants de tous les mauritaniens concernant d’autres affaires pourtant qu’elle n’ignore pas et font l’objet d’impunité depuis très belle lurette.

Toutes ces affaires d’état relancent le débat sur le rôle de l’armée mauritanienne dans un système démocratique. Celui avant tout de s’écarter du pouvoir pour mieux garantir l’intégrité territoriale et la sécurité des citoyens. Vu sous cet angle l’expérience mauritanienne n’est pas un modèle. L’armée est toujours  présente de  près comme de loin au pouvoir selon les circonstances et le contrôle, même par procuration, ne serait-ce que par l’intermédiaire d’un parti, le parti majoritaire actuel l’UPR, plaçant ainsi le nouveau locataire du palais de Nouakchott comme un souverain dont les pouvoirs exorbitants excluent dans la pratique toute possibilité d’alternance démocratique.

Tant que les militaires ne retourneront pas dans les casernes la Mauritanie restera engluée dans d’éternels coups d’Etat et on ne pourra rien faire contre les poursuites pénales, comme en témoigne la décision récente du chef de l’Etat d’indemniser toutes les victimes militaires depuis 1960.Ould Aziz comme ses prédécesseurs sont tous coupables de négligence.

Bakala Kane

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