Au service des femmes migrantes

Damarys Maa Marchand à Arcueil (Paris) en mai 2011. © Raoul Mbog, tous droits réservés. Damarys Maa Marchand est l’une des militantes associatives africaines les plus influentes en France. Son crédo: l’intégration socioéconomique des femmes migrantes dans l’Hexagone.

«Un proverbe Bassa’a [ethnie du Cameroun, ndlr] dit qu’on ne peut pas attacher un paquet avec une seule main. J’ai grandi avec cette affirmation de solidarité.» Damarys Maa Marchand semble très fière de cet héritage culturel de son Cameroun natal, dont elle a d’ailleurs fait le socle de son engagement pour la cause des femmes. Un engagement qui remonte à ses années d’enfance à Enongal, une petite localité dans le sud du Cameroun où elle voit le jour en 1953.

Elle est la benjamine d’une fratrie de douze enfants —et ses frères et sœurs aînés ont déjà des préoccupations d’adultes. Quand elle n’est pas à l’école, la petite fille accompagne leur mère, Frida, rendre visite et porter nourriture et vêtements à des malades d’une léproserie située dans le coin. Son père est infirmier-chirurgien. Parmi les tout premiers que les missionnaires protestants américains ont formés au Cameroun.

«Quand vous avez seulement une dizaine d’années et que vous êtes confrontés tous les jours à la détresse humaine, ça marque, ça imprime pour la suite, une volonté d’agir», affirme Damarys, qui dirige depuis 18 ans l’une des plus importantes fédérations d’associations féminines africaines en France.

La prière des diaconesses

A Enongal, pendant les offices des missionnaires, Damarys Maa entend sans cesse une prière qu’elle ne comprend pas:

«Nous prions aussi pour la libération de prison de notre fils Nelson Mandela et pour que son peuple voie enfin la lumière.»

Mais qui est donc cet homme dont les pasteurs et diaconesses américains parlent tous les jours? Damarys n’aura la réponse que quelques années plus tard, quand elle s’envolera pour la France pour poursuivre ses études.

Elle atterrit à Orly, l’été 1973, puis débarque en Normandie, à Gisors, dans une petite ville du nord-ouest de la France. Le temps d’évoluer en Nationale II dans l’équipe d’athlétisme de Rouen et de se faire élire Miss Gisors 74. Mais Damarys ne veut plus vivre à Gisors. Elle veut partir. N’importe où.

«Ce n’était plus possible. Je voulais voir des noirs. Et à Gisors, autant dire qu’il n’y en avait pas. J’avais besoin de voir des noirs.»

Où en rencontrer en grand nombre à cette époque, si ce n’est dans la capitale française? Ce sera donc Paris, où elle suivra une formation de documentaliste et, plus tard, d’attachée de presse.

Paris et ses lumières donc! Paris et son cosmopolitisme! Mais aussi le Paris des grandes luttes. Dès la fin des années 70 en France, la dénonciation de l’apartheid bat son plein. La jeune femme comprend alors le sens des prières des diaconesses là-bas, à Enongal. Elle embrasse la cause pour la libération de Nelson Mandela et pour la fin du régime ségrégationniste d’Afrique du Sud. Seulement, elle le fait à sa façon. A l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) où elle travaille désormais, Damarys Maa sera déléguée syndicale pendant 10 ans.

Un esprit contestataire qu’elle essaiera ensuite de mettre au service du consulat général du Cameroun à Paris. Mais les relations seront tumultueuses, et l’aventure durera peu.

«Pourtant, mon seul souci était de rendre à mon pays ce que j’avais reçu de lui», déclare-t-elle aujourd’hui.

Elle part donc de la rue d’Auteuil avec fracas. Et le projet d’informatisation des services, qu’elle avait initié, tourne court. On l’engage alors pour les préparations des cérémonies marquant le bicentenaire de la Révolution française auprès d’Edgar Faure. Et celle qui voulait voir des noirs à Paris va côtoyer à cette occasion une noire d’exception: la diva américaine Jessye Norman.

Damarys Maa se souvient:

«Outre ces rencontres, le Bicentenaire a surtout développé en moi le côté militant. Pendant trois ans j’ai plongé dans les problématiques de l’esclavage et du racisme.»

Dès lors, la militante franco-camerounaise embrasse toutes les causes liées aux noirs et aux femmes.

Le levier féministe

Son principal instrument, le monde associatif, qu’elle considère comme le mieux indiqué pour faire un travail de proximité dans les quartiers et créer des ouvertures sur le plan institutionnel. Son dada, la lutte contre les discriminations. Son credo, le combat pour la parité. Son rêve, le droit de vote des étrangers. Ainsi fait-elle partie du collectif Votation Citoyenne, qui se mobilise depuis 30 ans pour le droit de vote des immigrés aux élections locales. Son cheval de bataille, l’essor et l’intégration socioéconomique des femmes africaines en France et en Europe. Un militantisme qu’elle veut pragmatique. En 1992, elle est, par exemple, l’une des premières femmes noires à créer une entreprise de communication événementielle en France.

Aujourd’hui, dans le cadre de l’Initiative des femmes africaines de France et d’Europe, Damarys Maa Marchand essaie de mobiliser les ressources et les énergies pour permettre aux femmes migrantes africaines en France de monter un grand centre commercial exclusivement africain:

«L’objectif est double. Il s’agit de créer des activités génératrices de revenus et promouvoir les cultures africaines.»

Un projet ambitieux auquel s’ajoute l’idée d’un service-traiteur spécialisé dans la cuisine africaine et qui serait tenu par les femmes migrantes. Depuis sa création en 1993, l’Ifafe aide à monter des microprojets et assure la formation des responsables d’associations qui font partie de son réseau. Elle en compte une trentaine. Aujourd’hui, la fédération est quasi incontournable en France.

Sévérité avec les «consommatrices»

Canaliser les énergies et dresser les ponts entre l’Afrique et l’Europe est un autre impératif pour Ifafe. Damarys fonde le collectif Toussaint-Louverture dans le cadre du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Au Cameroun, par exemple, le rêve de Damarys Maa Marchand est de contribuer à mettre en place une sorte de «Loi 1901» des associations, telle qu’elle existe en France. En attendant, elle effectue des séjours réguliers au Cameroun pour accompagner des femmes dans la mise en place de coopératives.

Mais il y a aussi des actions de solidarité de plus grande envergure. Pendant des mois, elle s’immerge dans les profondeurs du Rwanda post-génocide pour aider à redonner de l’espoir et à reconstruire ce qui pouvait l’être. Les membres de l’Ifafe sont aussi partis au Congo après l’éruption du Nyiragongo en 2002. A chaque fois pour redonner aux femmes l’envie et le courage d’agir là où elles se trouvent. «Parce que les femmes sont à l’avant-garde de tout», explique-t-elle. Une conviction qui ne l’empêche pas d’être sévère vis-à-vis de certaines migrantes:

«Je n’ai aucune excuse pour les femmes africaines qui arrivent comme une fleur et s’imaginent que tout ira de soi. Cessons d’être de simples consommatrices et devenons de véritables actrices de la société dans laquelle nous vivons désormais.»

Est-ce ce franc-parler qui lui a valu d’être élevée au rang de Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur pour trente ans de lutte contre les discriminations? Ironie du sort, Damarys Maa Marchand est dans un taxi-brousse au Cameroun, pour aider une association de femmes à voir le jour, lorsqu’elle reçoit le coup de fil lui annonçant sa décoration. S’était-elle imaginé cela, trente ans auparavant, là-bas, dans son village d’Enongal?

Raoul Mbog

Source: slateafrique.fr

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