Pauline Nyiramasuhuko, une criminelle aux airs de « mère-poule »

Pauline Nyiramasuhuko, condamnée à la réclusion à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.ReutersLe Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha en Tanzanie, a condamné, vendredi 24 juin, Pauline Nyiramasuhuko, ancienne ministre rwandaise, à la détention à perpétuité, pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité en 1994.

A 65 ans, Nyiramasuhuko est la première femme reconnue de génocide par une juridiction internationale. Depuis dix ans qu’elle a été rattrapée par la justice internationale, la Rwandaise n’a jamais reconnue sa culpabilité. Dans les rares articles de fond qui lui ont été consacrés jusqu’à présent, le contraste apparaît constamment entre l’air affable que dégage la vieille femme et les crimes pour lesquelles elle est désormais condamnée.

Le 13 septembre 2005, André-Michel Essoungou, correspondant de RFI, rédige un compte rendu d’audience. Il décrit une femme affaiblie : « Une voie monocorde, comme naïve. Le regard vide, peut-être triste. Emmitouflée dans un vêtement fait de grands pagnes aux couleurs sobres, ses yeux portent une paire de lunettes qu’on devine lourdes, tant elle sont grosses. Ses gestes semblent marqués par la lassitude ou la fatigue, à moins que ce ne soit le poids de l’âge. A 59 ans, Pauline Nyiramasuhuko parle sans peur, mais sans empressement non plus. »

Face aux accusations, « ‘madame Pauline’ oppose de molles dénégations : ‘Comment peut-on imaginer qu’une femme comme moi ait pu commettre de telles choses !’, ose-t-elle d’une voie basse. Elle est pourtant plus loquace sur la signification des accords de paix d’Arusha, ultimes et infructueuses tentatives de sauver le Rwanda de l’horreur, fin 1993. »

Dans un long article, très documenté, écrit en 2006, la juriste américaine Carrie Sperling confirme cette ambivalence de Nyiramasuhuko, qu’on imaginerait inspirer l’indulgence des juges : « Avec ses cheveux tirés parfaitement en arrière, ses grosses lunettes à côté d’elle sur la table, elle ressemble plus à un être cher, une vieille tante, qu’à ce qu’elle est soupçonnée être : une organisatrice, à un haut niveau, du génocide au Rwanda de 1994, qui a autorisé le viol et l’assassinat d’innombrables hommes et femmes. » « La presse, qui semble plus concentrée sur [la condition de femme de Nyiramasuhuko] que sur l’importance de ses crimes et ses poursuites, s’interroge : comment une mère, une femme qui semble si féminine, a pu commettre de telles atrocités ? », note Carrie Sperling.

En 2001, dans le cadre d’une thèse qu’elle rédige sur les femmes accusées de génocide au Rwanda, la Canadienne Nicole Hogg interroge l’avocat assistant de Nyiramasuhuko. Nicolas Cournoyer décrit sa cliente « comme ‘quelqu’un de très agréable, une mère-poule’. Cournoyer lui-même a reconnu l’incongruité de la situation : ‘Il est difficile d’imaginer que ce soit la même personne qui ait commis les choses que vous lisez sur elle.' » Il est reconnu aujourd’hui que la « mère-poule » a poussé son fils, Arsène Shalom Ntahobali, également condamné à la détention à perpétuité, à commettre des viols sur des femmes tutsies.

TUER MÊME « LES PERSONNES ÂGÉES ET LES FŒTUS »

A l’apparence neutre qu’affiche Nyiramasuhuko, s’ajoute l’absence de mobile, comme le relève en 2002 Peter Landesman dans le New York Times : « Il ne sera probablement jamais possible de dire ce qui a motivé les actions de Pauline. Elle peut avoir ressenti de la rage envers les Tutsis ou avoir été une simple opportuniste, assoiffée de pouvoir. Assurément, en tout cas, son zèle anti-Tutsi, en 1994, était public », affirme le journaliste.

« Pauline Nyiramasuhuko est née en 1946 au milieu de bananeraies vertes et luxuriantes, au cœur de vallées brumeuses. Ses parents étaient agriculteurs à Ndora, un petit village à dix kilomètres à l’est de Butare [où la plupart des crimes qui lui sont reprochés ont été perpétrés]. Sa famille et ses amis se souviennent d’elle comme quelqu’un de plus ambitieux et discipliné que brillant. Sa sœur, Vineranda Mukandekaze (…) m’a dit que Pauline était ‘bonne mais pas généreuse' », raconte Peter Landesman.

« Avant de devenir la responsable rwandaise aux affaires féminines, Pauline était une travailleuse sociale, parcourant la campagne, offrant des conférences sur l’autonomisation des femmes et des instructions sur les soins de l’enfant et la prévention du sida », poursuit-il.

Nyiramasuhuko est entrée, après ses études primaires, à l’Ecole sociale de Karubanda, dans sa région. En 1986, elle reprend des études et obtient une licence en droit en 1990. Deux ans plus tard, elle est nommée ministre de la famille et de la promotion féminine dans le premier gouvernement multipartite. Elle sera reconduite à ses fonctions en 1993, puis en 1994, pendant le génocide.

Dès 1995, les témoignages concordent sur le rôle actif qu’elle a joué dans l’extermination des Tutsis. Ce qu’a pu vérifier le Sunday Times du Rwanda en octobre 2002. Le journal cite ainsi Nkusi, écolier de 15 ans au moment du génocide : « Je ne peux pas dire qu’elle a tué de ses propres mains, mais pendant le génocide, il y avait tellement de manières de tuer, y compris en donnant des ordres aux criminels comme elle faisait. »

Certains témoins, rapporte l’article, se souviennent « de son voyage en camionnette autour du district de Runyinya, exhortant avec un mégaphone la population locale à tuer les ‘cafards’ Tutsis et de ne pas même épargner ‘les personnes âgées ni les fœtus’. »

Marguerite Musabyimana, professeure au groupe scolaire de Butare, s’est souvenue « de Nyiramasuhuko exhortant les milices d’être plus brutales avec les victimes qui les suppliaient ». Devant une femme implorant « ‘Ayez pitié, ayez pitié de mes enfants’, je me souviens clairement Nyiramasuhuko disant [aux miliciens] : ‘Tuez-là rapidement.' »

Vendredi 24 juin 2011, dix-sept ans après le génocide, Rose Burizihiza, 40 ans, livre son martyre à Libération : les viols, la séquestration, le meurtre de son mari et de l’une de ses filles… Quand elle en vient à Pauline Nyiramasuhuko, son discours est sans détour, mais avec toujours la même incrédulité : « En tant que femme, je ne comprends pas qu’une femme qui a donné la vie ait pu inciter des gens à violer d’autres femmes (…). Il s’agissait d’éliminer les Tutsis physiquement, mais aussi psychologiquement. Quelle que soit la sanction, que je souhaite exemplaire, je ne pourrai jamais lui pardonner. »

Gaël Lombart

Source: LeMonde

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