La guerre phallique

© Damien Glez, tous droits réservés.En Libye, le colonel Kadhafi aurait armé ses troupes de Viagra pour commettre des viols. Damien Glez s’indigne.

On aurait presque pu croire le colonel Kadhafi féministe. On aimait présenter la Jamahiriya arabe libyenne comme un rempart contre un islamisme menaçant la liberté des femmes. On se plaisait à voir le Guide confiant sa sécurité à une escouade d’amazones en treillis.

La Cour pénale internationale (CPI) vient pourtant d’écorner la chimère d’un Mouammar Kadhafi galant. Le 8 juin dernier, Luis Moreno Ocampo, procureur de la CPI, indiquait avoir des preuves que le dirigeant libyen avait ordonné des viols en série. «Consciencieuses», les autorités libyennes, à la demande expresse de Kadhafi, auraient fait distribuer aux troupes les munitions y afférentes, soit des vasodilatateurs périphériques utilisés en cas de dysfonction érectile; autrement dit des stimulants sexuels de type Viagra qui auraient été commandés pas «conteneurs entiers». De quoi augmenter la productivité des violeurs qui auraient agressé des «centaines de femmes (…) dans certaines zones de Libye». Ces accusations de la CPI confirmeraient les déclarations, en avril dernier, de l’ambassadrice américaine aux Nations unies, Susan Rice.

Une arme de guerre

Comme il y a la guerre bactériologique, il y a donc la guerre phallique. Les psychanalystes se plaisent à considérer le canon d’une arme à feu comme le prolongement du sexe masculin. Le pénis peut aussi devenir l’auxiliaire de l’armement conventionnel. Et Kadhafi n’est pas le premier à l’avoir compris. Sur le continent africain, les politiques incitant explicitement aux viols ont truffé les conflits depuis la deuxième moitié du XXe siècle.

Au Nigeria, entre 1967 et 1970, lors la guerre du Biafra, les jeunes femmes étaient déjà la proie de la libido des hommes armés. Entre 1989 et 1997, pendant la guerre civile au Liberia, les troupes et les milices violaient massivement. Alertée, la communauté internationale finira par voter aux Nations unies la résolution 1820 (PDF) qualifiant le viol d’arme de guerre. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, créé en 2002, a émis trois actes d’accusation contre des dirigeants de groupes armés et de milices ayant commis des crimes pendant le conflit. L’un d’eux vise l’ancien président du Libéria, Charles Taylor, pour des viols, des violences sexuelles et l’esclavage sexuel de filles et de femmes.

Dans les années 1990, des violences sexuelles auraient été perpétrées par l’armée angolaise contre les ressortissantes de la riche province pétrolière du Cabinda. En 1994, au cours du génocide rwandais, de nombreuses femmes ont été sauvagement violées. Au début des années 2000, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), impuissante, constatait ces crimes de guerre à caractère sexuel. En 2007, la réalisatrice Susanne Babila tirait la sonnette d’alarme en réalisant le documentaire «Le viol, une arme de guerre au Congo». C’est en septembre 2010 que l’Organisation des Nations unies dénoncera les viols massifs perpétrés par des groupes armés dans le nord-est de la RDC. Elle inaugurera le bureau de la Représentante spéciale de l’ONU pour les violences sexuelles dans les conflits armés. En janvier 2011, neuf personnes présumées coupables de viols en RDC, dont un chef militaire, seront arrêtées.

Répression, terreur, torture

Le continent africain n’a pas le monopole du viol comme arme de guerre. Au début de la Seconde Guerre Mondiale, le Japon, dans sa politique d’invasion en Asie du Sud-Est, organisait des réseaux de prostitution forcée au service des soldats. À la même époque, la Wehrmacht allemande organisait des viols collectifs publics et systématiques dans les pays slaves. Puis les soldats soviétiques auraient violé deux millions de femmes allemandes. L’armée de libération, notamment des soldats américains, aurait agressé sexuellement lors de la campagne de 1944. Même triste constat en Amérique latine, lors des trois décennies de dictatures militaires. Au début des années 1970, ce sont deux cent mille Bangladaises qui auraient été violées par l’armée pakistanaise. Vingt ans plus tard, le viol était pratiqué à grande échelle en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. On y installa même des «camps du viol».

Viols, prostitution forcée ou esclavage sexuel jalonnent les campagnes militaires, dans toutes les régions du monde. Ils sont pratiqués sans distinction politique, sociale ou religieuse.

L’accouplement forcé répond à plusieurs objectifs. Pour les soudards éreintés, bien sûr, il est censé être un plaisir, une sorte de récompense du guerrier. Il est le privilège des vainqueurs, la jeune fille réifiée devenant un trophée, peut-être même un ultime champ de bataille.

Le viol est également une forme de répression, de torture, de terreur, de sujétion psychologique. Il est un signe de soumission des vaincus; de la femme, mais aussi de l’époux. Si le conjoint assiste à la scène, son humiliation est souvent castratrice. La violence sexuelle conduit alors à la dislocation du noyau familial.

Pour les plus radicaux, dans les conflits à caractère ethnique, le viol peut devenir une arme «purificatrice», une manière d’insinuer un sang «pur» dans un corps dénigré. Auxiliaire du génocide, la procréation forcée diluera le sang «impur» qui ne sera pas versé.

Un crime de guerre

Si le caractère public du viol semble le summum de la cruauté, sa dimension confidentielle est un frein à son éradication. Parce qu’elle est un tabou, l’agression sexuelle ne sera pas toujours dénoncée par les victimes. Dans les sociétés patriarcales, ces dernières savent qu’elles risquent le mépris, voire le rejet. Quant aux enfants nés «de père inconnu», ils sont souvent mis au ban de la société. Comment les femmes violées, parfois contaminées par leurs agresseurs, peuvent-elles se reconstruire physiquement et psychologiquement?

Margot Wallström, représentante spéciale de l’ONU pour les violences sexuelles dans les conflits armés, rappelle à l’envi que les lois existent et qu’il faut les faire respecter. Le Conseil de sécurité qualifie le viol de crime de guerre et recommande qu’il ne soit pas amnistié.

Pour l’heure, dans une Libye ébranlée, Chérif Bassiouni, le président de la Commission d’enquête qui a rédigé le rapport de l’ONU ayant établi des «crimes contre l’humanité», émet des doutes sur la politique de viols dénoncée par la Cour pénale internationale. Margot Wallström lui reproche l’utilisation du mot «hystérie» pour qualifier une société jugée paranoïaque. Elle explique le manque de preuves formelles par la crainte des femmes profanées.

Selon The Independent, 259 femmes auraient déclaré avoir été violées. Le chef de la mission onusienne du Conseil des droits de l’Homme, qui a enquêté fin avril en Libye, n’évoque que quatre plaintes…

Pendant que la pression diplomatique peine à augmenter, le Viagra continue de baisser la pression artérielle…

Damien Glez

Source: slateafrique

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