DSK plaide non coupable : ce qui va se passer

DSK-6juin« Not guilty » : aujourd’hui, vers 15h20 heure de Paris, Dominique Strauss-Kahn s’est levé et a plaidé « non coupable » devant le juge Michael Obus, de la Cour suprême de l’Etat de New York.

A son arrivée dans l’immeuble de la Cour, l’ancien directeur général du FMI était attendu par un groupe de femmes de chambres syndiquées qui l’ont hué : « shame on you ! », « honte sur vous ».

Dominique Strauss-Kahn, soupçonné de tentative de viol, comparaissait, pour la troisième fois devant un juge. Un nouveau rendez-vous a été fixé au 18 juillet pour faire le point sur l’avancement de l’enquête contradictoire qui s’engage maintenant.

A peine démarrée, l’enquête sur ce qui s’est passé dans la chambre 2806 a pris en France les allures de grand feuilleton médiatique. Pour les Américains, cette exposition n’est pas extravagante : elle est le reflet d’un système contradictoire et transparent. Explicateur.

1Que s’est-il passé aujourd’hui ?

Devant le juge de la Cour Suprême de New York, les chefs d’accusations ont été formellement lus à Dominique Strauss Kahn. Puis le Français s’est levé et a plaidé sans surprise « not guilty ». Son avocat Brafman a prédit ce week-end sur M6 qu’il allait être relaxé.

Cette audience, qui a duré 10 minutes, est appelée « arraignment hearing ». Elle clôt la procédure
d’inculpation et ouvre la phase dite de « discovery » : l’enquête contradictoire, menée à la fois par l’équipe du procureur (le « district attorney » Cyrus Vance Jr, 57 ans) qui s’appuie sur la police des moeurs de New York, et par celle des avocats de la défense (Benjamin Brafman et William Taylor).

2

Qui mène l’enquête ?

Le système pénal américain est très différent du système français. On dit que le système français est « inquisitoire » et que le système américain est « accusatoire ».

En France, c’est un juge d’instruction qui dirige l’enquête, à charge et à décharge. On considère en effet, depuis le XIIIe siècle, qu’il vaut mieux, pour établir la vérité, qu’un tiers se charge de la chercher. Les parties peuvent intervenir et être entendues, mais leur rôle est limité.

Aux Etats-Unis, c’est la confrontation des deux parties qui doit faire émerger la vérité. L’enquête est donc dédoublée : l’accusation monte un dossier à charge ; la défense accumule les arguments à décharge.

Dans le cas d’un procès pour crime ou délit sexuel, les preuves matérielles permettent parfois de démontrer qu’il y a bien eu un rapport ; elles sont souvent insuffisantes pour prouver le caractère non consenti de celui ci.

C’est donc surtout sur la personnalité de l’accusé et celle de la supposée victime que le travail d’enquête va porter. L’attorney Cyrus Vance va fouiller le passé de DSK, sexuel notamment ; l’avocat Benjamin Brafman et ses collègues vont fouiller celui de Nafissatou D., à la recherche d’épisodes comparables ou de mensonges qu’elle aurait pu faire dans d’autres circonstances (par exemple, pour l’obtention de titres de séjour).

Ce travail d’enquête se fait sous la supervision du juge, qui veille à ce que les deux parties soient sur un pied d’égalité. Les avocats de la défense peuvent ainsi convoquer des témoins ou exiger des documents de telle ou telle administration.

Une fois l’enquête terminée, les deux parties s’affronteront devant un jury de 12 personnes, qui devront se prononcer à l’unanimité sur la culpabilité de l’accusé.

3

La défense sait-elle quelles cartes le procureur a dans son jeu ?

On compare souvent cette phase de recherche de preuves (ou « discovery ») à une partie de poker : procureurs et avocats gardent cachés le plus longtemps possible leurs preuves et témoignages, pour ne pas laisser à l’autre le temps de les démolir.

Chacun jauge la détermination de l’autre : ira-t-il au bout ou cherchera-t-il une porte de sortie, à travers une négociation ?

En réalité, comme l’a rappelé la Cour suprême des Etats-Unis, le droit de garder des cartes par devers soi n’est pas absolu. La partie suit des règles très strictes de communication des éléments du dossier, que le juge se charge de faire respecter.

A New York, les règles du « discovery » sont énumérées dans l’article 240-20 du code pénal. La défense peut ainsi à tout moment demander des éléments du dossier du procureur : expertises, retranscription d’auditions de témoins, etc. Si le procureur rechigne à transmettre un élément, l’avocat de la défense saisit le tribunal.

Dans le cas de l’affaire DSK, la défense va commencer par exiger les preuves matérielles qu’aurait réunies le procureur, notamment les éventuelles traces d’ADN prélevées par la police scientifique dans la chambre du Sofitel, sur la femme de chambre ou sur l’ancien directeur du FMI.

La défense s’emploiera, au cours des audiences de cette phase « pré-procès », à demander à ce que soient écartées telles ou telles preuves, si celles-ci n’ont pas été collectées dans les règles.

4

Les plus riches sont-ils favorisés par ce système ?

La recherche des preuves est plus facile pour un client riche : il peut s’offrir les meilleurs avocats, de nombreux détectives privés, et introduire de nombreuses demandes d’informations.

Dominique Strauss-Kahn, qui ne manque pas de moyens, a ainsi enrôlé « l’avocat des stars » Benjamin Brafman qui s’appuie sur les détectives privés de l’agence Guidepost Solutions, dirigée par un ancien chef de la division criminelle du parquet de New York.

Mais les riches n’ont pas que des avantages dans le système accusatoire américain : la médiatisation de la procédure peut aussi les démolir, du fait de leur notoriété. Dans le système inquisitoire français, les accusés célèbres sont moins exposés.

5

La présomption d’innocence existe-t-elle dans le système américain ?

Selon l’adage latin, « Ei incumbit probatio qui dicit, non qui negat » : la preuve incombe à celui qui affirme, pas à celui qui nie. On a parfois l’impression, dans le système accusatoire américain, que c’est à l’accusé de prouver son innocence.

Ce n’est pas juste. Contrairement à une idée reçue, la présomption d’innocence est un principe important du droit des Etats-Unis. Elle est au coeur de l’Habeas Corpus et a été réaffirmée par l’arrêt de la Cour suprême Coffin vs United States de 1895.

C’est le procureur qui doit prouver la culpabilité de Dominique Strauss-Kahn. La défense, elle, se prépare à soulever des doutes sur cette accusation.

Lors du procès (si procès il y a lieu), un jury de douze personnes, selectionnées avec grand soin par les deux parties, devra se décider à l’unanimité sur la culpabilité de l’accusé (en France, il suffit de huit voix sur douze). Autrement dit, si la défense arrive à semer le doute dans l’esprit d’un juré et un seul, l’accusé sera acquitté.

6

Le procès aura-t-il forcément lieu ? Qu’est-ce que le « plea bargaining » ?

Si la procédure engagée va jusqu’au procès, celui-ci aura lieu dans quelques mois : vers la fin de l’année ou au début de la suivante.

Mais le fait de plaider aujourd’hui « non-coupable » ne mènera pas automatiquement au procès. A tout moment, la défense peut passer un deal avec le procureur.

Des équipes de télévision se préparent devant la maison de Dominique Strauss-Kahn à New York (Brendan McDermid/Reuters)

Elle peut par exemple décider de plaider coupable sur des chefs d’accusation mineurs (harcèlement…) en échange de l’abandon d’autres chefs plus sérieux (tentative de viol).

Dans un tel scénario, un accord sera trouvé entre les deux parties, sous la supervision du juge. C’est ce qu’on appelle le « plea bargaining ». Dans 90% des cas, à New York, les procès criminels sont évités.

Mais la défense ne peut pas négocier directement avec la victime supposée : dans une procédure pénale, la victime est un témoin, et lui proposer de l’argent reviendrait à se livrer à une tentative de subornation de témoin.

La victime peut de son côté réclamer des dommages et intérêt, mais elle doit pour cela ouvrir des poursuites au civil. Ce que Nafissatou D. n’a pas encore fait (elle dispose d’un an pour cela).

Il est probable qu’elle porte plainte : deux stars du barreau, Kenneth Thompson et Norman Siegel, se sont portés en renfort du premier avocat de la jeune femme, Jeffrey Shapiro.

Les deux procédures pénales et civiles ne sont pas toujours liées. On se souvient ainsi que l’ancien footballeur O.J. Simpson avait été acquitté en 1994 des meurtres de son ex-femme et de l’ami de cette dernière, mais condamné au civil à verser des dommages et intérêts…

Procès de DSK

Photos : Arrivée de DSK à la Cour criminelle de New York (Lucas Jackson/Reuters) . Des équipes de télévision se préparent devant la maison de Dominique Strauss-Kahn à New York (Brendan McDermid/Reuters)

Source: Rue89

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page