Chamelier, cueilleur de sel par surcroît

chamelierUne histoire vient frapper à ma porte. Je fais le sourd. Elle insiste. Je la laisse entrer. Je vais vous la raconter.

 

1.

S’il est un métier pénible sur notre bonne vieille Terre, me dites-vous ? Ne cherchez pas trop, j’ai déjà la réponse. Chercheur d’or au Cap Nord ? Non, c’est à la portée du premier Lapon venu. Soldat américain ? Bof, demandez aux Afghans et autres Irakiens ce qu’ils en pensent. Enseignant à Londres ? C’est tolérable surtout si les élèves se montrent gentils et attentifs. Pêcheur de perles à Chypre, à Socotra ou dans les îles Maldives ? Ouais, c’est supportable avec quelques années d’entraînement. Traqueur de vestiges historiques aux Seychelles ? Nenni. Bûcheron au Gabon ? Pas vraiment. Le plus dur métier du monde, c’est être chamelier dans un pays chaud, quelque part entre le golfe Persique, le désert numibique ou la Corne d’Afrique. Chamelier comme jadis mon vieux et tendre père, Allah arahamu, paix à son âme ! La terre y est toujours friable, les vents sont bruyants et les sécheresses cycliques mais fidèles. Les animaux de bât sont très peu utilisés, sinon complètement absents. Telles sont encore quelques unes des contraintes auxquelles s’adaptent avec bonheur les gens d’ici. Et je ne vous parle même pas du dressage du dromadaire. Ce “coursier du désert”, comme nous le nommons parfois, est le prince de la caravane, l’étalon roi dans toute cette région. On le chante tout au long de l’année et sur tous les tons. On lui dresse des lauriers à toute occasion à tel point qu’il existe aujourd’hui, chez les Somalis par exemple, une littérature à lui seul consacrée. Les très beaux prénoms donnés aux jeunes filles et aux garçons (comme Idil, Kooran, Mandeeq, etc.) proviennent des louanges que les Anciens adressaient à leurs camélidés préférés.

(A suivre)

2.

Mais en quoi consiste-t-il, le métier de chamelier ? C’est d’abord un âge, une initiation avant de devenir une manière de respirer sa ration d’air, de vivre. Le jeune garçon, à la fin de l’adolescence, s’en va rejoindre le groupe de chameliers qui a, précisément, pour mission de le préparer à la vie adulte avec ses contraintes et ses sacrifices, ses joies et ses douleurs. De sa famille, il en sera séparé longtemps pour la première fois. De ses amis, pas de nouvelles bonnes nouvelles. Notre garçonnet doit accomplir d’abord son premier safar (le mot safari utilisé des touristes, au Kenya par exemple, est simplement la déformation d’un terme swahili qui vient lui-même de ce safar arabe signifiant voyage), autrement dit un trajet entre l’arrière-pays nomade et une ville de la côte maritime comme Djibouti, Tadjourah, Assab ou Mogadiscio… On pourrait pousser le voyage jusqu’à la côte swahilie, après tout ce mot (souahil) qui va donner sahel ne signifie en arabe rien d’autre que la côte ou rivage. On pourrait mettre le cap sur Mombasa, Lamu, l’île de Pemba, l’archipel des Comores et Zanzibar qui n’a cessé de faire fantasmer les voyageurs de toute la planète. Les cadeaux les plus précieux lors des grands événements comme les mariages sont encore les dromadaires, les chamelons et les chamelles. Il est certain que mon vieux père, Allah arhamu !, ait fait la même offrande pour convoler avec ma mère, il y a plus de soixante ans aujourd’hui.

(A suivre)

Source: Slateafrique.com

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