La part d’ombre de Blaise Compaoré

Blaise CompaoreDepuis son arrivée au pouvoir il y a 24 ans, le président burkinabé s’est construit à l’extérieur une image étonnamment lisse et un vaste réseau d’amitiés internationales. Pourtant, son parcours comporte des pages bien plus sombres qu’il n’y paraît.

La carrière politique de Blaise Compaoré débute le 4 août 1983 lorsqu’il participe à la prise du pouvoir de Thomas Sankara, qui installe un Conseil national de la résistance. Frère d’armes et homme de confiance du père de la révolution burkinabé, il sera d’abord ministre délégué à la Présidence, puis ministre d’Etat chargé de la justice. Mais le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré participe au coup de force au cours duquel Sankara, l’empêcheur de tourner en rond qui avait osé braver son puissant voisin, le père de l’indépendance Houphouët-Boigny, est assassiné.

Le charme discret de la Françafrique

Le capitaine Compaoré devient alors chef de l’Etat, à la faveur d’un mouvement dit «de rectification». L’homme est tout le contraire de son prédécesseur: Sankara était volubile, passionné, charismatique et doué d’un véritable don de tribun; Compaoré est d’une timidité maladive et avare de paroles. Mais derrière cette apparence renfermée et discrète se cache une poigne de fer, qui prend progressivement le contrôle de tous les rouages de l’Etat.

Pour autant, il affirme vouloir instaurer la démocratie dans son pays. Le 19 octobre 1987, dans son premier discours à la nation, il invite toutes les sensibilités politiques à s’exprimer. En juin 1991, une Constitution instaurant le multipartisme est adoptée par référendum et en décembre, il troque l’uniforme pour le costume civil après avoir été élu pour sept ans. Il le sera sans discontinuer jusqu’en 2010, avec des scores soviétiques.

Fort de son image de pays des «hommes intègres» forgée par Sankara, et considéré comme un îlot de stabilité, le Burkina attire la sympathie des bailleurs de fonds et des organisations non-gouvernementales. Blaise Compaoré est également chouchouté par la France et la Côte d’Ivoire, dont le vieux président supportait mal la présence de l’impétueux Thomas Sankara. Beaucoup voient d’ailleurs derrière la mort de Sankara la main d’Houphouët, inquiet de voir les idée révolutionnaires du bouillant capitaine faire tache d’huile.

Homme de réseau, Blaise Compaoré, pour parfaire son «intégration» au sein de la famille «françafricaine», sera même inititié à la Grande loge nationale française, une branche conservatrice de la franc-maçonnerie qui compte entre autres parmi ses membres des présidents comme les Gabonais Omar puis Ali Bongo, le Congolais Sassou Nguesso ou le Tchadien Idriss Deby.

Vrai pyromane…

Cela dit, la face la plus sombre président burkinabé est sans aucun doute son rôle actif dans les conflits qui embrasent la région. En mars 2000, un rapport d’enquête des Nations unies —dont il contestera le contenu— met en cause le Burkina Faso et des personnalités proches de la présidence dans le trafic de diamants et de matériel militaire avec les guérilleros angolais de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Quelques mois plus tard, un autre rapport (PDF) révèle que le Burkina est la principale voie d’approvisionnement en armes des rebelles sierra-léonais du Revolutionary United Front (RUF). Ce mouvement armé, quasiment créé par Charles Taylor, ex-chef de guerre et président du Liberia, et aidé par des instructeurs burkinabè est connu pour les atrocités commises par ses hommes en Sierra Leone. Poursuivi par la justice internationale, Charles Taylor est actuellement détenu à la Haye.

En septembre 2002, Blaise Compaoré sera pointé du doigt par le président de Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo comme le parrain de la rébellion qui tente de la renverser à partir du nord du pays. Même si l’intéressé dément, tout le monde sait que les camarades de l’actuel Premier ministre Guillaume Soro ont, alors, leur base arrière au Burkina et sont chez eux à Ouagadougou. Fin 2009, un rapport des Nations unies (PDF) confirmera d’ailleurs, une nouvelle fois, que du matériel destiné à l’ex-rébellion continue à transiter par le Burkina Faso.

… et faux-démocrate d’Afrique de l’Ouest

Le plus extraordinaire, c’est que Blaise Compaoré va à la même époque se forger une image de «sage» de l’Afrique de l’Ouest. Le voici médiateur au Togo, en Guinée et —comble de l’ironie— en Côte d’Ivoire en mars 2007, après l’accord de Ouagadougou, qui aboutit à la nomination du chef rebelle Guillaume Soro comme Premier ministre de Laurent Gbagbo. Le pyromane devient donc officiellement faiseur de paix dans le pays qu’il a contribué à déstabiliser.

Sur le plan intérieur, Blaise Compaoré tient à se donner une image de démocrate et de président acceptant la contradiction. Mais cette volonté affichée connaît des ratés avec l’assassinat le 13 décembre 1998 du journaliste Norbert Zongo. Malgré un non-lieu prononcé en juillet 2006, plusieurs enquêtes indépendantes pointent du doigt le proche entourage du chef de l’Etat burkinabè, dont son frère François Compaoré.

En matière économique en revanche, beaucoup lui reconnaissent une relative réussite. Entre 2000 et 2010, son pays a enregistré une croissance annuelle moyenne de 5,2%. Producteur de coton, le Burkina est devenu exportateur d’or. Dans ce pays classé parmi les plus pauvres du monde, la Banque mondiale lui reconnaît d’être parvenu à réduire la mortalité infantile et d’être parvenu à renforcer le scolarisation des plus jeunes. Pour autant le Burkina reste 161e sur 169 en terme de développement humain.

Et depuis le 15 avril, l’image de pays calme et stable du Burkina Faso prend un sérieux coup avec l’éclatement d’une mutinerie sans précédent depuis 25 ans. Dans son lieu de détention, Laurent Gbagbo, renversé le 11 avril dernier, a sans doute esquissé un sourire moqueur lorsqu’il a appris que Blaise Compaoré a dû quitter le palais présidentiel trois jours après sa propre chute…

Jérémie Ncubé

Source: slateafrique



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