Dépigmentation : Claire, belle jusqu’à en mourir

depigmentation-150x150AL tient une boutique de produits cosmétiques à El Mina, quartier périphérique de Nouakchott. Sur les rayons : Si clair, So clair, Skin light, Marie clair, Vite fait…une gamme variée de crèmes et gels dépigmentant appelée « xessal ». La clientèle est essentiellement féminine. Pour éclaircir leurs peaux, des adolescentes ou majeures viennent se ravitailler chez AL. Elles n’ont cure des ravages cutanés de ces produits. L’essentiel, c’est d’être rouge pour séduire.

Autre raison de la dépigmentation : L’assimilation de canons de beauté standards par les africaines. Les miss monde, miss univers, miss Sénégal…en plus de l’extrême maigreur ne sont jamais noires comme celles de senghor. Les modèles de beauté couronnés par tous les medias du monde n’ont pas la même couleur que les femmes Serere de Djoal (village natal de Senghor). L’esthétiquement correct veut qu’une fille, à défaut d’être miss en est certains traits. Les petites de taille, les grosses et très noires ne passent pas les concours de recrutement d’hôtesses.

Raison de cette hantise de la peau claire : les hommes préféreraient les plus claires. Ce penchant est-il prouvé ? Pas sur. C’est après quelques années de mariage que certaines femmes noires virent au rouge. Histoire de se redonner une seconde « santé » esthétique à coup de movate, tenovate, ou autres.«Femme nue, femme noire. Vêtue de ta couleur qui est vie. De ta forme qui est beauté.» Ca, c’est du Senghor. C’est de la poésie. La vie des clientes de AL est plus prosaïque. Leur combat quotidien : se faire belle, se faire claire pour trouver un mari ou au moins celui qui va prendre en charge le prix du portable, les cartes de recharge, les mèches, les billets de taxi…

Visage rouge, pieds noir, barbe naissante
Ce qui pousse les mauritanienne vers le xessel, ce n’est pas le complexe du toubab ou « le traumatisme post colonial ». Dans le fin fond du fouta mauritanien, des filles qui n’ont jamais vu une européenne, même pas à la télé, s’enduisent de xessal chaque nuit avant de dormir. Dans ces milieux reculés, ont entend souvent, à propos d’une femme « thiofdo mballéjo kouroum » (Vilaine excessivement noire) où « dioddo bodejo thioye » (belle et excessivement blanche). Le xessal est donc un moyen pour échapper au sort peu enviable de la « thiofdo ballédjo kouroum.»
Une adepte de xessal avec un teint clair uniforme du visage aux pieds, c’est rare. Le résultat des produits dépigmentant, c’est le visage rouge, pied et mains noires, barbes naissantes. De véritables pingouins du sahel qui, au lieu de séduire, provoquent dégoût chez certains hommes. Les pieds et les mains sont les parties du corps les moins sensibles aux effets des des produits éclaircissants. Pour les dépigmenter, certaines femmes utilisent de la crème oxydante destinée au « blondage » des cheveux. Pour plus d’efficacité et de rapidité, d’autres mélangent plusieurs produits dans un même tube. Un cocktail chimique qui dégrade la peau à grande vitesse. Les adeptes du xessal n’ont cure des indications ou contre indications.
« Je sais que c’est dangereux pour ma santé mais je ne peux pas arrêter » Dit cette jeune fille au visage complètement grillé. Le xessal est à ses adeptes ce que la nicotine est aux fumeurs ; une véritable drogue. Il se dit également qu’une femme qui abandonne le xessal devient plus noire qu’elle ne l’était avant de commencer.
Les prix des produits utilisés varient entre 200 et 5000 ouguiyas. Pour celles qui travaillent, le salaire y passe presque entièrement. D’autres n’hésitent pas à prendre le traditionnel raccourcis pour s’éclaircir.

Cancer, diabète, hypertension…
A part quelques opérations ponctuelles, les ravages du xessal ne font l’objet d’aucune stratégie de lutte. Le xessal, c’est pourtant l’une des premières causes de consultation chez les dermatologues. Un problème de santé publique ignoré. A défaut d’une interdiction de l’importation de ces produits, leur vente aux adolescentes mineures doit cesser.
Pour dissuader les adeptes du xessal, les « i am black and proud », les poèmes de Senghor, ça passe pas. « La dépigmentation est source de cancer. » C’est plus prosaique, plus dissuasif. « Il a été établi par des spécialises sénégalais que certains produits peuvent provoquer des cancers de la peau.» Les notices des tubes de xessal sont parfois falsifiées. La teneur chimique marquée sur l’emballage est souvent inférieure au pourcentage réel.
Les risques de saignement, chez les femmes enceintes adepte de xessal, sont très élevés. Chez ces femmes, la cicatrisation après césarienne est plus lente. Chez toutes les adeptes de xessal d’ailleurs, la peau soumise à rude épreuve par les produits, perd de son élasticité et de son épaisseur. Ce qui complique chez elles la plus banale des opérations chirurgicales.
Les corticoïdes contenus dans certains produits dépigmentants favorisent le diabète ou l’hypertension.
Les complications dermatologiques et les risques sont accentués par l’utilisation de certains produits pharmaceutiques vendus au marché dans des boutiques de cosmétique.
La seule motivation des adeptes du xessal, c’est être belles. Les produits dépigmentants rendent belles ? Peut-être. Ils peuvent faire chopper un cancer ? Oui
KD

Le Quotidien de Nouakchott



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