Interview de Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale de Mauritanie.

boulkh 2INTERVIEW ACCORDEE AU SITE ELECTRONIQUE « TAWARY » LE 20/12/2010 , PAR LE PRESIDENT DE A.P.P. PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE MESSAOUD OULD BOULKHEIR

1 – Monsieur le Président de A.P.P. et Président de l’Assemblée Nationale Messaoud OULD BOULKHEIR, votre dernier discours d’ouverture de la Session parlementaire 2010-2011 a constitué un tournant important dans vos relations avec le régime et certains ne comprennent pas son contenu: vous est-il possible de nous parler de ce discours et des idées qu’il comporte ?

Le discours que vous évoquez entre dans le cadre d’une approche qu’avaient dictée et exigée mes obligations nationales et mes responsabilités politiques au lendemain des élections présidentielles à l’issue desquelles j’avais repris mes fonctions de président de l’Assemblée nationale à l’ouverture de la session de laquelle j’avais alors appelé au dialogue et à la prééminence à donner à l’intérêt national par rapport à toute autre considération. J’y avais aussi suggéré un débat politique apaisé. La tonalité de ce discours-ci, bien que versant dans le même sens que le premier, tend à sensibiliser sur la situation du moment, où se perçoit nettement un sentiment d’inquiétude face aux dangers réels qui menacent de l’extérieur l’existence de notre pays à cause notamment des pressions exercées par les grandes puissances qui veulent nous faire supporter seuls, et à leur place, les sacrifices qu’implique la lutte contre le terrorisme, l’immigration clandestine en Europe et la lutte contre les réseaux de la drogue. A cela s’ajoute, au plan intérieur, les graves divergences politiques entre majorité et opposition, sans compter ceux qui, délibérément, mettent en doute notre identité nationale, notre existence, nos emblèmes nationaux (drapeau et hymne) alors que d’autres tentent de remettre en cause l’appartenance des Haratines à la communauté arabe. C’est tout cela qui m’a inquiété, qui m’inquiète et qui m’a poussé à attirer l’attention des nationaux et surtout des vrais patriotes, jaloux de son unité et de son intégrité, à prendre conscience du danger et à se mobiliser pour assurer sa tranquillité pour le préserver de tous les périls qui le menacent, qu’ils soient extérieurs ou intérieurs et quelle que soit leur nature (raciste, clanique ou communautaire) la modération et le dialogue s’avérant le meilleur choix pour l’opposition et la majorité de placer le pays sur la voie la plus sûre.

2 – Vous avez rencontré ces jours derniers le président Mohamed OULD ABDEL AZIZ, comment s’est passée cette rencontre et quelle évaluation en faites vous ?

L’évaluation que j’en fais est positive

3 – Il se raconte que la déclaration du président appelant au dialogue q un rapport avec cette rencontre ?

Je ne sais pas. Il est possible que cela soit la conséquence des analyses personnelles du Président, comme il se pourrait que cela soit consécutif à des conseils venus de la coordination de l’opposition ou du président de l’Assemblée nationale, mais dans tous les cas, le discours a été positif et la réaction de la coordination aussi. C’est vrai aussi que chaque fois qu’il m’a été donné l’occasion de le rencontrer, je lui ai toujours suggéré d’appeler au dialogue, ce qu’il m’a formellement promis de faire lors de notre dernière rencontre. J’avais communiqué l’information à certains membres de la COD, bien que certains, dans nos rangs, pensaient qu’il ne le ferait jamais. Il l’a fait, Dieu merci, et il ne reste plus dorénavant qu’à imaginer et à se mettre d’accord sur les modalités pratiques de la mise en œuvre de ce dialogue. Au sein de la COD, à mon avis, l’important est de nous mettre d’accord sur les termes de la bonne gouvernance et ceux qui garantissent la préservation du pays et la pérennité de l’Etat ce qui, en aucun cas, ne saurait vouloir dire droit d’immixtion dans les attributions et les pouvoirs du Gouvernement, ni encore moins dans sa manière de gérer qui lui est propre puisqu’il en récoltera seul les fruits, doux ou amers. Que la majorité se rassure donc: dans notre esprit dialogue n’est ni nous mêler de ce qui ne nous regarde pas, ni avoir un droit d’immixtion dans l’orientation du Gouvernement, ni encore moins en faire partie.

4 – Croyez-vous en la réussite du dialogue par ces temps ci et quels devraient être, selon vous, les points à discuter ?

Je ne pense pas que les accrocs qui ont émaillé les rapports opposition/régime dans le passé soient suffisants pour empêcher qu’aujourd’hui ils se mettent d’accord sur une plateforme apte à aider au dépassement de certaines contradictions, pour autant que le sens des responsabilités, le patriotisme et le devoir de tous de juguler les dangers qui nous menacent nous interpellent et nous obligent à dépasser notre ego. Au niveau de l’opposition nous ne demandons rien d’impossible: dans le cadre de la consolidation de l’Etat institutionnel, nous voulons discuter du code électoral, de la liberté de la presse, de la place de l’Armée dans la politique, du rôle de l’opposition, de la transparence, de la bonne gouvernance, de la responsabilité de l’Etat, à travers l’Administration, la Justice, la Police et la Gendarmerie dans l’application de la loi incriminant l’esclavage, de même que la résolution juste du passif humanitaire et tous les autres problèmes encore pendants liés au retour des déportés, sans préjudice de tous les autres cas importants de nature à consolider nos acquis démocratiques, la justice, la liberté, l’équité et la construction du pays.

5 – Il y a des divisions au sein du parti ADIL avec lequel vous vous êtes opposé au coup d’Etat, est-il possible d’avoir votre avis personnel sur ce qui arrive à votre ancien allié ?

Je voudrai tout d’abord féliciter le parti ADIL pour le parcours militant qui fut le sien avant et pendant les élections où j’ai avantageusement bénéficié de son précieux soutien qui restera gravé dans ma mémoire, celle des militants de A.P.P. et de mes sympathisants. S’agissant maintenant de votre question, je suis un démocrate en quête de démocratie, qui pour cette raison considère que les partis politiques sont libres dans leurs actions et leurs choix. Il est d’ailleurs de notoriété publique que le va et vient entre l’opposition et la majorité est la règle en politique en Mauritanie. Mes meilleurs vœux accompagnent donc ADIL en même temps que je suis bien heureux parmi ceux qui sont restés dans la coordination de l’opposition.

6 – L’Armée a organisé des portes ouvertes à l’intention de certains politiques ces derniers temps, puisque A.P.P. était de la partie, quelle évaluation faites-vous de cette initiative ?

Je n’ai rien contre cette initiative qui aurait pu voir le jour bien avant ; s’agissant de mes observations, j’en ferai part aux responsables en charge du dossier, même si en règle générale elles affirmeront ma fierté de nos Forces Armées, mon souci de les voir toujours plus fortes et plus aptes à remplir leur mission sacrée de défense de l’intégrité territoriale de la patrie et mon vœu de les voir laisser définitivement la politique aux civils dont c’est la spécialité.

7 – La guerre contre le terrorisme est un sujet brûlant, quelle évaluation faites-vous de tout ce qui a été réalisé jusqu’à maintenant dans le cadre de cette guerre?

Ma position par rapport à cette guerre a été clairement exprimée à Monsieur le Président, comme a été exprimée dans les communiqués de la COD celle relative à certaines opérations en dehors des frontières.

8 – Certains contestent la guerre en dehors du pays mais cette guerre a réussi jusqu’ici au moins à assurer provisoirement la sécurité, qu’en pensez-vous ?

Je respecte votre liberté d’appréciation…

9 – Le Président du Mali a déclaré ces derniers temps que la lutte contre le terrorisme ne réussira qu’avec la participation de tous les Etats de la zone, qu’en pensez-vous ?

Mon sentiment est que la voie juste et incontestable est qu’aucun pays ne peut combattre le terrorisme tout seul.

10 – En ce qui concerne la Coordination de l’opposition, pensez-vous qu’elle pourra résister aux pressions ?

Quelles pressions ? Mon sentiment est que l’opposition est capable de rester unie et de poursuivre son œuvre de réalisation des grands choix nationaux

11 – Est-ce que la réflexion a commencé à propos des élections législatives prochaines et nous est-il permis d’imaginer des coalitions telles que celles réalisées au sein de l’opposition en 2006 ?

Nous n’avons pas approfondi de débat sur la question à ce jour. S’agissant de l’allusion aux accords de 2006, il s’était agi pour les contractants de soutenir la liste qui a obtenu le plus de voix et en la matière nous avons donné l’exemple dans le respect des engagements signés et nous espérons que dans l’avenir, si de tels accords se nouaient, les autres suivraient notre exemple.

12 – L’on a beaucoup parlé ces derniers temps de l’esclavage, quelle est votre opinion à ce sujet et la couche sociale Haratine constitue t’elle une nationalité à elle seule ou est-elle à votre avis une composante de la nationalité arabe ?

On reparlera encore de l’esclavage à chaque fois que l’on découvrira un cas nouveau d’esclavage et à chaque fois que le citoyen aura le sentiment que l’Etat ne combat pas sérieusement ce phénomène et chaque fois qu’il jette en prison les militants des Droits de l’Homme, anti-esclavagistes, dont Biram ould ABEID, à la suite de la découverte d’un cas d’esclavage à Arafat.

S’agissant de l’arabité de la couche sociale Haratine, c’est un problème réglé. Ceux qui ont porté le flambeau de cette Cause dans les années 1970 ont clairement inscrit dans leurs documents et prévu dans leur programme d’action que cette couche sociale est une partie fondamentale et indissociable de la composante arabe et que l’arabité, en ce qui me concerne, n’est ni une race, ni une couleur, ni une position sociale donnée, mais une langue, une histoire, des us et des coutumes et un destin commun.

Si, pour des raisons historiques, cette couche sociale a été soumise contrainte et forcée par d’autres composantes de la communauté arabe, cela ne saurait effacer leur appartenance culturelle à cette même communauté, l’histoire de l’humanité offrant le meilleur témoignage dans ce cas.

13 – Est-ce que l’esclavage existe toujours ?

L’esclavage existe toujours malgré ce qui a été accompli au temps du président Sidi Mohamed OULD CHEIKH ABDALLAHI en termes de consensus national au sein du Parlement, au niveau des Partis politiques et de la Société Civile à propos de la loi criminalisant l’esclavage. L’Etat et ses Institutions concernées par ce problème n’ont accordé aucun intérêt à cette loi, alors que s’ils avaient fait montre d’un minimum de sérieux dans son application, ce phénomène n’aurait jamais plus fait parler de lui, définitivement.

14 – Il y a ceux qui disent que le Président Messaoud est opposé à ce que l’organisation EL HOR continue d’exister, est-ce vrai ? Et si la réponse était oui ! pourquoi ?

Je voudrai tout d’abord faire la distinction entre le Mouvement El Hor et l’éradication définitive de l’esclavage.

Le Mouvement El Hor a certes été créé au moment du militantisme clandestin à cause l’oppression, du musellement des libertés et de l’absence de démocratie, ce qui n’a pas permis à tous de contribuer à sa naissance. Il y a aussi que le fait de l’enracinement de l’esclavage dans la société et le peu d’intérêt accordé, à l’époque, à son éradication par l’élite politique, avait contraint ses fondateurs à agir seuls.

Aujourd’hui, avec l’avènement de la démocratie et la possibilité d’évoquer publiquement, sur toutes les tribunes, ce problème, avec l’évolution qui s’est opérée au niveau des mentalités des élites politiques de toutes les franges et composantes de la société au point de faire de la lutte contre ce phénomène un thème majeur de tout programme politique et social crédible, avec l’intervention de l’Etat, ne serait-ce qu’au plan juridique formel et enfin avec les adhésions de nombreux cadres et militants de toutes composantes nationales dans A.P.P. qui inscrit dans ses priorités les objectifs visés par les fondateurs de El Hor, tout cela fait que le temps n’est plus aux organisations sectaires et secrètes mais, bien au contraire, celui de l’action nationale commune, telle que matérialisée par le peuple mauritanien, à travers toutes ses composantes, par le soutien apporté, lors des dernières élections présidentielles, à un candidat connu au niveau national pour être le fondateur du Mouvement EL Hor et dont l’un des objectifs premiers est l’éradication de l’esclavage, on peut dire que la mission de El Hor est accomplie et qu’il doit cesser d’exister, l’éradication de l’esclavage devenant un objectif national et le combat ne s’arrêtera que lorsqu’il sera atteint.

15 – Le débat à propos de l’esclavage est allé, pour certains, jusqu’à écrire au Secrétaire Général des Nations Unies pour lui poser le problème, qu’en pensez-vous ?

Celui qui a agi ainsi ne représente que lui-même et il n’a été mandaté ni par un parti, ni par une couche sociale et je suis convaincu que le peuple mauritanien est capable de résoudre tous ses problèmes, quelles que soient leurs difficultés, par lui-même sans avoir besoin des tribunes internationales, des chancelleries et des organisations étrangères.

16 – Certains considèrent que la discussion à propos de l’esclavage dissimule en vérité, un tentative d’introduire le débat à propos de la succession du Président Messaoud, vous considérez vous comme une relique du passé au point que s’engage un tel débat ?

Je vous dis en toute sincérité que si je découvre un politique fidèle aux principes de son peuple en termes de quête de liberté, de justice et d’émancipation pour lequel témoigne son parcours militant dans le combat pour les causes justes de liberté, d’émancipation et de justice sociale, qui se sacrifie sincèrement pour la paix sociale entre les différentes composantes du peuple, qui soit honnête avec le peuple et avec ses principes, qui croit en l’égalité entre tous, nonobstant leur appartenance et leur orientation, je serais prêt à lui remettre le flambeau et je me reposerais la conscience tranquille. Mais il ne m’appartient pas de lui remettre la confiance des populations et leur amour par ceci est un Don d’ALLAH qu’Il accorde à qui Il veut de ses esclaves.

17 – Y aurait-il un mot de la fin ?

Je vous le dis, et ce n’est point dans mes habitudes, que je suis gagné ces derniers jours par le découragement et l’amertume teintée de colère à la suite de la dernière découverte de la pratique de l’esclavage sur deux mineures à Arafat et ceci me rappelle un passé que j’avais cru dépassé par la promulgation de la loi incriminant cette pratique alors que celle-ci est restée lettre morte, que l’esclavage continue de se pratiquer sous différentes formes et que ceux qui sont chargés de son application s’y refusent.

Je saisis donc l’opportunité de cette tribune pour appeler toutes les initiatives nationales opposées à la pratique de l’esclavage, tous les Ulémas, tous les Partis politiques et toutes les organisations de la Société civile, de même que les organes de l’Etat en charge de l’application de la loi de se ressaisir et de s’engager résolument en vue de l’éradication de ce phénomène et de cesser de l’enrober par la négation et le silence, et de s’inspirer des Enseignements du Noble Coran qui nous invite à soutenir les victimes de l’injustice et les esclaves, mais aussi à l’Amour, à la Miséricorde, au rejet de l’injustice et des agissements pouvant engendrer la fitna (persécution) que ALLAH décrit dans une même Surat, tantôt comme  » étant pire que la mort « , et tantôt comme étant  » pire que le meurtre « صدق الله العظيم

Source: Tawary

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