«Couchsurfing» en Mauritanie

Je suis membre de Couchsurfing.org depuis six ans. C’est un site internet populaire, qui permet aux gens d’inviter des voyageurs à dormir sur leur sofa. Mais comme je n’ai pas de pied-à-terre, donc pas de sofa, je n’ai jamais utilisé le système: je n’aimais pas l’idée de prendre, sans rien pouvoir offrir en retour.

 

Sauf que, vous, vous mes lecteurs, vous m’avez écrit que je visitais trop d’hôtels et d’auberges à votre goût, et pas assez d’individus «à la maison». Et je suis vraiment sensible à vos critiques, même si je ne vous réponds à peu près jamais. Alors, j’ai voulu planifier mon voyage en Mauritanie en fonction des sofas disponibles. Une autre idée cinglée? Peut-être … Ce fut un échec quasi complet! Un raté qui s’explique sûrement par le fait que je ne possède aucun «antécédent» dans mon dossier (je suis El Mimo), et je pourrais être un fou furieux maniaque mime, qui sait … Malgré tout, trois couchsurfers m’ont répondu: le premier pour m’annoncer qu’il ne sera pas à la maison, l’autre pour m’inviter à prendre un café, et le dernier, pour me dire:
«Merci Bruno. Je vis à Nouakchott. Ma porte est large.»
Hum. Concis, mais pas très précis … Qu’en pensez-vous? Et il a laissé un numéro de téléphone … On l’appelle?
Je signale. Gros plan sur l’afficheur: 0022-555-5555 (wow, c’est comme dans les films). À l’autre bout, la sonnerie retentit. Deuxième sonnerie. Troisième. Peut-être est-il dur de la feuille? Je lui écris de nouveau.
«Allo M., j’arrive demain à 13h, à Nouakchott. Serez-vous là?»
Il me répond: «Bon voyage Bruno. Merci.»
OK. Je vais chez lui ou non? Je prévois un hôtel? Je ne sais pas. Je ne connais pas les codes du langage du couchsurfing…
Tant pis. Je prépare mon sac.
Midi. J’atterris à Nouakchott. Les comptoirs de change de l’aéroport sont fermés. Le guichet automatique n’accepte que les cartes avec un NIP à 4 chiffres. Le mien en a 5.
Résultat? Je n’ai pas une cenne noire, et nulle part où aller. Mais l’aéroport est à seulement 3 km de la ville.Alors, je décide de marcher jusqu’au premier hôtel. Je sors. Ouf! C’est comme un coup de brique… Il fait une chaleur à vous étourdir. Au moins 360° degrés!
J’arrive à un hôtel chic. Je me laisse séduire par la piscine. Je loue une chambre pour la soirée. Et ce sera plus simple, je me dis, car on y accepte la carte de crédit. Je verrai à changer des sous plus tard. Je pose mon sac sur le lit. Puis, j’appelle M.
Il rouspète.
«Mais qu’est-ce que tu fabriques, Bruno? Demain, tu viens à la maison! Voici les indications: tu demandes au chauffeur de taxi de t’amener en direction du vieux stade. Une fois là-bas, tu lui dis l’ancienne route goudronnée. Il comprendra. Puis, tu verras une grande maison blanche. Ce n’est pas ma maison! La mienne, c’est la petite verte, juste à côté.
– La petite verte…
– C’est bon?
– Ha!»
J’ignore pourquoi, mais j’ai su tout de suite qu’elle allait être passionnante, la Mauritanie.

Après ma discussion au téléphone avec M.*, qui m’invitait à dormir chez lui par l’entremise du site couchsurfing.org, je nageais toujours dans l’inconnu: comment se présente-t-on quand on va emprunter le sofa d’un couchsurfeur en Mauritanie? Apporte-t-on des fleurs à la dame de la maison? Un outil pour monsieur et, pour les enfants, des crayons? Ou serait-ce, à juste titre, contre le principe d’accueil gratuit de l’organisation CouchSurfing d’offrir aux hôtes des présents? J’étais un peu tendu à l’idée d’être impoli ou de faire un faux pas. Mais j’avais vraiment hâte de voir la tête de M., et surtout celle du chauffeur de taxi, en lui donnant les indications fournies par M. pour se rendre chez lui.

«À 20 minutes du centre-ville. Direction vieux stade. Ancienne route goudronnée. Petite maison verte, à côté de la grande maison blanche.»
Ha! Le chauffeur n’a rien compris… Faut dire que le bruit du moteur n’aidait en rien notre communication. Une vraie minoune de derby de démolition! En fait, c’était la première fois que je montais dans un taxi sans tableau de bord… L’accélérateur était une corde, qu’il tirait de la main gauche. Une roue était posée sur le siège du passager, et je me suis demandé, pendant un moment, si on ne roulait pas seulement sur trois…
Et si j’ai écrit le mot «taxi» plus haut, ça n’était que par principe: ici, toutes les voitures sont des «taxis» potentiels. À Nouakchott, le principe est très simple: tu lèves la main, et le premier véhicule qui peut te prendre à son bord s’arrête. Débute ensuite la négociation. Et c’est là que j’ai appris que certaines destinations en ville sont plus chères que d’autres, en raison des cratères remplis d’eau qu’il faut traverser pour s’y rendre. Parce que le réseau routier de Nouakchott, c’est l’horreur! Rarement vu une capitale en aussi mauvais état… La ville est comme un grand chantier de construction, où il ne se construit rien. Où tout est comme «pas fini». Ou à peine amorcé. À part son coloré marché Capitale, désordonné et excitant, Nouakchott est presque aussi laid que son nom. S’il existait un palmarès des capitales les plus moches du monde, Nouakchott pourrait aspirer au premier rang… Ex aequo avec Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie! À Nouakchott, à longueur d’année, se tiennent deux célébrations majeures: le festival de la poussière et le festival de la bouette qui pue.
On est donc allés jusqu’à l’ancien stade, devenu une espèce de terrain vague, qui sert aussi de toilettes et de dépotoir; à partir de là, improvisation mixte, ayant pour titre «trouver quelqu’un dans le quartier le plus pauvre et le plus craint de Nouakchott: le 5e».
Ici, pire qu’au centre: il n’y a ni eau courante, ni éclairage dans les rues, ni asphalte. Et la population fait face à un évident problème de gestion des déchets… On raconte que le 5e, historiquement, c’est le quartier des opposants au régime, et que ce serait la raison pour laquelle les services y sont déficients.
Je sors du taxi. Je règle la note (1,50$) et je referme la portière, doucement, pour éviter que les pare-chocs ne tombent. Au coin de la rue, le cadavre d’un âne, les quatre fers en l’air, gonflé comme un noyé, ne semble émouvoir personne. Même que, pour rire, on lui a enfoncé une bouteille de Coca-Cola dans le c…
Je marche dans la foule. Personne ne fait attention à moi. C’est étrange. Je suis perdu.
Et je suis bien. Oui, bien. J’ai l’impression de renouer avec l’esprit du voyage. Du voyage tel que je l’imagine, quand je me permets de fantasmer. Autour de moi, tout est réel. Aucune mise en scène en costume traditionnel, avec des boutiques de souvenirs «made in China». Que du vrai. Que du dur. Beau défi en perspective…
Devant l’ex-stade, j’aperçois ce que je crois être la «grande maison blanche». Difficile de l’affirmer à coup sûr, car elles sont toutes un peu de la même teinte sable, et aussi toutes à peu près de la même dimension… Mais, celle-ci a la particularité d’être juste à côté d’une plus petite maison turquoise. Le turquoise, c’est proche du vert, non?
Hum. De toute manière, c’est le mieux que je puisse faire pour maintenant. Alors j’avance.
La porte est entrouverte. J’entends du bruit. J’entre.
«Bonjour? M.?»
Aucune réponse. Je m’aventure à l’intérieur. La maison est froide et sombre.
Au bout de l’étroit couloir, une femme debout sur un comptoir, un balai à la main. Dans une cuisine vide.
Je la salue. Elle ne me répond pas. Avec son balai, elle m’indique l’escalier.
Au centre de la maison, des marches de béton grimpent au deuxième, dans une ouverture béante qui mène… au ciel.
Pas de plafond?
Je monte à l’étage…
C’est sur cette note assez mystérieuse, merci, que Bruno Blanchet interrompt pour quelque mois sa chronique, le temps de se reposer un brin. Il devrait être de retour dans nos pages en janvier prochain. On en profite pour vous rappeler que le tome 3 de La frousse autour du monde est en librairie.

M. accepte qu’un chroniqueur vienne à sa rencontre, mais il exige qu’on taise son nom, par crainte des autorités.

 (à suivre)

BRUNO BLANCHET

Source  :   cyberpresse.ca/voyage/bruno-blanchet le 08/11/2010

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